Coronavirus : les députés entérinent une hausse de la dette sociale de 136 milliards d'euros

Actualité
Image
Illustration (AFP)
par Jason Wiels, le Lundi 15 juin 2020 à 19:20, mis à jour le Jeudi 8 octobre 2020 à 16:17

Le projet de loi sur la dette sociale prévoyant de transférer 136 milliards d'euros de dette aux comptes sociaux a été voté en première lecture. L'opportunité d'un tel montage est contestée par une partie de l'opposition, qui aurait préféré que l'État prenne en charge ces dépenses.

Jusqu'où va-t-on creuser le "trou de la Sécu" ? Alors que les comptes sociaux devaient quasiment revenir à l'équilibre en 2020, la crise épidémique a perturbé les plans du gouvernement. À tel point que celui-ci a défendu, lundi dans l'hémicycle, deux projets de loi sur la dette sociale afin d'éponger les dégâts causés par le virus et le confinement sur les recettes et les dépenses de la Sécurité sociale. 

Montant de l'addition ? 136 milliards d'euros de dette en plus. Un scénario noir pour les dépenses publiques qui, il y a peu de temps encore, aurait relevé de la "science-fiction", selon les mots du secrétaire d'État Adrien Taquet.

Le premier impôt post-Covid ?

Ce déficit, loin d'être anodin, sera affecté à la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades), chargé de rembourser le passif accumulé par la Sécurité sociale.

Cette somme englobe les déficits passés (31 milliards), mais aussi ceux attendus pour l'année en cours (52 milliards) et les trois suivantes (40 milliards), ainsi qu'un tiers du passif des hôpitaux (13 milliards), dont la reprise avait été annoncée en novembre.

Les groupes socialiste et communiste ont proposé chacun une motion de rejet pour s'opposer à ces textes, sans succès. Selon eux, c'était à l'État de reprendre les montants directement liés à la crise épidémique (92 milliards d'euros). "Vous nous faites une belle chichoumeille, vous mélangez tout ça et vous le mettez sur le dos de a Sécu", a fustigé Pierre Dharréville (GDR).

Pour financer ces 136 milliards d'euros, la majorité a validé l'option retenue par le gouvernement de prolonger de neuf ans les prélèvements affectés à la Cades. Les Français continueront ainsi à être prélevés jusque fin 2033 de la CRDS, qui ampute la plupart des revenus à hauteur de 0,5%.

Est-ce le premier impôt issu de la crise épidémique, alors même qu'Emmanuel Macron a promis dimanche soir de ne pas recourir à de nouvelles hausses d'impôts ? Pour Boris Vallaud (PS), cela ne fait pas de doute :

Le député socialiste estime par ailleurs que la prise en charge de la dette par la Sécurité sociale est une "mauvaise opération financière". Selon lui, l'écart des taux entre les emprunts d'État et de la Cades oscille "historiquement" entre 0,1 et 0,3% en défaveur de cette dernière.

Le rapporteur, Paul Christophe (Agir), a minimisé cette crainte, assurant que la future dette sera remboursée dans des conditions similaires, alors que les emprunts d'État peuvent eux aussi subir des variations sur les marchés :

Vif débat sur la dette des cliniques privées

Un amendement de Christine Pirès-Beaune (PS) a ensuite déclenché une suspension de séance à la demande de La République en marche. La députée socialiste a en effet proposé d'exclure les cliniques privées de la reprise de la dette hospitalière :

Olivier Véran lui a répondu que les établissements privés qui pourront prétendre à cet allègement de leur dette remplissent une mission de service public. À ce titre, ils doivent respectés "un certain nombre de conditions définies par la loi, (...) comme l'absence de dépassement de facturation et d'honoraires", a précisé le ministre des Solidarités et de la Santé.

Leur nombre serait extrêmement limité selon le rapporteur Thomas Mesnier, qui les a estimés à "une dizaine" d'établissements sur les 1033 que compte le pays. Néanmoins, le député LaREM a dévoilé que l'avant-projet de loi ne visait bien que les établissements publics, et que c'est au nom de "l'égalité de traitement" que ces cliniques ont été intégrées au texte, suivant ainsi l'avis du Conseil d'État. Visiblement convaincue, la majorité a finalement repoussé l'amendement.

Un milliard pour la "perte d'autonomie"

Le deuxième objectif de ces textes est de poser les bases d'une nouvelle branche de la Sécurité sociale afin de prendre en charge la perte d'autonomie des personnes handicapées et âgées. Pour la financer, une manne annuelle de 2,3 milliards d'euros sera ainsi récupérée sur une fraction de la CSG à partir de 2024,

Un montant jugé trop lointain et insuffisant par la gauche. Ses élus ont réclamé la présentation rapide d'un projet de loi spécifiquement dédié à la dépendance, chose promise par l'exécutif en décembre 2018 et déjà plusieurs fois repoussées :

"Cette cinquième branche, cela fait 15 ans que tout le monde est d'accord sur le fond mais que rien ne se passe. L'histoire retiendra qu'en 2020 nous l'avons fait", a répondu Adrien Taquet aux défenseurs des motions de rejet.

Plus tard dans la soirée, Olivier Véran a finalement annoncé qu'un milliard d'euros viendrait abonder dès 2021 la perte d'autonomie, sans en préciser l'origine :

Un rapport sur la concrétisation de cette nouvelle branche devra être remis au plus tard le 15 septembre par le gouvernement, alors que les besoins sont estimés à environ 9 milliards d'euros par les experts.