18e circonscription de Paris : confusion et bataille à quatre sur fond de loi travail

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par Maxence Kagni, le Mardi 6 juin 2017 à 10:16, mis à jour le Mercredi 11 mai 2022 à 16:16

En l’absence de candidats En marche!, l'ancienne ministre Myriam El Khomri (PS) et Pierre-Yves Bournazel (LR-UDI) se réclament de la "majorité présidentielle". Face à eux, deux représentants de la gauche antilibérale, Paul Vannier (FI) et Caroline De Haas (EELV-PCF). Une situation confuse qui rend l'élection incertaine. Reportage.

Alors, vous avez rallié l’ennemi ?” Mardi 30 mai, 17 heures : Pierre-Yves Bournazel arpente tracts à la main la rue de Caulaincourt, dans le XVIIIe arrondissement de Paris. Il est interpellé par une passante qui lui reproche son ralliement à Emmanuel Macron.

Conseiller Les Républicains de Paris, conseiller régional d’Ile-de-France et ancien porte-parole d’Alain Juppé, Pierre-Yves Bournazel, 39 ans, se présente aux élections législatives dans la 18e circonscription de Paris sous l’étiquette Les Républicains-UDI.

Mais ne cherchez pas le logo des deux partis sur son affiche de campagne : ils n'y figurent pas... Mieux encore, on peut y lire la mention suivante : “majorité présidentielle avec Emmanuel Macron & Edouard Philippe”. De quoi déboussoler les électeurs, et notamment la sympathisante qui lui fait face. Alors le candidat tente de désamorcer le conflit :

- Pierre-Yves Bournazel : Vous avez voté quoi ?
- Une habitante : Certainement pas pour Macron, certainement pas pour ce type…
Echange entre Pierre-Yves Bournazel et une habitante du quartier

 

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A force d'explications, Pierre-Yves Bournazel parvient à renverser la situation à son avantage en évoquant la convergence idéologique entre le programme d'Alain Juppé et celui d'Emmanuel Macron : "Je n’ai pas changé de valeurs, ce sont les mêmes !"

Ecole, sécurité, économie, évolutions sociétales... L'élection d'Emmanuel Macron est "une chance historique de faire les réformes", explique le conseiller régional, qui promet de voter la confiance au gouvernement d'Edouard Philippe.

Bournazel-El Khomri : deux candidats "avec Emmanuel Macron"

S'il veut être élu, Pierre-Yves Bournazel devra notamment battre l'ancienne ministre du Travail, la socialiste Myriam El Khomri, âgée elle aussi de 39 ans. Tous deux se disputent l'héritage macroniste, la République en marche (REM) ayant renoncé à présenter un candidat dans cette circonscription. Emmanuel Macron y a pourtant recueilli 37,1% des suffrages au premier tour de l'élection présidentielle.

Une façon d'épargner Pierre-Yves Bournazel, proche du Premier ministre Edouard Philippe, mais aussi Myriam El Khomri, proche de l'ancien maire de Paris et soutien d'Emmanuel Macron, Bertrand Delanoë. Les deux candidats multiplient donc les appels du pied aux "marcheurs", parfois jusqu'à la caricature : Myriam El Khomri a elle aussi fait inscrire sur ses affiches "Avec Emmanuel Macron, pour une majorité de progrès".

 

"Les gens sont paumés !"

Cette récupération agace fortement Justine Henry, la référente En marche! dans l'arrondissement :

Ce petit jeu politique, ce marketing qui reprend nos codes, me déplaît. Les gens sont paumés !Justine Henry

 

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Alors pour clarifier les choses, la jeune femme, 28 ans, a convoqué le 1er juin cinq candidats jugés compatibles avec les idées d'Emmanuel Macron. Réunis sous le préau de l'école primaire de la rue Foyatier, ils ont pu, au cours d'une longue séance de questions-réponses, détailler leurs positions.

Aux côtés des challengers Félix Beppo (Divers gauche, très applaudi), Franck Herlange (Mouvement des progressistes de Robert Hue) et Fatou Tall (A nous la démocratie), Myriam El Khomri et Pierre-Yves Bournazel ont tenté de séduire des marcheurs déçus de ne pas avoir de candidat REM dans la circonscription.

Myriam El Khomri a confirmé qu'elle sera la "jambe gauche" du macronisme à l'Assemblée : "Je suis une candidate socialiste, c'est clair." Conseillère de Paris dans le 18e arrondissement de Paris de 2008 à 2014, Myriam El Khomri revendique son ancrage local :

 

Je vis dans l'arrondissement, mes deux filles sont dans une école, ici, en éducation prioritaire.Myriam El Khomri

Désistement réciproque pour "faire battre la France insoumise"

Dans cette circonscription, Jean-Luc Mélenchon a recueilli 24% des suffrages au premier tour de l'élection présidentielle. Un score qui inquiète beaucoup les sympathisants d'En marche!, qui veulent savoir si Myriam El Khomri et Pierre-Yves Bournazel sont prêts à se désister l'un pour l'autre en cas de triangulaire. Le but ? L'emporter face à Paul Vannier, le candidat de la France insoumise.

Dans un premier temps, Myriam El Khomri esquive :

Vous me demandez 'est-ce qu'on fait un front républicain face au front de gauche ?' (...) Sachez que je ne considère pas que les militants de la France insoumise sont comme le FN. Myriam El Khomri

Pour la première fois de la soirée, la salle est hostile : "Vous n'avez pas répondu !" Sous pression, Myriam El Khomri concède qu'elle est prête à se désister si cela est nécessaire, pour faire gagner "la majorité présidentielle". Pierre-Yves Bournazel a moins de difficultés à le dire : "Je suis prêt aussi à faire battre la France insoumise". Le candidat affirme même qu'il ne siégera pas dans le groupe Les Républicains à l'Assemblée nationale s'il est élu.

