François Bayrou nommé Premier ministre : la consécration d'un adepte du dépassement politique

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François Bayrou
par Maxence Kagni, le Vendredi 13 décembre 2024 à 12:46, mis à jour le Vendredi 13 décembre 2024 à 13:56

Soutien décisif d'Emmanuel Macron en 2017, François Bayrou a été nommé à Matignon, ce vendredi 13 décembre. Le président du MoDem et maire de Pau, qui a été trois fois candidat à l’Élysée, hérite d'une situation complexe qui va mettre ses convictions politiques à l'épreuve de la réalité.

François Bayrou est nommé Premier ministre, à l'âge de 73 ans. Une consécration tardive pour le président du Mouvement démocrate et maire de Pau, qui couronne une longue carrière, parsemée de hauts et de bas. Précurseur du dépassement du clivage droite-gauche et de la réduction de la dette, il était jusqu'à sa nomination à Matignon Haut-commissaire au Plan.

François Bayrou est donc, depuis ce vendredi 13 décembre 2024, le chef d'un gouvernement qui reste à constituer et qui aura une assise limitée. Sans véritable majorité à l'Assemblée nationale, le nouveau Premier ministre devra composer avec plusieurs sensibilités politiques pour mener son action. Un exercice périlleux qui ne devrait pas déplaire au président du MoDem qui, de longue date, plaide pour des gouvernements de coalition et des majorités de projets

Le troisième homme de 2007

Déjà, en août 2001, alors qu'il est le président de l'UDF (un parti qu'il a présidé de 1998 à 2007), François Bayrou confie à des journalistes "incrédules" qu'il est favorable à une alliance de la "droite républicaine" et de la "gauche réaliste", affirmant sa volonté de faire émerger "le bloc central de la société française" en "faisant éclater la gauche". A cette époque, celui qui est aussi député européen s'apprête à annoncer sa candidature à l'élection présidentielle de 2002.

Une candidature mal vue par le RPR, qui souhaite la réélection à l'Elysée de Jacques Chirac, mais aussi pour certains membres de l'UDF, qui - préférant soutenir le Président sortant - dénoncent la "solitude" de leur chef de file et s'apprêtent à rejoindre l'UMP en cours de création. Qu'importe, invité à un meeting de soutien à la candidature de Jacques Chirac, organisé le 23 février 2002 à Toulouse, François Bayrou persiste : il explique qu'il repousse l'idée selon laquelle "l'opposition [au gouvernement Jospin] toute entière devrait se ranger sous la bannière de Jacques Chirac". Il annonce aussi qu'il refuse également l'idée de "dissoudre le RPR et l'UDF pour former un parti unique". Devant des militants RPR ulcérés, François Bayrou ajoute : "Si nous pensons tous la même chose, c'est que nous ne pensons plus rien."

François Bayrou recueille un peu moins de 7% des suffrages dans une campagne notamment marquée par sa fameuse "gifle de Strasbourg". Jacques Chirac, quant à lui, est réélu au second tour face à Jean-Marie Le Pen.

La campagne de 2007 est nettement plus porteuse : avec ses 18,57% au premier tour, François Bayrou est le "troisième homme" de la présidentielle. Pendant l'entre-deux-tours, François Bayrou annonce qu'il ne votera pas pour Nicolas Sarkozy, ce qui n'empêchera pas ce dernier de l'emporter assez largement face à Ségolène Royal. Des années plus tard, il confiera avoir voté blanc.

La traversée du désert

Espérant profiter de l'élan de sa campagne présidentielle, le Béarnais crée en mai 2007 le Mouvement Démocrate (MoDem), en lieu et place de l'UDF. Mais plusieurs élus centristes, mécontents de l'orientation politique choisie par François Bayrou, partent pour créer leur propre parti, Le Nouveau centre, qui se rattache à la majorité présidentielle UMP. Les élections législatives de 2007 tournent au fiasco : seuls trois députés MoDem (dont François Bayrou) sont élus. L'année suivante, François Bayrou échoue à devenir maire de Pau. En 2009, les listes MoDem ne recueillent que 8,5% des suffrages aux élections européennes.

L'année 2012 sera plus terrible encore : le fondateur du MoDem obtient 9% des suffrages au premier tour de l'élection présidentielle. Une fois encore, il s'oppose à Nicolas Sarkozy pendant l'entre-deux-tours : dénonçant une "course-poursuite avec l'extrême droite", François Bayrou déclare qu'il va, à titre personnel, voter pour le candidat socialiste, François Hollande. Cet épisode ne fait qu'ajouter à l'inimitié que se vouent les deux hommes : "Il a toujours trahi ceux qu'il a choisis", écrit de lui Nicolas Sarkozy en 2020. Dans la foulée de la présidentielle, François Bayrou est battu aux élections législatives de 2012, lors d'une triangulaire qui l'oppose à un candidate du PS et un candidat UMP. Une première depuis 1986. 

