Les députés de la commission d'enquête sur "les pratiques de la grande distribution" veulent briser "la loi du silence" et "l'omerta" des négociations commerciales entre les fournisseurs (agriculteurs et industriels) et les grandes enseignes d' hypermarchés. Les parlementaires plaident, notamment, pour la création d'un délit d'abus "de position d’achat particulièrement favorable à l’acheteur" et l'indemnisation, comme pour la fraude fiscale, des lanceurs d'alerte sur les négociations commerciales.
Six mois d'enquête, et un an après l'adoption de la loi Égalim, les députés de la commission d'enquête sur "les pratiques de la grande distribution" avec leurs fournisseurs ont rendu mercredi leur rapport. 40 propositions, avec un seul objectif, mettre fin à "la destruction de valeur" due à la "guerre des prix" et à des "prix prédateurs" de certaines enseignes de la grande distribution.
Un rééquilibrage des relations commerciales qui passerait, comme pour la fraude fiscale, par la dénonciation des mauvaises pratiques. Le rapporteur de la commission d'enquête, le député LaREM Grégory Besson-Moreau, souhaite rémunérer les lanceurs d'alerte comme Bercy le fait actuellement pour les "aviseurs fiscaux".
Un portail Internet garantissant "l’anonymat des fournisseurs ou des distributeurs dénonçant des pratiques manifestement illégales" serait créé par Bercy. De même, pour lutter contre des "déréférencements abusifs" les députés prônent une "obligation de signalement à l’administration de déréférencements abusifs pour le fournisseur, à travers un portail Internet qui garantirait l’anonymat de la procédure".
La grande distribution, premier employeur privé de France avec ses 800 000 salariés, verrait apparaître – si le gouvernement reprend la proposition – un nouveau délit : "l’abus de position d’achat caractérisée par une relation d’achat particulièrement favorable à l’acheteur" inscrit au code du commerce.
Les députés proposent également d'encadrer "la création de centrales d’achat ou de services et d’alliances à l’achat" dès lors que la concentration peut "porter atteinte à la libre concurrence et à l’équilibre des relations commerciales". La commission d'enquête s'est particulièrement intéressée aux centrales d'achats basées à l'étranger, la Belgique pour Leclerc avec Eurelec ou la Suisse pour Carrefour World Trade, qui peuvent s'affranchir de certaines règles françaises tout en négociant pourtant sur le marché français.
Autre cheval de bataille des députés, les négociations entre les industriels de l'agroalimentaire (Coca-Cola, Nestlé, Fleury Michon, etc.) et la grande distribution. Ils rappellent que faire pression sur les industriels-transformateurs c'est entraîner de "lourdes conséquences en termes de prix payés" pour les fournisseurs de matières premières "particulièrement pour ce qui concerne les filières d’élevage ou encore celles des fruits confrontées à des importations massives au moment où les productions françaises sont les plus prolifiques", pointe le rapport.
Une volonté qui risque de contrarier le chantre du "prix bas", Michel-Édouard Leclerc et ses coopératives Leclerc, leader en France avec 21% de parts de marché qui revendique ne pas avoir "d'état d'âme" avec les grands industriels, pour défendre les consommateurs.
Une guerre des prix jugée délétère par les députés de la commission d'enquête :
"Le paradigme cher aux distributeurs qui consiste à "capter de la valeur" auprès des grands industriels, des "géants" supposés surpuissants, tire néanmoins toute la chaîne des prix vers le bas. (...) En affaiblissant à l’excès la marge des industriels et des transformateurs, la grande distribution perd de vue que des entreprises à vocation internationale seront amenées à effectuer des arbitrages défavorables à l’emploi et au marché français en privilégiant d’autres implantations dans des pays voisins et mieux réceptifs." Rapport de la commission d'enquête
La commission d'enquête préconise donc la création d'un index publié et actualisé mensuellement par l’Insee permettant de modifier les prix des contrats entre la grande distribution et les industriels tout en tenant compte des fournisseurs en amont. Pour un prix "juste" et "éthique", les députés souhaiteraient que l'index de l'Insee tienne compte, par exemple, du coût salarial, du coût de l'énergie ou du coût de production agricole des agriculteurs. Les négociations commerciales seraient également raccourcies, trois mois, du 15 septembre au 15 décembre.
Les députés ne souhaitent cependant pas jeter la pierre aux supermarchés. La commission d'enquête relève un marché en pleine transformation, avec une digitalisation accrue des usages qui peut déstabiliser le modèle économique actuel. Les députés interrogent donc l'exécutif sur la nécessité de "veiller au respect par les opérateurs d’e-commerce des règles nationales en vigueur" par "de nouvelles dispositions législatives" ou "une directive européenne susceptibles d’encadrer l’activité d’intermédiation des opérateurs d’e-commerce dans le secteur de la vente des produits de grande consommation".
Reste à savoir si ce rapport trouvera un débouché législatif. Lors de son audition devant la commission d'enquête, le ministre de l'Agriculture Didier Guillaume avait promis de suivre attentivement les conclusions de la commission d'enquête et, pourquoi pas, de reprendre certaines préconisations.
En conférence de presse, le président et le rapporteur de la commission d'enquête ont présenté leur rapport adopté à l'unanimité le matin même en commission. Un travail vu comme "complémentaire" à la loi Égalim. Le rapporteur Grégory Besson-Moreau espère une traduction rapide de son rapport pour "agir vite et très vite" sur les négociations commerciales en cours pour 2020. "De temps en temps, on doit imposer la confiance."
Images : Hélène Bonduelle