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LA DISPARITION ?

La disparition ?-vendredi 9 AOÛT à 21h

Alors que Mathieu Sapin écrit quelques pages de BD à l'occasion du quarantième anniversaire de l’élection de François Mitterrand, il se tourne – pour connaître la petite histoire dans la grande – vers les figures de l’ombre du Parti Socialiste, au premier rang desquelles Julien Dray, le « Baron Noir ».

Au travers d’anecdotes et témoignages inédits de visiteurs du soir qui côtoient les plus
hautes sphères de l’État depuis le 10 mai 1981, Mathieu Sapin s'embarque alors dans
une enquête qui va répondre à la question politique majeure du PS : « Comment la
gauche en est-elle arrivée là ? ».

  • Scénariste et réalisateur : Jean-Pierre Pozzi
  • Auteur, dessinateur, acteur : Mathieu Sapin
  • Durée : 90' / Année : 2022
  • Coproduction : Nolita / LCP-Assemblée nationale 

Diffusions :

  • Vendredi 9 août à 21h
  • Vendredi 16 août à 23h30
  • Et en replay sur LCP.fr

Enretien avec Jean-Pierre Pozzi, scénariste et réalisteur et Mathieu Sapin, Auteur-dessinateur-acteur

Votre film raconte de manière personnelle la longue histoire de la gauche au pouvoir, avec ses réussites et ses échecs, ses conquêtes et ses renoncements. Pourquoi s’intéresser aujourd’hui à l’histoire du Parti socialiste ?
Jean-Pierre Pozzi – À l’origine, nos producteurs de Nolita, Romain Rousseau, Maxime Delauney et Mathieu Ageron, ont rencontré Julien Dray, qui proposait une série sur l’histoire de la gauche française depuis les années 1970. C’était un projet lourd, plutôt classique. Nous avons repris l’idée, pour en faire un film plus court, plus personnel, avec un regard, plutôt qu’une longue série, exhaustive et traditionnelle.


Vous avez choisi un mode narratif original, subjectif, à partir des confidences de personnages qui n’étaient pas protagonistes directs, mais plutôt des acteurs de l’ombre ou des observateurs.
Jean-Pierre Pozzi – C’est un choix délibéré, je voulais des témoins qui soient légitimes mais sans être redevables de quoi que ce soit. Je me méfie du dogmatisme, ce qui est intéressant c’est d’explorer les angles morts et ça on le fait mieux en étant un peu à l’écart.
Mathieu Sapin – Il nous a semblé qu’on pouvait porter à l’écran la manière que j’emploie quand je fais mes albums de BD politiques, sur la campagne de Hollande ou sur les débuts de Macron, par exemple. Avec Jean-Pierre on avait déjà utilisé cette méthode pour le documentaire MACADAM POPCORN sorti en 2017 et qui se présentait comme une déambulation en France à la rencontre des
exploitants de salles de cinéma.
JJP – Pour MACADAM POPCORN j’avais déjà recouru à cette mise en abyme qui consistait à filmer Mathieu pendant qu’il créait, carnet et crayon à la main. Ça résonnait… Nous avons trouvé nos marques très vite.
MS - C’est tout l’intérêt de la méthode : on ne sait pas ce qu’on va voir, ce qui va émerger. Il y a fausses pistes, des moments incongrus, inattendus. Et à l’arrivée, on trouve un film de cinéma.
JPP - Je tenais à éviter le documentaire « assis », celui où l’on voit une série de témoins installés dans les salons dorés de la République, qui racontent leurs souvenirs. Le plus souvent, il ne se passe pas grand-chose à l’écran car la parole est aussi cadrée. Nous avons plutôt choisi les codes de l’enquête, et même de l’enquête policière. Beaucoup de scènes se passent la nuit, toujours en mouvement, comme dans un film noir. L’obscurité, la pluie, le froid, le décor de la rue, tout cela concourt à créer les conditions de la confidence. De plus, nous avons été servis paradoxalement par les restrictions sanitaires. Paris était vide, fantomatique, nous avions les décorations de Noël mais il n’y avait personne pour les regarder, la place de la Concorde était déserte et luisante. La ville était plongée dans une ambiance crépusculaire…


