10E circonscription des Yvelines : bataille dans un fief de la droite pris par La République en marche en 2017

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Yvelines 4 candidats
par Soizic BONVARLET, le Mercredi 1 juin 2022 à 19:59, mis à jour le Vendredi 3 juin 2022 à 15:58

La députée Aurore Bergé, issue de la majorité présidentielle sortante, brigue sa propre succession dans la dixième circonscription des Yvelines. Ce territoire où Christine Boutin a longtemps été élue, avant Jean-Frédéric Poisson, est convoité par la droite qui espère le reconquérir. Alors que Les Républicains sont affaiblis et que l'extrême droite est divisée entre le Rassemblement national et Reconquête, le candidat de la Nouvelle union populaire écologique et sociale se tient en embuscade. 

Lors du premier tour de l'élection présidentielle, Emmanuel Macron a obtenu 32% des voix dans la dixième circonscription des Yvelines, qui comprend la ville de Rambouillet, dont le président du Sénat, Gérard Larcher, a longtemps été maire. Dans ce fief de droite, une bonne partie des électeurs semblent donc s'être ralliés au président de la République. Valérie Pécresse a certes fait mieux qu'au niveau national, mais son score de 8% reste modeste, quand Marine Le Pen et Éric Zemmour ont respectivement obtenu 16,20 et 9,30% des suffrages. Une division des droites qui a permis à Jean-Luc Mélenchon d'arriver en deuxième position, avec 19% des voix dans cette circonscription. 

Ensemble versus Les Républicains : le match du premier tour 

Sur les routes de campagne de sa circonscription, au milieu des champs et des chevaux, l'élevage équin étant une spécificité du territoire, Aurore Bergé vient à la rencontre des électeurs. La députée La République en marche, élue à l'Assemblée nationale pour la première fois en 2017, brigue un nouveau mandat sous la bannière d'Ensemble, afin de poursuivre son action et de contribuer à apporter une majorité au président de la République.

"S'il y a un second tour", elle pense à un duel face au candidat de la Nouvelle union populaire écologique et sociale (Nupes). La circonscription a pourtant longtemps été acquise à une droite traditionaliste, incarnée par Christine Boutin, puis Jean-Frédéric Poisson. Mais la députée et candidate relativise : "Je crois que ce territoire a longtemps voté pour le seul candidat de droite qui était proposé. Je ne suis pas sûre que cela ait été un vote d'adhésion aux idées qui étaient portées". Aurore Bergé, qui a fait ses premières armes en politique à l'UMP et chez Les Républicains avant de rejoindre Emmanuel Macron, considère qui plus est que "cette élection va se jouer sur une dynamique nationale, or il n'y en a aucune pour LR". 

Une considération que ne partage certainement pas la candidate Les Républicains, Anne Cabrit, qui fait de l'ancrage local l'alpha et l’oméga de sa candidature. Maire de la commune d'Orsonville, cette aveyronnaise d'origine, qui vit depuis plusieurs décennies dans les Yvelines, a choisi d'axer sa campagne sur la ruralité. Ce matin, elle partage un café et des chouquettes à la ferme de Brandelles, avec les deux frères qui sont à sa tête pour la cinquième génération. Céréales, élevage bovin et ovin, agriculture conventionnelle et biologique, les fermiers ont fait le choix de la diversification, sur un domaine qui comprend près de 400 hectares. Anne Cabrit souhaite les soutenir, et assurer à la circonscription que ces activités puissent perdurer, à un moment où de plus en plus de Parisiens du tertiaire, les fameux "néo-ruraux", viennent s'installer. "Si je suis élue députée, je défendrai en priorité l'agriculture et notre cadre de vie", martèle la candidate qui doute des intentions de la députée sortante en la matière. 

À l'arrivée du "tracteur tour", à Poigny-la-Forêt, Aurore Bergé semble pourtant très à l'aise aux côtés des agriculteurs de la nouvelle génération, ultra-connectés et exposés. Des "agriyoutubeurs" dont la démarche consiste à mettre en valeur leur activité, au-delà des clichés et d'une vision surannée du travail dans les champs. "On a besoin que cela fonctionne dans les deux sens, que les deux mondes se rencontrent", considère Aurore Bergé lors de sa prise de parole, faisant référence à demi-mot aux conflits qui peuvent survenir entre néo-ruraux et monde paysan. Puis de rappeler la "fierté française d'avoir la meilleure alimentation au monde", et de conclure : "Bravo les copains !"
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Aurore Bergé au "tracteur tour"
Aurore Bergé (Ensemble !) à l'arrivée du "Tracteur tour", à Poigny-la-Forêt

Comme beaucoup de territoires ruraux, la circonscription souffre, par ailleurs, d'un phénomène de désertification médicale, que tous les candidats disent vouloir prendre à bras le corps. En cas d'élection, Anne Cabrit déclare qu'elle souhaiterait porter à l'Assemblée une loi d'urgence sur la médecine de proximité. Elle dit avoir été la première élue à avoir distribué des masques pour les personnes âgées au début de l'épidémie de Covid. Jacky Drappier, maire de Saint-Martin-de-Brethencourt et soutien actif de la candidate LR, abonde : "la députée, elle leur a offert des cacahuètes", faisant référence à des colis distribués dans les EHPAD. 

