L'Assemblée nationale a donné le top départ, mardi, d'une mission d'information parlementaire consacrée à la réglementation et à l'impact "des différents usages du cannabis". Un tour d'horizon de près d'une année où trente-trois députés vont plancher sur les problématiques économiques, de santé publique, d'une plante très consommée en France, malgré une législation parmi les plus strictes d'Europe.
Transporter ses tisanes au cannabis, au sein de l'Union européenne, vous serez peut-être surpris d'apprendre qu'il n'y a rien de plus légal. Pauvres en THC (molécule psychoactive), mais riches en CBD (molécule relaxante), ces sachets verts ne sont pas classés comme des produits stupéfiants. La législation française interdit pourtant toute forme d'utilisation de la fleur des plants de cannabis sur son territoire, la partie la plus concentrée en molécules cannabinoïdes. Un paradoxe, bien à l'image de ce sujet-épouvantail de la politique française, et des élections présidentielles, depuis plusieurs décennies.
La mission d'information parlementaire ambitionne au contraire de "dépassionner le débat", selon les mots du jeune président de la mission d'information, le député Les Républicains Robin Reda. Objectif affiché, différencier la plante de cannabis, et ses applications potentielles, de la seule représentation du cannabis associé principalement à son usage comme drogue psychoactive avec ses conséquences fâcheuses en termes de santé publique. "Nous sommes, au sein de cette mission d'information, rigoureusement opposés à l'encouragement de la consommation de drogues au sein de notre pays", désamorçait immédiatement Robin Reda lors de la présentation à la presse de la mission qu'il préside.
À l'unisson, le rapporteur général, le député LaREM de la Creuse Jean-Baptiste Moreau, confirmait les intentions de la majorité : "Nous voulons poser à froid l'ensemble du débat et les différents usages du cannabis. D'essayer de dépassionner au maximum. (...) Pendant des années, on a refusé toute évolution sur la législation sur le chanvre et le cannabis pour des raisons essentiellement dogmatiques, et pas forcément ni scientifiques ni techniques." Une ambition qui s'est traduite par la nomination, en plus du rapporteur général, de trois rapporteurs "thématiques" pour chacun des différents types de cannabis. Emmanuelle Fontaine-Domeizel (LaREM) s'occupera du cannabis thérapeutique, le médical, Ludovic Mendes (LaREM) du cannabis dit "bien-être" et Caroline Janvier (LaREM) du cannabis le plus polémique, le "récréatif". La filière du chanvre, pour la construction de bâtiments ou la conception de substituts biodégradables aux sacs plastiques, sera également traitée à part mais sans un député rapporteur dédié. La mission abordera même le cannabis "thérapeutique animal" à destination des vétérinaires.
Les trente-trois parlementaires seront amenés à se rendre dans différents pays, le Canada, qui a entièrement légalisé le récréatif, ou Israël, en pointe sur le cannabis "bien-être". Les exemples internationaux et l'échec de la politique répressive française sur le cannabis récréatif poussent la représentation nationale à préparer une évolution législative, avant la fin du quinquennat d'Emmanuel Macron. Le dernier budget 2020 de la Sécurité sociale adopté prévoit déjà une expérimentation de deux ans (2020 à 2022) du "cannabis thérapeutique" à destination de 3 000 malades en souffrance, non-réceptifs aux anti-douleurs classiques (paracétamol), et atteint de maladies graves incurables comme la sclérose en plaques ou des cancers métastasés. "17 pays de l'Union européenne l'ont déjà autorisé depuis longtemps (...) la loi m'autorise à en prescrire, par contre, ça ne se trouve pas en France", déplorait le député LaREM Olivier Véran médecin neurologue au CHU de Grenoble.
Un amendement d'@olivierveran propose la mise en place pour une durée de deux ans d’une expérimentation visant à autoriser l’usage médical du cannabis: "Elle porterait sur 3000 patients dans des indications particulières, par exemple dans des douleurs liées au cancer"#DirectAN pic.twitter.com/sMyWRYomPs
— LCP (@LCP) October 16, 2019
Si les auditions commencent dès mercredi prochain, avec celle de l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) sur le cannabis thérapeutique, le rapport final n'est attendu pas avant 2021. Des propositions qui auront alors une résonance politique toute particulière avec la proximité de la prochaine élection présidentielle et des législatives 2022 dans la foulée. Le député Les Républicains Robin Reda ne cachait pas que le futur rendu nourrirait très certainement les futurs programmes présidentiels : "Il y aura pour moi nécessairement un débat, qui n'est pas binaire. Un débat de société absolument important, et qui ne souffrira à mon avis d'aucun statut quo. Nous allons devoir évoluer, et nous serons dans notre rôle d'orateurs politiques pour éviter que ce débat ne s'enlise une nouvelle fois et que le statut quo ne porte atteinte à la cohésion de la Nation."
Dans le journal Le Monde, le président LaREM de la commission des Affaires économiques, Roland Lescure, évoquait en août dernier la nécessité de penser "l'après-demain" pour préparer un éventuel second quinquennat d'Emmanuel Macron. Et le député des Français de l'étranger citait le cannabis parmi les sujets auxquels il faudrait réfléchir : "Pour moi c’est un sujet de campagne électorale. C’est un sujet de société auquel on n’échappera pas, tous les pays se posent la question." Le marché potentiel en France, pour des filières de cannabis "bien-être" et thérapeutique, se chiffrerait en milliards d'euros. Les acteurs du secteur ne s'y trompent d'ailleurs pas. Mardi, plusieurs étaient présents à l'Assemblée par la voix de lobbyistes du cannabis "bien-être" et thérapeutiques. Quant au "récréatif", le débat aura peut-être lieu en 2022 à travers les propositions des candidats. Après le temps parlementaire, reviendra alors le temps de la politique.
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