Un rapport parlementaire propose des pistes pour assurer l'avenir du secteur aéronautique

Actualité
Image
Joan Valls / NurPhoto / NurPhoto via AFP
par Maxence Kagni, le Mercredi 12 janvier 2022 à 08:57, mis à jour le Mercredi 12 janvier 2022 à 14:23

Rendu publique mercredi, le rapport de la mission d'information sur l'avenir du secteur aéronautique en France souligne la nécessité de favoriser les progrès technologiques, comme le développement des carburants durables, pour développer un secteur qui doit accélérer sa décarbonation.

Jean-Luc Lagleize en est certain : "L'aéronautique fait toujours rêver." "Le secteur reflète ce que l'industrie française fait de meilleur en conjuguant excellence des savoir-faire et rayonnement international", souligne le député Modem, qui, aux côtés de la co-rapporteure Sylvia Pinel (apparentée Libertés et Territoires), a présenté ce mercredi le rapport de la mission d'information sur l'avenir du secteur aéronautique en France.

Les deux élus ont dressé, après avoir mené près de 70 auditions, un panorama d'un "fleuron industriel français" mis en danger par la crise du Covid mais aussi par la prise en compte de l'urgence climatique. La commission des affaires économiques a validé mercredi matin la publication de ce rapport qui formule 43 propositions visant à garantir la survie du secteur aéronautique et son développement.

Balance commerciale

"L'aéronautique emploie des compétences partout en France, et pas qu'à Toulouse", précise en préambule Jean-Luc Lagleize, interrogé par LCP. Ainsi, l'élu de Haute-Garonne explique que 30% des emplois du secteur aéronautique et spatial se trouvent en Île-de-France, 27% en Occitanie et 10% en Nouvelle Aquitaine. "C'est le premier facteur de contribution à la balance commerciale française", analyse le député.

Seulement le secteur subit de plein fouet la crise sanitaire. Avant la Covid-19, le taux de croissance du trafic aérien mondial était estimé à +5% par an. En septembre 2021, le trafic de passagers internationaux était toujours inférieur de 69,2% à son niveau de septembre 2019. La baisse est tout aussi significative en France : le nombre de passagers a chuté de 67,7% sur les 9 premiers mois de 2021 par rapport à la même période en 2019. "La reprise du trafic à son niveau d'avant-crise est estimé à 2024 au plus tôt et demeure largement incertaine", a précisé Jean-Luc Lagleize, devant ses collègues de la commission des affaires économiques.

Des chiffres qui ont, évidemment, un impact économique : en 2020, le chiffre d'affaires du secteur aéronautique et spatial a subi une baisse de 30%, tandis que ses effectifs ont fondu de 8%, soit 23.300 salariés en moins.

Le défi climatique

En plus de la crise sanitaire, le secteur doit faire face aux conséquences de sa contribution au réchauffement climatique : "Même si le transport aérien ne représente que 2 à 3% des émissions mondiales de gaz à effets de serre, il faut évidemment réduire drastiquement ses conséquences sur l'environnement, afin d'atteindre la neutralité carbone à l'horizon 2050", a expliqué en commission Jean-Luc Lagleize. Selon le Haut conseil pour le climat, ces émissions ont bondi de 38% depuis 1990.

"La filière doit accélérer les efforts de décarbonation, efforts qu'elle a engagés depuis longtemps", a ajouté Jean-Luc Lagleize. Ainsi, selon les rapporteurs, même si les émissions de CO2 du secteur ont augmenté de 28,5% entre 2010 et 2018, le trafic a pour sa part augmenté de 153%. Par ailleurs, la consommation de kérosène par passager-kilomètre a été divisée par deux en trente ans.

L'élu de Haute-Garonne explique que le travail de la mission d'information a permis de se pencher sur ce que sera "l'avion de demain". Ainsi, dans quelques années, des avions électriques pourront être déployés pour les vols intérieurs et des avions à hydrogène permettront de voyager dans l'espace aérien européen. Quant aux vols intercontinentaux, ils se feront dans des avions fonctionnant avec du carburant "qui peut être propre, comme de l'e-fuel". Les rapporteurs estiment donc nécessaire d'aider financièrement les "acteurs innovants" qui travaillent sur la production d'avions électriques, grâce à des "fonds spécialisés".

L'avion électrique peut devenir un outil essentiel du désenclavement du territoire. Jean-Luc LAGLEIZE

Mais "la technologie la plus rapide, la plus simple" est la production de carburants "propres", analyse Jean-Luc Lagleize, qui explique que les avions actuels sont déjà capables d'en embarquer à leur bord. Ainsi, les deux élus proposent de maintenir les efforts de recherche et développement pour "assurer que les moteurs d'avion en cours de développement soient compatibles à 100% avec les carburants durables d'aviation (SAF)".

