Les réserves des francs-maçons sur le projet de loi "principes de la République"

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Une réunion franc-maçonnique à Suresnes, en mai 2019
Une réunion franc-maçonnique à Suresnes, en mai 2019
Lucas Barioulet / AFP
par Raphaël Marchal, le Mardi 5 janvier 2021 à 09:34, mis à jour le Mardi 26 janvier 2021 à 11:37

La commission spéciale a auditionné mardi des représentants d'organisations maçonniques. Beaucoup ont regretté l'absence de mesures de mixité sociale au sein du texte. La possibilité qui serait offerte aux associations cultuelles de gérer des biens immobiliers afin d'en tirer des revenus a aussi suscité des réserves. La disposition serait contraire à l'esprit de la loi de 1905, selon les Grands Maîtres.

Après les représentants des cultes chrétiens, juif et bouddhiste, les députés de la commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi "confortant le respect des principes de la République" ont auditionné plusieurs représentants de "courants philosophiques", ce mardi. Derrière cette appellation, six organisations francs-maçonniques et la Fédération nationale de la libre pensée.

D'une manière générale, les intervenants n'ont pas affiché un enthousiasme débordant sur le projet de loi, disant toutefois leur "espoir" qu'il démontre son efficacité. Le troisième grand maître adjoint du Grand Orient de France, Benoît Graisset-Recco, est apparu le plus optimiste, se félicitant de la démarche de l'exécutif dans un contexte de "montée de l'obscurantisme" en France. "La situation a changé", a-t-il indiqué, appelant à ne pas tomber dans "l'angélisme".

Plusieurs orateurs ont à l'inverse déploré le déséquilibre du projet de loi. "Il manque la dimension généreuse de la République. Il y a beaucoup de mesures de police, beaucoup de mesures de contrôles", a ainsi regretté Édouard Habrant, Grand Maître de la Grande Loge Mixte de France. "On ne pourra pas faire l'économie de la lutte pour l'égalité des chances", a-t-il ajouté.

Des réserves partagées

Si, sur plusieurs points, comme l'instruction à domicile, les Grands Maîtres ont affiché des avis divergents, leur jugement a été unanime pour dénoncer certaines mesures. Ainsi de de l'article 28 du projet de loi, qui concerne le financement des associations cultuelles. Le texte voudrait leur donner le droit de posséder et d'exploiter des biens immobiliers dans le but d'en tirer des revenus. Elles auraient alors un "autre objet que la gestion du culte", s'est inquiété Dominique Goussot, vice-président de la Fédération nationale de la libre pensée. "Or c'était un critère essentiel que le législateur avait retenu en 1905. Si on bouge les textes, on va modifier l'équilibre de la loi de 1905", a-t-il avancé.

Cette mesure – mise en avant pour favoriser le financement de l'Islam et de la construction de mosquées – pourrait de surcroît davantage favoriser la religion chrétienne, a également relevé Sylvain Zeghni, conseiller national de la Fédération française de l’Ordre Maçonnique Mixte international Le Droit humain. Il a conseillé de mener une étude sur le patrimoine des différentes religions avant d'avaliser cette disposition. Une proposition partagée par le Grand Officier délégué à la laïcité du Grand Orient de France, Jean Javanni.

Étendre la neutralité des services publics

En ce qui concerne la neutralité des services publics, s'ils ont généralement salué les avancées du texte, les participants de la table ronde se sont prononcés pour étendre la mesure aux collaborateurs et aux accompagnants scolaires.

Beaucoup d'entre eux ont également fait part de leurs doutes quant à l'encadrement des subventions versées aux associations – conditionnées dans le texte au respect de grands principes déclinés dans un "contrat d'engagement républicain". Le système, jugé maladroit, est selon eux difficile à appliquer et à justifier.

Cette loi est strictement faite pour les musulmans. Pierre-Marie Adam, Grand Maître de la Grande Loge de France.

Plus largement, le renforcement des contrôles des associations cultuelles induit par le texte viserait avant tout les associations musulmanes, a jugé le Grand Maître de la Grande Loge de France. L'article 27 du projet de loi, notamment, oblige en effet les associations cultuelles à se déclarer auprès du préfet compétent, afin de pouvoir bénéficier des avantages liés à ce statut. "Personne ne va l'interdire aux juifs, aux catholiques" a ironisé Pierre-Marie Adam. Est-ce qu'un préfet est compétent pour décider du côté cultuel d'une association ?".


En outre plusieurs intervenants se sont étonnés du caractère répressif de certaines mesures. Jean-Pierre Rollet, Grand Maître de la Grande Loge Nationale française, a insisté sur l'importance du "vivre-ensemble", insuffisamment intégré à l'esprit du projet de loi selon lui.

Dominique Goussot a plus précisément jugé "excessive" la mesure de fermeture administrative des lieux de culte, portée par l'article 44.  À l'heure actuelle, une telle mesure ne peut-être décidée à l'encontre d'un lieu de culte qu'à condition que ce dernier ait un lien avec une affaire terroriste. Cette possibilité serait étendue. "Cette disposition fragiliserait l'exercice de liberté de culte", a regretté le vice-président de la Fédération nationale de la libre pensée.

Les députés de la commission spéciale doivent désormais poursuivre leur série d'auditions préalables à l'examen du texte. Parmi les plus attendues, celle du Conseil français du culte musulman (CFCM), initialement prévue le 4 décembre, devrait finalement avoir lieu lundi matin.