Soutien décisif à Emmanuel Macron

En 2014, l'horizon se dégage pour François Bayrou : il est élu maire de Pau. En septembre 2016, face à l'ascension d'Emmanuel Macron, il se dit "absolument sceptique sur cette affaire" : "Derrière cet hologramme, il y a une tentative qui a déjà été faite plusieurs fois de très grands intérêts financiers et autres qui ne se contentent plus d'avoir le pouvoir économique", déclare-t-il au micro de BFMTV.

Mais quelques mois plus tard, lors d'une conférence de presse en février 2017, le triple candidat à l'Elysée crée la surprise en annonçant qu'il n'est pas à nouveau candidat et qu'il est prêt à soutenir Emmanuel Macron. Craignant une "flambée de l’extrême droite qui fait planer la menace d’un danger immédiat pour notre pays et pour l’Europe", le président du MoDem fait une "offre d'alliance" à l'ancien ministre de l’Économie.

C’est sans doute un geste d’abnégation mais ce sera aussi, je le crois, un geste d’espoir pour notre pays. François Bayrou décidant de soutenir Emmanuel Macron en 2017

"C’est sans doute un geste d’abnégation mais ce sera aussi, je le crois, un geste d’espoir pour notre pays", explique François Bayrou, considérant que le fondateur d'En Marche incarne le dépassement des clivages qu'il a longtemps été le seul à prôner. Un ralliement qui fait immédiatement gagner plusieurs points dans les sondages au fondateur d'En marche

L'affaire des assistants parlementaires

Au second tour de l'élection présidentielle, Emmanuel Macron est élu face à Marine Le Pen. Dans la foulée, le groupe MoDem obtient une quarantaine de sièges à l'Assemblée nationale. Et François Bayrou, qui avait été ministre de l’Éducation nationale de 1993 à 1997, fait son retour au gouvernement en mai 2017 en devenant ministre de la Justice. Il travaille à un projet de loi de moralisation de la vie publique et propose l'instauration d'une "banque de la démocratie". Mais un mois plus tard, mis en cause dans l'affaire des assistants parlementaires du Modem, il démissionne. Marielle de Sarnez, dont il est très proche, démissionne elle aussi de son poste de ministre des Affaires européennes.

Sept ans plus tard, en février 2024, le président du MoDem est relaxé en première instance. Certains de ses proches, ainsi que l'UDF et le MoDem, sont en revanche condamnés. Interrogé par BFMTV, le maire de Pau, affecté, juge que Marielle de Sarnez, morte d'une leucémie en 2021, est une "victime" de l'affaire des assistants parlementaires : "Elle a vécu comme un chemin de croix cette mise en cause."

Une voix parfois critique du camp présidentiel

Empêché au niveau national par cette affaire pendant plusieurs années, François Bayrou reste une voix qui compte. En mai 2020, il est réélu maire de Pau en 2020. La même année, Emmanuel Macron le nomme Haut-commissaire au Plan. En 2022, il devient aussi  Secrétaire général du Conseil national de la refondation. Au Palais-Bourbon, ses troupes, les députés Démocrates, demeurent l'un des piliers de la majorité présidentielle, malgré quelques tensions : en 2022, c'est par exemple à l'initiative du MoDem que l'Assemblée nationale vote une taxe sur les "super-dividendes", contre l'avis du gouvernement Borne. La mesure ne sera d'ailleurs pas retenue dans le budget adopté par 49.3.

Depuis 2017, alors qu'un lien fort s'est établi entre les deux hommes, François Bayrou n'a jamais renié son soutien à Emmanuel Macron qui l'a, en retour, toujours considéré comme un allié important. Pour autant, cette relation particulière n'a jamais empêché le Béarnais de faire entendre sa voix. Ainsi, en pleine crise des gilets jaunes, il déclare qu'"à un moment on ne peut pas gouverner contre le peuple". Puis, lorsqu'en pleine contestation de la réforme des retraites dans la rue, Emmanuel Macron estime que "la foule n’a pas de légitimité face au peuple qui s’exprime à travers ses élus”, mais le maire de Pau affirme : "Je ne nierai pas la légitimité des manifestations. Quelque chose s’exprime."

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En juin 2023, François Bayrou critique, en outre, l'hypothèse d'une alliance gouvernementale entre les soutiens d'Emmanuel Macron et Les Républicains : "Si on choisissait de décentrer la majorité pour la tirer d’un côté ou de l’autre, il y aurait de grands risques de perte de cohérence", affirme-t-il dans une interview au Figaro. Un an et demi plus tard, François Bayrou est donc Premier ministre. Il va donc avoir l'occasion de confronter ses préceptes politiques à la réalité du pouvoir.