"Faire d'une pierre, deux coups"

Un pacte qui fait aussitôt réagir la France insoumise (FI). "J'appelle les électrices et les électeurs de la 18e circonscription à se rassembler derrière moi pour battre la droite les 11 et 18 juin", lance Paul Vannier, le candidat du mouvement de Jean-Luc Mélenchon.


Âgé de 31 ans, ce professeur d'histoire-géo est le porte-parole de FI sur les questions d'éducation. Puisqu'il manque encore un peu de notoriété, Jean-Luc Mélenchon est venu lui donner un coup de main à la fin du mois de mai, lors d'un meeting commun place Jules Joffrin, en face de la mairie du 18e. Et lorsqu'il fait du porte-à-porte, dans les immeubles sans ascenseur du quartier de Barbès, le candidat va droit à l'essentiel :

Bonjour, je suis Paul Vannier, le candidat de la France insoumise. Vous connaissez le programme de Jean-Luc Mélenchon ? Le mien est exactement le même.Paul Vannier

 

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Il cite la revalorisation du SMIC à 1326 euros, la création massive de places de crèches, l’instauration du bio dans les cantines scolaires... Les portes s'ouvrent rarement mais l’accueil est bon : “Ma fille adore Jean-Luc Mélenchon, elle a voté pour lui… C’est dommage qu’elle ne soit pas là aujourd'hui”, s’enthousiasme une mère de famille.

Vous savez qu’au premier tour de l’élection présidentielle, 13.544 personnes ont voté pour La France insoumise. Si tous se déplacent à nouveau, je serai au second tour !”, embraye Paul Vannier, qui lui offre une petite pile de tract, afin que sa fille “puisse en donner à ses copines”. Le candidat veut "faire d'une pierre, deux coups" : "Élire un député qui luttera contre la future loi travail et se débarrasser d'El Khomri".

Rassemblement de la gauche

 

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Cette profession de foi pourrait être reprise mot pour mot par l'autre candidate de la gauche antilibérale, Caroline De Haas.

À 36 ans, la militante féministe s’est notamment fait connaître en lançant une pétition en ligne contre la loi travail, recueillant plus d’un million de signatures. Elle a quitté le Parti socialiste en avril 2014, après avoir été porte-parole d’Osez le féminisme et membre du cabinet de Najat Vallaud-Belkacem au ministère du Droit des femmes.

En campagne depuis la fin du mois de février, Caroline De Haas veut battre Myriam El Khomri dans sa circonscription, quitte à donner l’impression de s’y être parachutée. La féministe se présente comme la candidate du rassemblement : elle est soutenue par EELV, Ensemble!, le PCF, mais aussi “des insoumis.e.s, des militant.e.s du NPA, des syndicalistes, des féministes, des citoyen.ne.s du 18e” et par le candidat malheureux du PS à la présidentielle, Benoît Hamon. Sa candidature a toutefois entraîné des défections au sein de la section communiste locale.

Moi, je souhaite rassembler les électeurs, pas des logos en bas d’une affiche”, riposte Paul Vannier, qui fustige ses trois adversaires, qui "organisent la confusion" :

 

“Caroline De Haas (soutenue par EELV, le PCF et Benoît Hamon, ndlr) peut être considérée comme la candidate du PS, Myriam El Khomri (soutenue par le PS, ndlr), elle, se présente comme candidate d’une majorité présidentielle que Pierre-Yves Bournazel (soutenu pas LR, ndlr) veut aussi rejoindre.”Paul Vannier

Plaidoyer d'Edwy Plenel

Caroline De Haas refuse de répondre aux piques de la France insoumise : "On va devoir se rassembler au second tour puis résister ensemble contre la loi travail numéro 2." Elle a convié ses soutiens le 31 mai, au sous-sol d'un bar de la rue Ramey, à deux pas de la mairie.

Environ quatre-vingt personnes sont venues écouter le plaidoyer du patron de Mediapart Edwy Plenel en faveur des candidatures "citoyennes" et de rassemblement à gauche. Le journaliste en a profité - même s'il assure ne pas faire campagne - pour dénoncer le "sectarisme" de la France insoumise.

"Gratter tout ce qui est possible"

Micro en main, Caroline De Haas prend ensuite la parole : elle promet d'instaurer un "rapport de force" à l'Assemblée et veut "gratter tout ce qui est possible" si elle est élue. La candidate, qui insiste sur son profil de chef d'entreprise, prône la sortie du diesel, la lutte contre la pollution de l'air, la protection des femmes violées et des enfants battus. A quelques jours du premier tour, elle propose aux personnes présentes de la rejoindre dans sa campagne : "Vous verrez, on se marre bien." Prochaine action prévue : "Distribuer des tracts à la sortie des supermarchés sur la composition des tampons et des serviettes hygiéniques, car c’est un véritable enjeu d’accès au savoir."

Caroline De Haas prévient : avec Myriam El Khomri et Pierre-Yves Bournazel, qu'elle considère comme des candidats de "droite", la circonscription pourrait basculer "après 20 ans de vote à gauche".

Elle oublie que le député sortant, le socialiste Christophe Caresche, effectivement élu depuis 1997, était un fervent soutien de la loi travail. Il a d'ailleurs publiquement soutenu Emmanuel Macron lors de la dernière élection présidentielle et appuyé dans la circonscription la candidature de son ancienne suppléante... Myriam El Khomri.