Pourquoi ce choix de la conversation plutôt que du questionnement journalistique ?
JPP – Nous n’aurions pas obtenu le même film si nous avions fait du journalisme politique. Mathieu a cette faculté de mettre les gens en confiance, on apprend des choses, on révèle des aspects inconnus ou négligés, ce n’est pas un film à l’eau de rose. Pour autant nous ne sommes pas là pour tirer des conclusions ou asséner des vérités. Chacun se fera sa propre opinion en voyant le film.
MS – J’ai beaucoup pensé à la distance que je devais choisir. Dans ces conversations, on est toujours tenté par la proximité, par la connivence. Mais au fond, ce n’est pas forcément une mauvaise chose. On y gagne dans la confidence. Du coup, je revendique volontiers une forme de complicité, une subjectivité assumée, parfois renforcée par le tutoiement.
JPP – Mathieu dessine tout le temps, pas que dans le film, il a constamment son carnet à la main, il prend des notes, fait des croquis, note des répliques. Je l’avais déjà constaté sur notre précédent film, au départ les gens sont surpris, d’autant que Mathieu n’est jamais insistant, mais rapidement cela crée un climat de confiance. Au final on obtient beaucoup plus de choses que dans un face à face installé où chacun tient un rôle pré-établi. Et puis c’est beaucoup plus cinématographique : il y a deux personnages qui échangent, dans un dialogue à égalité, il y a des blagues qui fusent, des silences lourds de sous-entendus... Dès le premier plan, avec Julien Dray, quand ils sont dehors la nuit, chacun avec un bonnet sur la tête, on a deux personnages qui prennent vie sous nos yeux.

Vous êtes sympathisants du courant socialiste ?
MS – J’ai, comme on dit, une « sensibilité de gauche » mais, avec Jean-Pierre, nous ne sommes pas des militants. Nous n’aurions pas eu l’idée de faire un film militant ou didactique, le genre le plus ennuyeux dans le cinéma.
JPP – J’ai soutenu Mitterrand en 1981, j’ai été par la suite ce qu’on peut appeler un compagnon de route, distant et critique. Avec Mathieu, on se retrouve dans la manière, dans le style, à la fois
proche et distancié. Le film n’est pas non plus un brûlot, un pamphlet contre les manquements de la gauche. Nous essayons de comprendre, dans l’empathie.
MS - J’ai suivi tout cela de près à partir de 2012 quand j’ai réalisé ma BD Campagne présidentielle sur l’équipe de campagne de
François Hollande. Il faut bien reconnaître que, depuis, les choses ne sont pas allées comme on l’espérait.
JPP - Et Mathieu est légitime pour le faire. Depuis dix ans, il suit ces affaires de la gauche et du PS, avec sa sensibilité particulière.
MS – Mais pas comme un journaliste politique. Plus comme un témoin privilégié. En quoi la forme de la bande dessinée influe-elle sur la réalisation du film ?
JPP – La BD procède de la même grammaire narrative que le cinéma, c’est un récit séquenciel basé sur le découpage. Mais c’est une proximité trompeuse, on sait que l’adaptation d’albums au cinéma n’est pas toujours une promenade de santé ! Avec Mathieu je suis dans un territoire plus confortable dans la mesure où il pratique de la BD documentaire, et puis on partait d’une feuille blanche, au montage on a donc construit la narration un peu comme lui le ferait dans un album,son carnet faisant parfois office de deuxième caméra. Et comme un clin d’oeil, les séquences d’archives que nous avons utilisées ont été traitées à la manière des cases de bande dessinée.

