Souveraineté agricole : en commission, les députés suppriment les "groupements fonciers agricoles d'investissement"

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Aurélie Trouvé s'oppose aux GFAI.
Aurélie Trouvé critique les GFAI. LCP
par Maxence Kagni, le Samedi 4 mai 2024 à 09:47, mis à jour le Samedi 4 mai 2024 à 10:37

Lors de l'examen du projet de loi d'orientation agricole en commission des affaires économiques, les députés ont supprimé, dans la nuit du vendredi 3 au samedi 4 mai, l'article 12 du texte, qui prévoyait la création de "groupements fonciers agricoles d'investissement". Selon le gouvernement cette mesure doit faciliter l'installation de nouveaux agriculteurs, mais ses opposants craignent un risque de "financiarisation" de l'agriculture française. 

Comment préserver le modèle agricole français ? Les députés de la commission des affaires économiques examinent depuis mardi 30 avril le projet de loi "d’orientation pour la souveraineté en matière agricole et le renouvellement des générations en agriculture". Vendredi 3 mai, ils ont adopté les dispositions qui doivent permettre de favoriser l'installation de nouveaux agriculteurs, de faciliter la transmission des exploitations et d'améliorer les conditions d'exercice de la profession d'agriculteurs. 

Le nombre d'exploitations agricoles est en constante baisse : selon l'Insee, il y avait 390.000 exploitations agricoles en 2020 en France, contre 1.857.000 en 1970. Cette chute, à laquelle s'ajoute une stabilisation depuis les années 2000 de la surface agricole exploitable, entraîne un agrandissement mécanique des exploitations restantes. Une tendance que veulent stopper les députés afin de préserver le modèle français de "l'exploitation familiale" : ils ont adopté un amendement du rapporteur Pascal Lecamp (Démocrate), qui fixe à la France l'objectif de compter en 2035 "au moins 400.000 exploitations agricoles".

"Le nombre d’exploitations agricoles actuel apparait comme un plancher en deçà duquel il ne faut pas descendre", explique le député dans son amendement. "On a besoin a minima de maintenir notre réseau pour des raisons de souveraineté, d'aménagement du territoire, de diversité des cultures et de dialogue avec la société", a indiqué vendredi le ministre de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, Marc Fesneau

Faciliter la transmission des exploitations

"On ne pourra pas atteindre nos objectifs si à un moment donné on ne libère pas quelque peu la fiscalité sur les transmissions", a cependant souligné le rapporteur général du texte, Eric Girardin (Renaissance). Les députés de la commission des affaires économiques ont donc adopté un amendement qui fixe comme objectif "de mener, en vue de son application dès 2025, une réforme de la fiscalité applicable à la transmission des biens agricoles, notamment du foncier agricole". Avant d'adopter un autre amendement évoquant une augmentation prochaine de "l’abattement relatif aux transmissions en ligne directe".

Dominique Potier (Socialistes) a dénoncé la philosophie des amendements votés, qui reviennent, estime-t-il, à donner un "blanc seing à la majorité et au gouvernement [pour mener une réforme] sans qu'on ait eu un état des lieux et une étude d'impact". Depuis le début de l'examen du texte, plusieurs députés, dont Charles de Courson (LIOT), regrettent que les amendements relatifs à la fiscalité aient été déclarés irrecevables. La réforme de la fiscalité agricole, annoncée par le gouvernement, devrait avoir lieu à l'automne, lors de l'examen du projet de loi de finances pour l'année 2025. Une perspective critiquée par Charles de Courson : "La loi de finances, si elle est votée, elle ne peut être votée qu'à coups de 49.3, le Parlement n'aura aucun rôle", a-t-il notamment dénoncé. 

Mieux accompagner les agriculteurs

Les députés ont également validé la création du "diagnostic modulaire" au plus tard en 2026 : celui-ci devra évaluer les exploitations agricoles dans le but de faciliter leur transmission et l'installation de nouveaux exploitants. Ce nouveau diagnostic devra par exemple vérifier "la viabilité économique des projets, dans un contexte de transitions agroécologique et climatique". 

"On n'a aucun intérêt à installer des gens sur des systèmes dont on peut imaginer [qu'ils] ne tiendront pas", a expliqué Marc Fesneau, qui a rappelé que "le dérèglement climatique va obérer la capacité d'installation dans la durée des agriculteurs". Créé "en coordination avec les régions", le diagnostic devra également comprendre un volet relatif à "la maîtrise des coûts et la stratégie liées à la mécanisation". "Souvent, en agriculture, les transactions se font sur la base de la valeur patrimoniale, qui est souvent très éloignée de la valeur économique", a ajouté le rapporteur général Eric Girardin (Renaissance), qui estime que le diagnostic permettra peut-être de "trouver un juste milieu dans une opération" de vente.

C'est un article qui a été travaillé avec les Jeunes agriculteurs. Marc Fesneau

Le dispositif n'a pas fait l'unanimité en l'état : Julien Dive (Les Républicains) a estimé que le futur diagnostic des sols ouvrait la porte "à de nombreux contentieux" et risquait de "jeter l'opprobre sur l'exploitant". Aurélien Lopez-Liguori (Rassemblement national) a pour sa part regretté l'ajout de "contraintes administratives". Le ministre de l'Agriculture leur a répondu, rappelant que le diagnostic modulaire ne sera pas obligatoire.

"On est en train de créer quelque chose, on ne sait pas trop quoi (...) dans chaque région ce sera différent...", a regretté Thierry Benoit (apparenté Horizons). D'autres députés de la majorité, comme Pascal Lavergne (Renaissance) et Frédéric Descrozailles (Renaissance), ont évoqué leur réticence vis-à-vis du dispositif. A l'issue du vote, le ministre de l'Agriculture Marc Fesneau a expliqué sa volonté de simplifier l'article en séance publique, mais aussi de "clarifier la question du diagnostic des sols".

