Dans un contexte international en perpétuel mouvement, Yves Thréard s’intéresse à l’influence grandissante de l’Afrique sous tous ses aspects, en donnant à la parole à Calixthe Beyala, Oswalde Lewat, Alain Mabanckou, Boualem Sansal et Lionel Zinsou, pour des « Souvenirs et avenir d’Afrique »
Yves Thréard reçoit Alain Mabanckou, récompensé entre autres du prix Renaudot en 2006 pour son livre Mémoires de porc-épic. L’écrivain franco-congolais conçoit la littérature comme une ouverture sur le monde, si le discours se situe dans un territoire il doit avoir « une dimension universelle ». Yves Thréard rappelle que lors de sa leçon inaugurale au Collège de France en 2016, Alain Mabanckou a critiqué des auteurs africains passés, ceux-ci ont d’après lui par leur écriture légitimé la pensée coloniale en pensant faire du bien au continent africain. Alain Mabanckou rend hommage à Jean-Paul Sartre qui a selon lui le mieux expliqué ce qu’est la « négritude » dans la préface de l’anthologie de Léopold Sédar Senghor. Il explique aussi qu’on ne prononce plus le mot « nègre » car on a peur de l’histoire mais que « le racisme ne se combat pas en enlevant des éléments du vocabulaire ».
Osvalde Lewat pense que l’Afrique s’est construite avec des injonctions extérieures, notamment des colonies, et qu’aujourd’hui elle est « en train de se réinventer en adaptant ses besoins aux réalités ». Selon elle, il y a toujours eu une grande production littéraire africaine, mais l'on ne s’y intéressait pas. Elle pense que pour stopper l’émigration des Africains il faut « reféconder les imaginaires », montrer à la jeunesse qu’elle vit dans un pays exceptionnel, plein de ressources.
Yves Thréard reçoit Lionel Zinsou, premier ministre du Bénin en 2015 et 2016. Cet agrégé d'économie est très optimiste quant à l'avenir de l'Afrique, notamment grâce à une formidable élévation de l'espérance de vie en Afrique : elle n'était par exemple que de 28 ans en 1960 au Mali, 31 ans au Bénin, aujourd'hui elle est de 61 ans au Mali et 67 ans au Bénin. L'Afrique va bientôt connaitre une population d'actifs très importante, la principale croissance démographique mondiale, ce qui était autrefois le cas de la Chine. D'autre part, les nombreux efforts de la population pour l'alphabétisation, les progrès techniques dans l'agriculture - étonnamment c'est d'ailleurs dans le désert d'Arabie Saoudite qu'on connait la plus grande production de lait - un territoire de 30 millions de km2 avec des ressources infinies. Des états développent également une communauté de libre échange et la coopération lors de la crise COVID a été un bel exemple de réussite.
Lionel Zinsou remarque également que malgré une "fuite" de certains diplômés africains vers l'Europe et l'Amérique du Nord, beaucoup de natifs d'Afrique reviennent dans le pays de leurs racines pour donner un sens à leur vie.
Yves Thréard reçoit Calixthe Beyala, romancière. Cette personnalité franco-camerounaise explique qu'il n'y a pas de sentiment anti-français mais anti-françafricain. L'écrivaine explique que la Françafrique est un groupement de personnes africaines et françaises qui exploitent le continent africain à travers par exemple des entreprises qui emploient de façon déplorable des travailleurs locaux et qui maintiennent certaines dictatures.
Calixthe Beyala pense que la grosse erreur de la France c'est d'avoir démis Mouammar Khadafi, il tenait les islamistes en respect, était apprécié en Afrique, sa chute a provoqué une montée des différents groupes extrémistes. La romancière raconte aussi qu'elle avait averti Claude Guéant alors Ministre de l'Intérieur, elle avait également mis en garde le Président Hollande sur le fait qu'il ne fallait pas intervenir au Mali, que la France serait "dans le viseur comme le pays qui fait du mal à l'Afrique".
Calixthe Beyala pense que les dirigeants africains devraient être intègres et des modèles d'exemplarité pour la population, que trop parmi eux sont trop "gourmands" et que l'avenir de l'Afrique passe par le Panafricanisme sur lequel elle travaille activement.
Yves Thréard reçoit Boualem Sansal, écrivain algérien, auteur notamment des livres "Le Serment des barbares" et "Le Village de l'Allemand". Boualem Sansal explique que l'Afrique peut-être divisée en quatre grandes zones géographiques très différentes les unes des autres par leur histoire et leurs influences qui persistent malgré la décolonisation. Boualem Sansal parle de l'esclavagisme oriental, dénoncé initialement par par Yambo Ouologuem, plus important encore que l'esclavagisme occidental et qui persiste encore, l'écrivain en est témoin dans son quartier en Algérie.
Yves Thréard discute ensuite de la situation algérienne actuelle dont Boualem Sansal est très critique, celui-ci revient sur le passé colonial et décrit le "ruissellement" de la présence française qui a concerné sa propre famille.
Boualem Sansal a été visionnaire sur la montée de l'islamisme dont il a été question dans son oeuvre, il explique les origines historiques de l'idéologie.
Yves Thréard reçoit Dafroza Gauthier, franco-rwandaise, co-fondatrice du Collectif des parties civiles pour le Rwanda. Dans cet entretien, Yves Thréard remonte aux origines du génocide rwandais. En 1994, c'est la majorité hutu du pays qui s'en prend aux Tutsis, héritage tragique de la colonisation passée. On décompte plus de 800 000 morts en à peine trois mois.
Dafroza Gauthier, que nombreux surnomment la « chasseuse de génocidaires rwandais », raconte comment avec son collectif, elle a recueilli un nombre croissant de témoignages. Elle relate notamment les cinq procès auxquels elle a activement participé, évoquant également le rôle de la France « qui n'extrade pas ». Sa mission c'est de « faire la lumière sur ces événements », dans un souci de justice et non de vengeance. Dafroza Gauthier souhaite simplement que les Hutus et les Tutsis vivent côte à côte, en harmonie, aujourd'hui et comme auparavant.