Après l'échec de la commission spéciale, les opposants à la réforme des retraites fourbissent leurs armes pour l'Hémicycle. Outre une cascade d'amendements, la gauche est prête, pour faire durer les débats, à utiliser toutes les possibilités offertes par le règlement de l'Assemblée. Mais le gouvernement a les moyens de répliquer.
"Nous ferons feu de tout bois (...). Tenir la tranchée sera rude. Mais nous nous préparons à le faire avec méthode !" Jean-Luc Mélenchon a annoncé la couleur début février sur son blog : l'opposition, en particulier venant de la gauche de l'Hémicycle, est prête à en découdre pour contrecarrer la réforme du gouvernement qui vise à instaurer "un système universel de retraite".
Pendant dix jours d'affilée, les travaux de la commission spéciale chargée d'examiner la réforme a donné un avant-goût de la détermination de La France insoumise, mais aussi des communistes et des socialistes, à s'opposer coûte que coûte aux deux projets de loi en discussion à partir de lundi en séance publique.
Le nombre record d'amendements depuis le début du quinquennat qui avaient été déposés, notamment par le parti de Jean-Luc Mélenchon, a d'ailleurs conduit à l'échec de la commission, faute de temps et malgré 75 heures de débats.
Après ce tour de chauffe, l'examen dans l'Hémicycle pourrait s'avérer d'autant plus périlleux pour l'exécutif que l'opposition disposera de nouveaux moyens pour ralentir l'examen des articles des textes en discussion. Mais le gouvernement ne devrait pas pour autant rester sans réponses.
Comme en commission, les groupes d'opposition ont déposé une myriade d'amendements. Une obstruction revendiquée, dont la palme revient à La France insoumise (24 285 amendements), suivi par les communistes du groupe Gauche démocrate et républicaine (13 681). Sans s'inscrire dans cette stratégie de blocage, Les Républicains ont, eux aussi, déposés de nombreux amendements (2 341).
Au total, 42 831 amendements ont été déposés pour l'examen de la réforme en séance publique. Un nombre qui devrait se réduire légèrement après le filtre de la procédure de recevabilité, mais dont l'étiage devrait rester à un niveau inédit pour cette législature.
Multiplier les amendements, c'est pour leurs auteurs le meilleur moyen de s'assurer de prendre la parole dans l'Hémicycle pour les défendre, exiger des réponses des ministres et des rapporteurs, et engager la discussion sur tous les aspects des articles en débat.
Les votes à l'Assemblée nationale se font le plus souvent à main levée. Mais chaque amendement ou article de loi peut être soumis à un vote par scrutin public. D'après nos informations, les groupes d'opposition devraient systématiser ces demandes par la voix de leur président (ou de leur représentant).
En jeu, jusqu'à cinq minutes de discussion supplémentaire pour les opposants. En effet, c'est le temps minimal qu'impose le règlement de l'Assemblée nationale entre une demande de scrutin et le vote. Plus la demande de scrutin sera tardive, plus les opposants pourront grappiller du temps de parole.
Deux motions de rejet préalable seront défendues par Pierre Dharréville (GDR) et Stéphane Viry (LR). Si elles n'ont aucune chance d'être adoptées compte tenu des rapports de force, ces motions permettent aux députés d'allonger le temps de parole de leurs groupes de trente minutes lors de la discussion générale, avant d'entrer dans le vif de la discussion des articles.
Utilisée plus rarement, une motion référendaire devrait aussi être présentée à l'initiative du groupe GDR. C'est le député et secrétaire national du Parti communiste, Fabien Roussel, qui la défendra. Une procédure spéciale, qui nécessite, pour être discutée, la signature d'au moins 57 députés et leur présence effective dans l'Hémicycle. Cette motion, en cas d'adoption conjointe avec le Sénat, soumettrait le projet de loi à un référendum national.
Là encore, compte tenu des forces en présence au Palais Bourbon, l'adoption d'une telle motion est a priori impossible. Mais cette procédure donne quinze minutes à l'un des signataires pour la défendre et deux minutes à chacun des huit groupes politiques de l'Assemblée.
C'est une procédure qui a beaucoup gagné en notoriété en juillet 2018, lorsque l'affaire Benalla s'est invitée dans le débat de feu la réforme constitutionnelle. Chaque député peut réclamer un rappel au règlement à condition de le motiver. Il dispose alors de deux minutes pour s'expliquer.
Une arme qui sera, à n'en pas douter, largement utilisée si un orateur s'estime lésé lors de la discussion.
Le 49.3, c'est l'arme ultime, à double tranchant, qui mettrait immédiatement fin au débat dans l'Hémicycle si l'exécutif se résignait à l'utiliser. La Constitution permet au gouvernement d'engager sa responsabilité devant les députés (via le fameux article 49, alinéa 3), pour les obliger à se prononcer en bloc sur la réforme. Cette possibilité, qui peut s'activer à n'importe quel moment de la discussion, serait cependant dénoncée comme un passage en force par l'opposition.
Sur LCP, mi-janvier, le ministre des Relations avec le Parlement Marc Fesneau a affirmé que l'utilisation du "49.3" n'était "pas dans les tuyaux".
Sans aller jusque-là, l'exécutif peut sortir de sa manche un autre alinéa de la Constitution. L'article "44.3" prévoit la possibilité de solliciter un vote bloqué sur tout ou partie du texte, en ne mettant au vote que les amendements proposés ou acceptés par le gouvernement. Toutefois, cette procédure "ne permet pas de faire obstacle à la discussion (...) des amendements non retenus par le Gouvernement", précise le site de l'Assemblée nationale. La procédure permet alors d'économiser du temps de vote sur l'ensemble des amendements non retenus.
Si l'Exécutif renonce à un bras de fer frontal, il pourrait tout simplement allonger de plusieurs jours les débats si le calendrier actuel (deux semaines de discussion) n'y suffisait pas. À sa demande, la conférence des présidents de l'Assemblée pourrait ainsi prévoir de reporter le vote solennel sur la réforme, prévu au mardi 3 mars.
Quitte à mordre sur la campagne des municipales ? "Ce ne serait pas correct mais on sent qu’il y a, de la part de la majorité, cette volonté de passer en force, de se moquer du débat public. Je sens que cette hypothèse est de plus en plus probable", regrette un ténor de la droite.
Pour le moment deux semaines de "trêve parlementaire" sont prévues avant le second tour des municipales, le 22 mars.
Le président de séance sera aussi un des acteurs clé pour assurer la fluidité des débats en séance. Il distribue la parole, met au voix les amendements, s'assure du bon déroulé de la discussion...
Et, depuis la réforme du règlement de l'Assemblée nationale, il dispose aussi de nouvelles facultés pour rationaliser ou limiter, selon les points de vue, le temps de parole des députés. Par exemple, en accordant la parole à un seul représentant par groupe si plusieurs députés de la même famille politique ont déposé des amendements identiques.
L'agenda du président de l'Assemblée nationale, Richard Ferrand, indique que celui-ci sera très présent au Perchoir tout au long de la semaine, samedi et dimanche inclus. Selon nos informations, il présidera très largement le début de la discussion de l'examen du projet de loi ordinaire, jusqu'à l'adoption de son article premier.
Une façon, selon son entourage, d'imprimer un "mode d'emploi" destiné à inspirer les six vice-présidents de l'Assemblée qui seront amenés à se relayer, jour et nuit, dans l'Hémicycle tout au long de l'examen de la réforme.