Principes de la République : les responsables des cultes réticents face aux nouvelles contraintes

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Eric de Moulins‑Beaufort, président de la Conférence des évêques de France (AFP)
par Jason WielsSoizic BONVARLET, Ariel Guez, le Lundi 4 janvier 2021 à 13:38, mis à jour le Mardi 26 janvier 2021 à 11:37

La commission spéciale créée par l'Assemblée nationale pour examiner le projet de loi "confortant le respect des principes de la République" a auditionné lundi les représentants des cultes chrétiens, juif et bouddhiste. Les responsables du Conseil français du culte musulman devraient être entendus le 11 janvier.

"Ce à quoi nous devons nous attaquer, c’est le séparatisme islamiste." C'est ainsi qu'en octobre dernier, dans un discours prononcé aux Mureaux (Yvelines), Emmanuel Macron avait en substance annoncé le projet de loi, aujourd'hui sur le bureau de l'Assemblée nationale. 

Auditionnés par les députés sur ce texte visant à conforter "le respect des principes de la République", les représentants des différents cultes pratiqués en France ont exprimé des réserves plus ou moins fortes craignant des conséquences collatérales à l'objectif initialement présenté par le président de la République. Le président de la Conférence des évêques de France, Éric de Moulins-Beaufort, a ainsi évoqué un projet de loi "essentiellement répressif", qui n'était "pas réclamé" par la communauté catholique. 

Ce texte destiné, selon le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, à lutter contre "le terreau du terrorisme" va notamment imposer de nouvelles contraintes financières, comptables et administratives aux associations cultuelles. Pour les pouvoirs publics, l'objectif est de mieux contrôler les financements étrangers de la sphère religieuse, mais aussi de mieux démêler les activités cultuelles au sein des associations à "activité mixte", où l'objet religieux est parfois masqué par d'autres activités.

"Sur la multiplication des contrôles en matière fiscale et comptable, notre interrogation à tous c'est pourquoi nous faisons l'objet d'une telle sollicitude ? N'y a-t-il pas d'autres secteurs d'activité auxquels les étendre ?", a aussi déploré l'archevêque de Reims. Selon lui, ces "mesures de contrôle" risquent "de donner l'impression que, finalement, les religions et les croyants sont dans notre pays des gêneurs ou des individus à surveiller"

Les représentants des cultes inquiets de possibles "dégâts collatéraux"

La commission spéciale a aussi entendu le grand rabbin de France Haïm Korsia et le président du Consistoire Joël Mergui. Les échanges avec les députés ont largement tourné autour de l’hypothèse du risque que la lutte contre l’Islam radical puisse compromettre la liberté religieuse, en particulier de "ceux qui ne créent pas de problème". "Aujourd'hui l'ennemi c'est le terrorisme et l'islamisme radical, non pas toutes les religions, a déclaré Joël Mergui. Je ne tolèrerai pas que le judaïsme soit le dégât collatéral d'une règle qui voudrait s'imposer pour limiter l'islamisme radical". "Au-dessus de tout, notre communauté c'est la communauté nationale", a souligné Haïm Korsia. 

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"Le protestantisme alerte et conteste ce projet de loi", a déclaré François Clavairoly, président de la Fédération protestante de France. "Alors que cette loi devait être attrayante (..) la voici rendue encore plus sujette à surveillance et à contrôle", a-t-il regretté. Estimant qu'il y a "effectivement une menace d'un extrémisme qui se réclame de l'Islam", il considère cependant que le champ d'application de la loi n'est pas le bon. 

Il y a un danger et une menace, mais le projet de loi va viser ceux qui jouent le jeu de la République !

Dans son propos liminaire, le responsable de l'Assemblée des évêques orthodoxes Emmanuel Adamakis a lui aussi fait part de ses doutes. Rappelant qu'il était favorable au principe de laïcité et "anti-séparatiste", il a souligné que "le projet de loi en l'état ne peut manquer de soulever des questions".

"Il faut considérer comme légitime l'inquiétude que cause le caractère extrêmement englobant du projet de loi", a estimé le métropolite Emmanuel Adamakis en se référant à l'avis émis par le Conseil d'Etat. "Que le législateur ne veuille pas stigmatiser un culte en soit est légitime, mais en pratique, cela risque de nuire au libre exercice de l'ensemble des cultes", a-t-il indiqué. 

Enfin, le président exécutif de l’Union bouddhiste de France, Olivier Wang-Genh a assuré que les velléités de séparatisme pesant sur ses fidèles étaient pour ainsi dire inexistantes, et ce de par la nature même du bouddhisme, qui prescrit "de respecter les règles du pays dans lequel on est et de donner toujours la priorité à ses lois, les enseignements passant au deuxième plan, d'un point de vue social". De même, sur le risque de radicalisation, Olivier Wang-Genh a tenu à rassurer, déclarant que "l'enseignement même du Bouddha est une médecine pour ne pas tomber dans les vues extrêmes".

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L'immobilier comme nouvelle source de financement

Parmi les dispositions du projet gouvernemental, les dons supérieurs à 10 000 euros venant de l'étranger devront être déclarés à l'administration. Un non-sujet pour l'église catholique, car "c'est nous qui finançons le Saint-Siège, pas le Saint-Siège qui nous finance", a rappelé Éric de Moulins-Beaufort. 

Aujourd'hui, les diocèses français vivent principalement des dons des croyants. Demain, la loi devrait leur ouvrir la possibilité de posséder et d'exploiter des biens immobiliers sans lien direct avec l'exercice du culte. Une réponse à une vieille revendication des responsables religieux qui pourrait renforcer leurs ressources, en percevant par exemple des loyers. La mesure est vivement souhaitée par les protestants selon Jean-Daniel Roque.

"Le ministre nous a fait valoir que cette loi était l'occasion d'apporter un peu de souplesse", a fait savoir de son côté l'évêque catholique, qui dit toutefois préférer "vivre de la générosité des fidèles".

Concernant le financement du culte depuis l'étranger, Emmanuel Adamakis a reconnu que des prêtres orthodoxes étaient rémunérés par des États étrangers, citant notamment l'exemple de la Grèce. "Cela est de plus en plus rare", a-t-il cependant indiqué. Sur ce point, le métropolite a invité les députés à "une distinction entre les pays de l'Union européenne et les pays en dehors de l'UE".

La haine en ligne dans le viseur

Les représentants de la communauté juive sont par ailleurs revenus sur le phénomène de la haine en ligne qui s'est manifesté lors de la dernière élection de Miss France. Un torrent d'antisémitisme s'était alors déversé sur les réseaux sociaux ciblant la première dauphine du concours. Ils ont considéré que la France n'était sans doute pas encore assez déterminée, dans les faits, à lutter contre ce phénomène.

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Le projet de loi devrait à ce titre être le vecteur de nouvelles mesures contre la haine sur Internet. La majorité LaREM compte recycler une partie de la proposition Avia, qui avait été retoquée par le Conseil constitutionnel l'année dernière. Une obligation de retirer les contenus illicite va être proposée par voie d'amendement, avec possibilité de recours devant le juge en référé pour l'auteur du contenu.