MS – Il y a aussi ma police de caractères qui a été reprise à partir de mes albums …


Pourquoi avez-vous fait de Julien Dray le narrateur principal ?
MS – Je l’avais croisé pendant la campagne de François Hollande en 2012, au cours d’une réunion un peu secrète. C’était une discussion à chaud, en pleine bataille électorale. Il était à l’oeuvre, il conseillait à Hollande de réviser emploi du temps pour aller dans les quartiers, parler aux jeunes, plutôt que de déposer je ne sais quelle gerbe commémorative. Il proposait de prendre Nicolas Sarkozy de court. Il m’était apparu comme un personnage différent, pas un de ces apparatchiks interchangeables. Il n’était pas lisse, il avait ses zones d’ombre.
JPP - Physiquement - je ne sais pas si cela lui fera plaisir -lors de notre première rencontre il m’a fait penser à Tony Soprano, avec cette manière de pencher la tête en avant, de rouler les yeux, son côté direct, massif et rusé, mais derrière lequel j’ai perçu une mélancolie un peu sourde.
MS – C’est un vrai personnage, avec une forme de tristesse, qui joue un rôle de dur, de costaud, tout en cachant mal une grande sensibilité, une fragilité. On retrouve ces traits de caractère dans son célèbre double de fiction : « Le Baron Noir ». La question mérite d’être posée : combien d’hommes politiques contemporains ont inspiré une série ?
JPP – Dray, c’est l’homme de l’ombre, le Tom Hagen du PARRAIN, celui à qui on confie les tâches obscures, dont on écoute les conseils, mais qui n’a jamais obtenu la reconnaissance et la lumière. Sa trajectoire est parallèle avec celles des Présidents
successifs - de Mitterrand à Macron -, elle est une métaphore parfaite de la vie politique française des quarante dernières années. Et pourtant, malgré quelques brillants faits d’armes et pas mal de coups tordus, cette trajectoire s’est toujours fracassée au pied de la dernière marche. Les portes du pouvoir lui sont restées fermées. Comme une pièce antique, cette histoire est aussi l’histoire d’une quête impossible, d’une reconnaissance qui n’est jamais advenue.