Ces carburants "permettraient de réduire les émissions de près 80% par rapport au kérosène", a expliqué Sylvia Pinel, qui a évoqué une "ressource majeure de décarbonation du secteur", "la seule disponible pour les longs-courriers". "Nous sommes convaincus que les progrès technologiques et leurs applications opérationnelles permettront de décarboner le transport aérien", a également commenté Jean-Luc Lagleize.

Communication ambitieuse

Pas question, en tout état de cause, de lâcher la filière : "La France est quasiment le seul pays à posséder les compétences nécessaires pour fabriquer un avion de A à Z, c'est un avantage compétitif certain qui doit inciter à soutenir ce secteur et en faire le leader de l'aviation de demain", a déclaré Sylvia Pinel.

Les deux rapporteurs proposent de "poursuivre les efforts de consolidation" du secteur, "en particulier grâce aux fonds dédiés, tout en veillant à prendre en compte les conséquences sociales de ces restructurations". "Le plan France 2030 sera le nouveau cadre de soutien à l'avion bas carbone", a expliqué Jean-Luc Lagleize. Le rapport propose également d'inclure les TPE de la filière aéronautique dans les entreprises éligibles au rallongement de la durée d'amortissement du prêt garanti par l'Etat (PGE) de 6 à 10 ans.

"Il nous faut valoriser les atouts de la filière sur la scène européenne et internationale", a ajouté Sylvia Pinel, qui veut s'appuyer sur "la présidence française de l'Union européenne". L'élue compte également sur la 41e session de l'assemblée de l'organisation de l'aviation civile internationale (OACI), prévue à l'automne 2022, pour "encourager l'adoption d'objectifs contraignants de décarbonation au niveau international" afin d'éviter les distorsions de concurrence.

Les deux rapporteurs estiment en effet que la France, mais aussi l'Union européenne, ont "tendance à sur-réglementer par rapport à d'autres pays". Une politique qui a des effets néfastes, assure Jean-Luc Lagleize, puisque les voyageurs peuvent se tourner vers des compagnies étrangères moins chères mais moins respectueuses de l'environnement.

Autre proposition : mettre en place un mécanisme d'incitation fiscale au renouvellement des flottes permettant l'acquisition d'avions moins polluants par les compagnies aériennes. "Je suis pour un appel à la vertu par des incitations et non pas par de la taxation", explique à LCP Jean-Luc Lagleize. Actuellement, les nouveaux aéronefs consomment 15 à 25% de kérosène de moins que ceux de la génération précédente, "et on peut espérer jusqu'à 30% d'amélioration sur les futures générations".

Sylvia Pinel et Jean-Luc Lagleize proposent aussi de "mettre en place des actions de communication plus ambitieuses" visant à "porter à la connaissance du grand public les efforts continus du secteur pour décarboner l'aviation". Les pilotes pourraient également communiquer aux passagers des indicateurs sur le bilan environnemental du vol, en chiffrant l'amélioration de la performance permise par l'emploi d'une technique particulière.

La critique de Delphine Batho 

Les rapporteurs ont notamment reçu le soutien de Mickaël Nogal (La République en marche), qui a salué un travail qui "rétablit certaines vérités dans un contexte parfois d'aéro-bashing". Delphine Batho (non inscrite) a été la plus critique vis-à-vis du travail de ses collègues : "Il faut aborder l'empreinte écologique de l'aviation et du trafic aérien d'un point de vue scientifique, ce qui n'est pas le cas dans le rapport", a déploré l'ancienne ministre, qui estime que les émissions de gaz à effets de serre du trafic aérien sont de l'ordre 8 à 10% et non pas de 2 à 3%. "C'est le moyen de transport le plus polluant", a encore expliqué la députée des Deux-Sèvres, appelant à être "lucide sur le constat".

L'aveuglement n'est pas une option. Delphine Batho

"Nous sommes dans une urgence climatique absolue, ce qui compte c'est la réduction des émissions de gaz à effets de serre entre maintenant et 2030", a ajouté Delphine Batho, qui a dénoncé le "bluff" de développements technologiques promis dans le futur et qui "évitent ce que nous avons à faire tout de suite". Selon elle, la solution est simple : "Réduire volontairement le trafic aérien."

Un point de vue partagé par Cédric Villani (non inscrit) : "Le seul levier qui garantit rigoureusement la décarbonation du secteur c'est la forte réduction de la quantité de voyages, dire cela c'est juste constater l'état de la science et les ordres de grandeur.

Des remises en causes rejetées par Jean-Luc Lagleize, qui a comparé ces critiques avec l'impact environnemental du secteur du bâtiment : "Le logement, aujourd'hui, produit dix fois plus de gaz à effets de serre que l'avion et si on disait que l'on allait mettre les Français dehors et détruire leurs logements parce qu'ils sont trop polluants en ne leur en proposant pas d'autres, je pense que ce serait assez mal vécu", a rétorqué le rapporteur.