Moi, j’appellerais ça un DPE agricole. Anne-Laure Blin (Les Républicains)

Par ailleurs, le nouveau guichet unique "France services agriculture", qui sera assuré par les chambres d'agriculture, devra accompagner les candidats à l'installation, mais aussi les agriculteurs souhaitant partir à la retraite. "Les gens qui viennent à l'agriculture ne sont plus issus du milieu agricole, c'est pour cela qu'on a besoin d'identifier un lieu où vient se dispenser l'ensemble de l'accompagnement", a expliqué Marc Fesneau.

Les députés ont, en outre, adopté un amendement visant à accroître le champ d'action de France services agriculture, notamment en termes de formation continue, à l'ensemble des actifs agricoles et non plus aux seuls exploitants. Le projet de loi prévoit aussi que "le bénéfice de certaines aides publiques accompagnant l’installation ou la transmission peut être subordonné à la condition d’avoir bénéficié du conseil ou de l’accompagnement" de France services agriculture. La mise en œuvre de France services agriculture est prévue le 1er janvier 2026.

Les GFAI supprimés

Lors de l'examen en commission, les députés ont supprimé l'article 12 du texte, qui prévoyait la création de "groupements fonciers agricoles d'investissement" (GFAI). Ces groupements devaient avoir pour mission de récolter de l'argent auprès d'investisseurs et d’épargnants individuels, afin d'acquérir des terres pour ensuite les louer et ainsi faciliter l'installation de nouveaux agriculteurs.

"Dans les cinq à dix années qui viennent, un grand nombre de surfaces agricoles vont se libérer, vont changer de main", a expliqué vendredi soir Marc Fesneau. Selon le ministre, l'agriculture française aura besoin d'investissements publics, mais aussi d'investissements privés pour préserver son modèle, "compte tenu de la masse de capitaux qui vont être nécessaires". Marc Fesneau estime que les GFAI permettraient de "faciliter l'accès au foncier pour les futurs exploitants, en particulier pour les nouveaux installés, et en particulier ceux qui ne sont pas issus du monde agricole". Les transactions concernées seraient de l'ordre de 100 millions d'euros par an.

Mais le ministre de l'Agriculture a fait face aux nombreuses critiques de députés de tous horizons, qui ont dénoncé un risque de "financiarisation" de l'agriculture française. Dominique Potier (Socialistes) a, par exemple, estimé que les GFAI "portent le danger d'accélérer une dérégulation dont nous constatons [déjà] les effets". "Par leur nature même", les groupements fonciers agricoles d'investissement ne seront "pas gérés de façon associative et autogérée" : "Ils seront forcément gérés par une banque ou une assurance", a-t-il déploré. 

Francis Dubois (Les Républicains) a, lui aussi, dénoncé le dispositif, estimant qu'il portait un "risque de renchérissement du foncier agricole", tandis qu'Aurélie Trouvé (La France insoumise) a qualifié les GFAI de "brèche énorme pour favoriser l'agriculture capitaliste" et pointé un risque d'accaparement des "facteurs de production" par des "acteurs financiers hors du monde agricole".

Nous avons l'expérience des GFAI forestiers qui terminent en montage de titrisation au Luxembourg ou dans d'autres paradis fiscaux. Dominique Potier

Grégoire de Fournas (Rassemblement national) a jugé que le gouvernement prenait "le problème du mauvais côté" : "Si nous avions aujourd'hui des agriculteurs qui étaient en capacité de pouvoir être rémunérés correctement, il y aurait beaucoup moins de problèmes pour l'accession au foncier." "Les Françaises et les Français ne comprendront pas que des acteurs privés parfois étrangers investissent dans des terres agricoles avec pour seule fin la rentabilité économique" a considéré Lisa Belluco (Ecologiste) qui s'est, elle aussi, exprimé contre les GFAI, tout comme Marie Pochon (Ecologiste), Charles de Courson (LIOT), ou encore Yannick Monnet (Gauche démocrate et républicaine).

"Les conditions ne sont pas réunies ce soir pour voter le dispositif, personnellement je ne le voterai pas", a lui aussi expliqué Thierry Benoit (apparenté Horizons), pourtant membre de la majorité. "Il n'y a aucune intention de la part du gouvernement de déréguler le foncier", a tenté de rassurer Marc Fesneau, quelques minutes avant le vote. Le ministre de l'Agriculture estime que sans les GFAI "ce sont ceux qui peuvent agrandir [leur exploitation], ceux qui ont des disponibilités, qui pourront acquérir le foncier". Avec le risque de mettre en danger le modèle français de l'exploitation familiale.

Pour convaincre les membres de la commission, le rapporteur général du texte s'apprêtait à défendre un amendement de réécriture globale du dispositif, renommé "groupement foncier agricole d'épargne" (GFAE). Eric Girardin (Renaissance) proposait notamment d'introduire "de nombreuses protections contre tout risque de financiarisation du foncier agricole ou de spéculation". En vain : à ce stade, les députés ont préféré supprimer l'article 12 du texte. 

"Je prends acte du vote, mais le problème qui est devant nous reste entier", a réagi Marc Fesneau, qui a annoncé vouloir travailler à une nouvelle version du dispositif, en vue de la séance publique. Les députés doivent achever l'examen du texte en commission ce samedi 4 mai, avant son examen dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale qui aura lieu à partir du mardi 14 mai.