Contrairement à Aurore Bergé, Anne Cabrit, dont la campagne a été lancée en présence de Gérard Larcher, estime que l'électorat de droite qui ne se sent pas représenté par la députée sortante, pourrait "faire" son élection. "Il y a des gens qui ont voté Éric Zemmour à la présidentielle et qui me disent qu'ils voteront pour moi, parce que j'incarne les valeurs de droite, et pour mon ancrage local". Selon elle, Aurore Bergé a "perdu" un certain électorat de droite. Sa frange la plus traditionaliste ne s'est en tout cas pas retrouvée dans les prises de position de la députée en matière sociétale, elle qui a pris parti haut et fort dans l'hémicycle de l'Assemblée et dans les médias pour la PMA pour toutes, et pour l'allongement des délais de recours à l'IVG de 12 à 14 semaines. Aurore Bergé répond que les droits des femmes sont une "question de principe", pour elle qui a par ailleurs voulu légiférer contre le port du voile pour les jeunes mineures lors du projet de loi destiné à lutter contre le séparatisme, et qu'elle ne compte pas rogner sur ses convictions en la matière à des fins de "racolage électoral".

La Nupes en embuscade

De la ferme à une petite cité HLM du quartier de La Louvière, à Rambouillet, il n'y a qu'un pas. Le candidat de la Nupes issu de La France insoumise, Cédric Briolais, y retrouve ses militants pour un porte-à-porte auprès des habitants. Plus que de faire campagne sur sa couleur politique, l'enjeu ici est plutôt d'inciter à se déplacer les 12 et 19 juin. Des mères de familles, qui ont installé des chaises à l'extérieur de leur logement afin de profiter de la douceur printanière de cette fin de journée, l'assurent au candidat : elles ont voté Jean-Luc Mélenchon lors du scrutin présidentiel. "Ça n'a pas changé grand chose", fait remarquer l'une d'entre elles. "On y était presque, il n'a manqué que 400 000 voix, il faut y retourner", lui oppose le candidat. Celui qui est dans la vie de tous les jours agent de station à la RATP poursuit son argumentaire : "Les bourgeois, eux, ils votent, ils ne loupent pas le coche. Tous ceux qui votent pour Macron savent que c'est dans leur intérêt, alors ils iront aussi aux législatives".
Le candidat, qui mise sur un éparpillement des voix de la droite dans la circonscription pour avoir une chance d'accéder au second tour, n'a pas hésité à s'approprier le slogan du "troisième tour", afin de maintenir mobilisés les électeurs de Jean-Luc Mélenchon. Une rhétorique qui semble gagnante, puisqu'à la fin de la discussion, l'une de ses interlocutrices l'assure, elle ira voter le 12 juin. "Ce serait bien que les choses changent un peu", considère-t-elle aussi. "Il faut dire stop".
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Campagne à la Louvière, Rambouillet
Cédric Briolais (Nupes) auprès des habitants du quartier de la Louvière, à Rambouillet
Une autre habitante nous confie n'avoir "jamais voté pour la députation". "Les gens comme moi, nous ne nous sentions pas concernés", explique-t-elle, avant de parler d'un "déclic", à l'issue des cinq ans du premier mandat d'Emmanuel Macron, dont elle ne pensait pas qu'il puisse être réélu. "Cette fois je vais y aller", assure-t-elle à son tour.
Quelques mètres plus loin, l'un des militants aborde un groupe de jeunes hommes qui discutent entre deux voitures. Il évoque en parlant du candidat "un gars comme nous", "qui vient de Nanterre". "Nous dans le quartier, on a tous voté Zemmour", rétorque l'un des membres du petit groupe dans l'hilarité générale. Ils admettent ensuite n'avoir, pour la plupart d'entre eux, pas voté lors de l'élection présidentielle. L'un de ceux qui s'est déplacé a néanmoins choisi le bulletin Mélenchon. À l'issue de l'échange, ils redemandent les dates du scrutin pour les élections législatives.

L'extrême droite divisée 

En ce premier jour de campagne officielle, lundi 30 mai, Thomas du Chalard, le candidat du Rassemblement national, est à Ablis, une commune au sud de la circonscription, qui côtoie déjà la frontière avec l'Eure-et-Loir. Le panneau municipal numéro 3 lui a été attribué pour son affichage de campagne. Accompagné d'un militant, il s’attelle au collage. "Ici l'avantage, c'est qu'on peut coller diurne", se réjouit-il, se rappelant avoir préféré procéder à la même opération à deux heures du matin à Trappes, lors d'une campagne pour les élections européennes.

