Des députés fichés par un site d'extrême droite

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Groupe LFI
par Ariel Guez, le Vendredi 17 septembre 2021 à 10:53, mis à jour le Lundi 20 septembre 2021 à 09:17

29 parlementaires, pour l'essentiel issus de la gauche, apparaissent dans une liste de 341 noms hébergée par un site d'extrême-droite. Ce fichier révélé dans la nuit de jeudi à vendredi, a été constitué après la publication d'un appel à manifester contre "l'islamophobie" en novembre 2019. La Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) a indiqué avoir "téléchargé le fichier dans le cadre de vérifications en ligne" et "procéder "actuellement à l'analyse de sa légalité". 

Eric Coquerel, Jean-Luc Mélenchon, l'intégralité du groupe parlementaire de la France insoumise, Elsa Faucillon (PCF), Esther Benbassa (EELV) mais aussi Régis Juanico (Génération.s) et Sébastien Nadot (Mouvement des progressistes, ex-membre du groupe LaREM) : 29 parlementaires (députés, eurodéputés, sénateurs) apparaissent au milieu de 312 autres noms, sur un fichier hébergé par le site d'extrême-droite Fdesouche.com. C'est le journaliste – et militant antiraciste – Taha Bouhafs, membre de la rédaction du Média, qui a révélé l'information sur son compte Twitter dans la nuit du 16 au 17 septembre. 

"Je suis tombé dessus en août, sans vraiment connaître le contexte, même si je savais que c'était une liste politique hébergée par Fdesouche", raconte Taha Bouhafs, qui a découvert, à l'aide d'un internaute, un second fichier quelques jours après. "Celui-là est encore plus inquiétant, car il comporte encore plus d'informations sur des initiatives en aide aux migrants", précise-t-il à LCP. Nom de la structure, adresse physique, mail, site web, champ d'action géographique et descriptif de l'action : près de 800 collectifs d'aide aux migrants sont identifiés. 

Une liste réalisée par le fondateur d'un site d'extrême-droite

Selon les métadonnées (les informations internes du fichier) que nous avons pu consulter, le document Excel recensant les 341 noms de journalistes, responsables politiques, religieux ou associatifs aurait été créé le 6 novembre 2019 par Pierre Sautarel, le fondateur du site d'extrême-droite Fdesouche. "C'est juste avant la marche contre l'islamophobie", souligne Taha Bouhafs, en référence à la manifestation du 10 novembre 2019, où des milliers de personnes avaient défilé dans les rues de Paris. Parallèlement plusieurs appels avaient été signés dans des médias par des artistes, politiques ou responsables associatifs. L'un d'eux avait publié sur le site de Médiapart. Une très grande majorité de ses signataires se retrouve aujourd'hui dans le fichier hébergé par Fdesouche

Si ces informations inscrites étaient publiques (nom, prénom, fonction) et publiées sur Mediapart quelques jours auparavant, leur regroupement dans un fichier, retravaillé et mis en page, précisant des catégories "Islam", "politique", "journalisme" ou "syndicalisme" et hébergé sur un autre site pose la question de sa légalité. Surtout que d'autres noms, non-signataires de l'appel, ont été ajoutés. Le positionnement politique étant "une donnée sensible" selon la CNIL, elle explique qu'il est "interdit de recueillir et d'utiliser ces données sauf dans certains cas précis (...) notamment si la personne concernée donne son consentement écrit, clair et explicite." Selon les informations de l'OBS, confirmées par France Infoune instruction est d'ailleurs en cours à la Commission nationale de l’informatique et des libertés.

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Capture des détails du fichier de Fdesouche.
Les métadonnées du fichier indiquent que Pierre Sautarel, le fondateur de Fdesouche, est l'auteur du fichier recensant 341 noms d'artistes, de militants politiques, associatifs, ou responsables religieux. (Capture d'écran)

L'émoi suscité depuis ce matin sur les réseaux sociaux par la révélation de ce document témoigne du fait que les personnes fichées n'étaient nullement consentantes. "Nous découvrons ce matin l’existence d’une liste tenue par un site d’extrême-droite qui prétend recenser des 'islamo-gauchistes'. Elle contient les noms de centaines d’artistes, de politiques, de syndicalistes, de militant•es. Plusieurs d'entre elles et eux sont membres de notre association. Nous ne nous laisserons pas intimider par ces méthodes fascistes", tweete par exemple le compte officiel de l'association Attac France. Le député Génération.s Régis Juanico, sur Twitter, estime que ce fichage "doit donner lieu à des poursuites." "On ne peut pas laisser passer", explique l'élu de la Loire à LCP.fr.