Et pourquoi Gérard Colé, le communicant de Mitterrand retiré de la vie publique, l’acolyte de Gérard Pilhan (Pilhan qui fut également conseiller de Chirac) ?
MS – Parce qu’il sort de la doxa socialiste, qu’il est intuitif, drôle, fort en gueule et décomplexé.
JPP – Par leur côté hommes de l’ombre et tireurs de ficelles, Pilhan et Colé sont des personnages romanesques. Nous sommes arrivés chez Gérard Colé dans les Landes, à deux pas de l’ancienne maison de Mitterrand à Latche, et nous avons trouvé un personnage dingue, sans filtre. Il était méfiant au début, on s’est un peu reniflés, mais dès que nous avons mis la caméra en marche, c’était parti, il avait soif de s’expliquer. Il a un talent de conteur indéniable et il nous a fait revivre toute cette période - l’élection de 81 - comme si c’était hier. À l’époque, il était au plus proche de l’action, au coeur du réacteur. Avec Pilhan, ils étaient les premiers spin doctors en exercice, et le moins que l’on puisse dire c’est que leur proximité avec Mitterrand ne leur a pas rapporté que des amis au Parti Socialiste…
MS – Nous avons aussi voulu donner la parole à d’autres personnes comme Laure Adler qui a été conseillère culturelle de Mitterrand et une observatrice de cette période. Elle a un discours très structuré et sans concession sur l’état de la gauche et m’a impressionné par sa capacité à analyser la politique à travers ce prisme et à développer de nouvelles perspectives à partir de là. Philippe Moreau Chevrolet est d’une autre génération, c’est un communiquant que j’avais rencontré au cours de mes enquêtes en bande dessinées. Nous nous sommes bien entendus et on a voulu le solliciter afin d’apporter un point de vue différent pour notre enquête. J’aime beaucoup la manière à la fois très familière et imagée avec laquelle il parle de la politique. Après cette exploration de l’histoire du PS depuis 1981, quel est votre sentiment ? Quel bilan pour cette gauche ?
MS – Ce qui m’a d’abord frappé, c’est à quel point les rapports humains, les règlements de compte entre personnes ont eu des répercussions sur la politique nationale. Le duel Mitterrand-Rocard, la bataille entre Jospin et Fabius, par exemple, ont beaucoup compté dans les difficultés. Nous sommes partis de l’humain, des personnages, qui s’entendent ou non. Tous ces protagonistes n’ont pas réussi à mettre la politique au-dessus des rapports humains. C’est incarné.
JPP – Au début, nous avons pensé le film comme un état des lieux de la gauche. Au final, j’ai le sentiment que l’on parle non seulement d’une époque révolue mais aussi d’un monde révolu. À Colé, le 10 mai 1981, Mitterrand dit qu’il arrive sept ans trop tard…
MS – Oui. Tout aurait été plus facile en 1974, sans doute, parce que le programme était adapté à la période. Au début des années 1980, on change d’époque. Reagan et Thatcher sont au pouvoir, la vague libérale a soudain enflée, les grands courants mondiaux sont tous défavorables à la gauche.
JPP - Il y a un événement qui m’a marqué à l’époque et que l’on a pas trop perçu en France dans l’euphorie du moment : le 10 Mai 1981 Mitterrand est élu, le 11 Mai, Bob Marley meurt… Rétrospectivement, on peut y voir le symbole d’une époque qui s’achève.
MS – Attention, ce n’est pas un réquisitoire contre la gauche, il y a beaucoup d’acquis, beaucoup de réformes utiles. Après Giscard, la gauche a rattrapé beaucoup du temps perdu par la droite.
JPP - Le film, à la fin du parcours, va plus loin. Il y a un thème qui revient avec insistance : nos institutions ne sont plus adaptées. La Vème République est-elle encore viable ? La droite ne l’abordera pas, bien sûr, mais le constat est accablant. Il y a une vraie fatigue démocratique dans ce pays, il suffit de voir le taux d’abstention
qui augmente régulièrement. A chaque nouvelle élection présidentielle, l’état de grâce dure à peine deux semaines, il n’y a pas de culture du compromis, les gouvernants s’appuient sur une minorité et dirigent sans en référer en fait à quiconque, sinon aux électeurs en fin de mandat. Cela crée un désintérêt pour la politique incarnée par les partis historiques, et on le voit bien, la jeune génération s’investit dorénavant de manière différente. Au fond c’est ce que nous raconte le film : on ne pourra pas continuer comme cela ad vitam aeternam…

Biographie de Mathieu Sapin :

Né en 1974, Mathieu Sapin grandit au milieu des livres et des albums de bandes dessinées (sa mère était bibliothécaire). Il entre aux Arts Déco de Strasbourg et effectue son objection de conscience à la Cité Nationale de la Bande Dessinée et de l’Image à Angoulême.
Mathieu Sapin, tout au long de sa carrière d’auteur de BD, mélange les genres, joue avec les codes préétablis. Il est membre de l’atelier SNBD (Société Nationale de la Bande Dessinée) avec Joann Sfar, Riad Sattouf et Christophe Blain. Jamais décidé à s’installer dans une pratique définie, il multiplie les expériences et se lance dans le reportage dessiné. Que ce soit sur la conception du film GAINSBOURG – VIE HÉROÏQUE réalisé par son ami Joann Sfar ou du journal Libération (Journal d’un Journal), il y promène son regard amusé et faussement innocent. Après avoir suivi la campagne de François Hollande avec Campagne présidentielle, il publie Le Château, journal d’une année passée à l’Elysée auprès du Président et dont les ventes dépassent les 50 000 exemplaires. En septembre 2012, dans le cadre d’un documentaire, il accompagne Gérard Depardieu en Azerbaïdjan afin de reproduire le périple d’Alexandre Dumas raconté dans Voyage au Caucase. Le documentaire, intitulé « Retour AU Caucase », est diffusé en mai 2014 sur Arte.