Avec la victoire de Donald Trump aux Etats-Unis, l'Europe va devoir "prendre son destin en main", selon les mots de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. L'élargissement de l'UE aux pays de l'Est (Ukraine, Moldavie et Géorgie) fait partie des enjeux rendus plus brûlants par le changement de donne géopolitique, alors que les manœuvres du Kremlin montrent que Vladimir Poutine n'entend pas laisser facilement ces anciens pays du bloc soviétique rejoindre l'Union. Décryptage dans "Ici l'Europe", avec les eurodéputés Nicolae Stefanuta (S&D) et Nathalie Loiseau (Renew).
L'élection de Donald Trump risque-t-elle de menacer l'Ukraine, et plus largement l'élargissement de l'Union européenne à l'Est ? Dans le processus d'adhésion enclenché pour le pays de Volodymyr Zelensky, ainsi que pour la Moldavie et la Géorgie, la victoire du nouveau Président américain vient rebattre les cartes.
"L’élection de Trump montre que l’on doit mieux se mettre dans une position d’autonomie", estime ainsi l'eurodéputé roumain Nicolae Stefanuta (S&D). Pour l'ancienne ministre des affaires européennes, Nathalie Loiseau, "Il est temps pour les européens de passer à l’âge adulte et de nous demander quels sont nos intérêts... Notre intérêt c’est que notre voisinage, Ukraine comprise, se tourne plus vers nous que vers Moscou". "Sur l’intégration, ce n’est pas Trump qui décidera si l’Ukraine rejoindra l’UE", affirme encore celle-ci, désormais eurodéputée du groupe Renew, appelant à "faire plus et plus vite" pour l'Ukraine.
Dans cette bataille du front Est de l'Europe, l'Union a remporté une première manche. En Moldavie, la victoire successive du "oui" au référendum d'adhésion, et la réélection de la présidente pro-européenne Maia Sandu, constituent un signe d'espoir. "Europe 1 – Poutine 0", résume Nathalie Loiseau. Les Moldaves savent où ils veulent aller". Une victoire, malgré les manœuvres de déstabilisation orchestrées par la Russie : "Il y a eu des ingérences massives, de la désinformation, des achats de voix". Des tentatives d'influencer le scrutin qu'explique Nicolae Stefanuta : "Pour Poutine l’ancien espace soviétique c’est sa maison ; il l’a dit depuis 2000. Il veut rétablir sa sphère d’influence en utilisant tous les moyens".
Scénario bien différent en Géorgie. Là c'est le camp pro-russe qui vient de l'emporter aux élections législatives. Un scrutin marqué par des nombreuses irrégularités, d'après des observateurs, dont Nathalie Loiseau, qui témoigne : "J’ai observé dix bureaux de vote avec des intimidations physiques. Devant les bureaux, il y avait énormément de criminels qui avaient été libérés par le gouvernement (...) pour intimider les électeurs. Il y avait des listes et ils cochaient quand les électeurs venaient. Certains prenaient en photo leur bulletin de vote pour pouvoir prouver qu’ils avaient bien voté".
La victoire contestée du parti pro-russe "Rêve géorgien" a néanmoins été saluée par un dirigeant européen : le Premier ministre hongrois Viktor Orban, qui s'est rendu à Tbilissi pour s'en féliciter. "Ce qu'a fait Orban est un affront à l'Europe" réagit Nicolae Stefanuta. Pour Nathalie Loiseau, "Les géorgiens sont en train de se faire voler leur liberté, leurs aspirations démocratiques et européennes".
Dans ces conditions, la question du processus d'adhésion de la Géorgie, déjà suspendu après le vote par le parti au pouvoir d'une loi inspirée de la Russie sur les médias, se pose. "L’UE avait déjà envoyé des signaux pour dire 'Si vous avez des reculs démocratiques vous n’allez pas vers l’UE'. On va rester fermes sur cette position", affirme Nathalie Loiseau.
Pour autant, la nécessité d'intégrer ce pays, comme l'Ukraine et la Moldavie, demeure pour les Européens. "On a le choix entre l’élargissement de l’UE et son encerclement. On voit bien que ce qui se passe en Géorgie c’est que Poutine veut nous encercler de pays qui ne nous sont pas favorables", explique ainsi l'eurodéputée française.
Pour Nicolae Stefanuta, chaque processus d'adhésion doit cependant être regardé différemment. "Les pays qui démontrent leur intérêt, qui font des réformes, ils le méritent". L'élu roumain appelle ainsi à "ne pas les tromper" et respecter ce que l'on a promis : "sinon ils se tournent eux-mêmes vers la Russie".
Une perspective d'adhésion dont l'horizon a été fixé à 2030 par le Président du Conseil européen, Charles Michel. Une échéance critiquée par Nathalie Loiseau, qui la juge "artificielle". "Une date décidée à l'avance n'a aucun sens", estime-t-elle. Pour l'ancienne ministre française des affaires européennes, l'Union va aussi devoir se réformer et "changer sa gouvernance" si elle veut intégrer ces nouveaux pays.