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Collage d'affiches Thomas du Chalard
Thomas du Chalard (RN) en pleine opération de collage d'affiches dans la 10e circonscription des Yvelines

Cadre local issu de la fédération des Yvelines, déjà candidat aux élections départementales l'année dernière, Thomas du Chalard vient d'une famille qui a toujours voté FN, puis RN. Bien que catholique, il affirme n'avoir jamais été tenté, en tant qu'électeur, par les candidatures de Christine Boutin, puis de Jean-Frédéric Poisson. Il concède un socle idéologique commun, mais a toujours été méfiant vis-à-vis de la droite institutionnelle. "Je ne considérais pas que c'était un parti fiable", dit-il aussi à propos de l'UMP devenue Les Républicains. Concernant le parti chrétien-démocrate de Christine Boutin et Jean-Frédéric Poissons, longtemps affilié à l'UMP, il n'a jamais adhéré à sa ligne qu'il juge "européiste", lui qui se revendique "eurosceptique". Il reconnaît tout de même que la défaite de Jean-Frédéric Poisson face à Aurore Bergé en 2017 a constitué un traumatisme chez certains membres de sa famille.

Thomas du Chalard n'a pour sa part "jamais cru" à l'union des droites. "Pour moi la droite de gouvernement, c'est beaucoup de paroles et peu de faits". Il se dit également peu tenté par l'aventure Zemmour, et ne pas être amateur du concept de "grand remplacement", préférant parler de "submersion migratoire". Il prétend avoir observé sur le terrain que le discours d'Éric Zemmour avait contribué à "normaliser" le RN, évoquant la fameuse "fenêtre d'Overton".

Le militant qui accompagne Thomas du Chalard est particulièrement satisfait, et même fier, du candidat qu'il espère voir entrer à l'Assemblée. "C'est un garçon bien Thomas, intelligent, pondéré, et en plus il a de l'allure", nous dit ce militant de longue date, un peu plus réservé à l'endroit du Rassemblement national "nouvelle génération". Il se sent en phase avec les idées d'Éric Zemmour, de la même manière qu'il se sentait particulièrement proche de la rhétorique du fondateur du FN, Jean-Marie Le Pen. "Mais on n'y arrivera pas à la façon de Zemmour, comme on n'y est pas arrivés à la façon de Le Pen père", considère celui qui a choisi de rester fidèle au parti.

Philippe Chevrier, lui, a fini par le quitter, après avoir eu le sentiment d'en avoir été peu à peu ostracisé. Au contraire de Thomas du Chalard, il revendique le concept d'"union des droites", qu'il aimerait réaliser sur sa candidature. Il évoque Jean-Frédéric Poisson, qui a rejoint, comme lui, la campagne d'Éric Zemmour lors de la course à l'élection présidentielle. "S'il s'était présenté, je lui aurais donné mon soutien et je ne me serais pas présenté, ou alors dans une autre circonscription". Il évoque une nuance sur le fond cependant, estimant que comme Christine Boutin, Jean-Fréderic Poisson a de manière démesurée brandi la religion comme un étendard, là où lui considère qu'elle n'a pas vocation à entrer dans le champ politique.

Pour la première fois candidat dans la circonscription il y a vingt ans pour le Front national, dont il a été secrétaire départemental et conseiller régional. c'est la huitième fois qu'il s'y présente aux législatives, en comptant les élections partielles. Aujourd'hui sans mandat électif, il considère Anne Cabrit, avec qui il a siégé dans différentes instances, comme "une amie". De même pour le candidat du RN, Thomas du Chalard, dont il dit qu'il l'a lui-même "formé". Sur le fond des idées, il revendique sa proximité avec les uns, comme avec les autres.
En revanche, quand on lui demande s'il considère qu'Aurore Bergé est toujours de droite, la réponse fuse : "Bien sûr que non, elle a endossé tout ce qu'a fait Macron, elle en a même rajouté !"
Après avoir créé son propre parti, ironiquement baptisé le "Front libéré" en référence à son départ du FN, il avait rejoint "Les Patriotes" de Florian Philippot, avant de s'engager pour Éric Zemmour, dont il loue la colonne vertébrale idéologique. Dans sa jeunesse, Philippe Chevrier raconte avoir été adhérent du Parti socialiste. Aujourd'hui, il dit de Jean-Luc Mélenchon :  "J'ai de l'admiration pour le bonhomme. Je ne comprends pas pourquoi il se lance dans l'islamogauchisme".

Candidats dans la 10e circonscription des Yvelines :

  • Ensemble (Renaissance) : Aurore BERGÉ (députée sortante)
  • Nupes (La France insoumise) : Cédric BRIOLAIS
  • Les Républicains : Anne CABRIT
  • Rassemblement national : Thomas DU CHALARD
  • Reconquête ! : Philippe CHEVRIER
  • Debout la France : Claire COUEIGNAS
  • Extrême gauche : Michel BIZIEN
  • Divers écologistes : Patrice JACONO
  • Divers écologistes : Sylvie Michelle BOGAERS
  • Lutte ouvrière : Marielle SAULNIER