La CNIL s'autosaisit, une plainte collective va être déposée

Lorsqu'il a découvert le fichier, Taha Bouhafs - qui y figure - a, de fait, contacté son avocat, Maître Arié Alimi, en vue de porter plainte. "Je pense qu’il serait judicieux que nous menions une action pénale collective", dit-il sur son compte Twitter, en s'adressant aux autres personnes figurant sur cette liste. C'est le cas d'Eric Coquerel, qui a annoncé qu'il allait "s'associer à cette plainte collective contre ce fichage." Auprès de LCP.fr, le député insoumis de la Seine-Saint-Denis précise : "Il y aura une plainte collective, et vraisemblablement une plainte de chaque organisation".

En effet, dans ce domaine, l'article 226-19 du Code pénal est très clair : "Le fait, hors les cas prévus par la loi, de mettre ou de conserver en mémoire informatisée, sans le consentement exprès de l'intéressé, des données à caractère personnel qui, directement ou indirectement, font apparaître les origines raciales ou ethniques, les opinions politiques, philosophiques ou religieuses, ou les appartenances syndicales des personnes, ou qui sont relatives à la santé ou à l'orientation sexuelle ou à l'identité de genre de celles-ci, est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 300 000 euros d'amende."

À ce titre, Éric Coquerel appelle à une réaction du gouvernement et des autorités. "Quand vous voyez la multiplication de la violence de l'extrême-droite, avec l'agression la semaine dernière du leader du groupe antifasciste lyonnais la Jeune Garde, vous vous dites qu'un fichier comme ça, il sert à quelque chose", s'inquiète le député du 93.  Dans une question écrite au gouvernement, il demande la supsension du site Fdesouche et interroge Gérald Darmanin "concernant ce fichage et plus largement sur ce qu'il compte faire concernant ce site internet morbide aux pratiques illégales."

Sur les 29 parlementaires identifiés sur le fichier, six au moins ont annoncé vouloir se joindre à la future action en justice. "Un grand nombre de personnes fichées ont décidé de déposer plainte", confirme dans un communiqué Maître Arié Alimi, "s'agissant des infractions suivantes : 

  • Traitement de données à caractère personnel sans respecter les formalités préalables à leur mise en œuvre, faits prévus et réprimés par l’article 226-16 du code pénal 
  • Traitement de données à caractère personnel sans mettre en œuvre les mesures prescrites par le Règlement UE 2016/79 du 27 avril 2016 et par la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978, faits prévus et réprimés par l’article 226-17 du code pénal ;
  • Traitement de données à caractère personnel, sans le consentement exprès des intéressés, faisant apparaître les origines raciales ou ethniques, les opinions politiques, philosophiques ou religieuses, ou les appartenances syndicales des personnes, faits prévus et réprimés par l’article 226-19 du Code pénal."

Le fichage, une pratique régulièrement utilisée par l'extrême-droite

"Ce fichage est inquiétant et abject. Mais la méthode malheureusement ne m'étonne pas du tout", a réagi l'historienne Ludivine Bantigny. Car le fichage n'est pas nouveau à l'extrême-droite. Il y a quelques semaines déjà, un site intitulé "Ils sont partout" recensait des personnalités de confession juive du monde politique, des médias, de la culture et de l'économie. Sa publication avait provoqué une vive émotion, jusqu'à une réaction officielle du ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin. "Ce site antisémite est profondément scandaleux et nauséabond. Je signale ces faits, susceptibles de recevoir une qualification pénale, au procureur pour que des poursuites soient engagées contre ses auteurs et le faire fermer au plus vite", avait-il tweeté.


Sur les réseaux sociaux, Pierre Sautarel, le fondateur de Fdesouche et l'éditeur du document, s'est défendu de tout fichage. "Ce n'est pas interdit de reproduire la listes des signataires d'un appel public (sic)", dit-il sur son compte Twitter. "Ils sont tellement mis en danger par la publication de ce tableur Excel listant les signataires en faveur de la marche contre l'islamophobie , qu'ils le diffusent in extenso sur tous les réseaux sociaux pour en dénoncer la diffusion", peut-on également lire.