Six notes de musique marquantes, des publicités de légende… la marque DIM fait partie de notre inconscient collectif. Une marque rare qui a su accompagner comme aucune autre la libération et l'égalité des femmes. Derrière cette marque, son créateur Bernard Giberstein, un homme au destin hors du commun.
Alors qu'en raison d'un numerus clausus à l'encontre des Juifs en Pologne il est contraint de s'exiler en Belgique pour effectuer ses études d’agronomie, la guerre éclate le 1er septembre 1939. Il s'engage dans l'armée polonaise en exil pour combattre le nazisme aux côtés de l'armée française. Lorsque la France capitule, il rejoint la Résistance et sauve des dizaines de familles juives en les faisant passer en Suisse au péril de sa vie.
Au lendemain de la guerre, audacieux et visionnaire, il saisit l'opportunité des bas nylon que les GI's distribuent aux Françaises à la Libération pour se lancer dans la fabrication de bas "chics et pas chers" sous la marque "Bas Dimanche". Très vite, le succès est au rendez-vous et les innovations se succèdent : le bas sans couture, le chapelet de 10 bas à 10 francs et bien sûr le collant, qui va libérer les jambes des femmes : "Dimanche" devient DIM. Industriel doté d'un sens inné du marketing, Bernard Giberstein est aussi précurseur sur le plan social. Il instaure avant tout le monde l'égalité homme-femme et la participation aux bénéfices dans l'entreprise, suscitant un réel sentiment d'appartenance de ses salariés. C'est ainsi qu'à l'aube des années 70, DIM devient le n°1 mondial du collant.
Mais derrière la formidable réussite de Bernard Giberstein se cache un drame : toute sa famille restée en Pologne a été exterminée par les nazis lors de Shoah. Une blessure secrète qu'il va enfouir au plus profond de son cœur : les traumatismes et les démons pour un temps colmatés finiront par le submerger...
Dans son film Daniel Giberstein nous raconte, en son nom et celui de son frère Michel, l'histoire extraordinaire de leur père Bernard Giberstein, de sa Pologne natale à DIM, abordant avec pudeur le lourd fardeau du "silence des tableaux".
Sur le thème "Derrière DIM, un capitaine d'industrie...", avec :
Daniel Giberstein, réalisateur du documentaire.
Diffusions :
A quel moment réaliser un film sur votre père est apparu comme une nécessité pour vous ? Quel en a été le déclencheur ?
Ce film est né de la promesse d’un soir faite à ma mère en 2014, peu de temps avant son décès, de réaliser un film sur la vie de mon père. Ce film lui est d’ailleurs dédié. Mais le premier élément déclencheur a été un message d’un cadre de DIM écrit dans le livre d’or d’un hommage rendu à mon père en 1992 au siège de la société : « À mon Maître Bernard Giberstein à qui je dois tout, et surtout la vie, car pendant la guerre il a sauvé la vie de toute notre famille ». Je n’avais pas compris à l’époque à quoi il faisait allusion mais je ne l’avais pas oublié lorsque, une quinzaine d’années plus tard, en 2008, ma mère a reçu une carte de l’épouse d’un autre collaborateur de mon père commençant ainsi : « Mon mari doit sa carrière à votre mari, mais ma famille et moi nous lui devons la vie », puis elle racontait comment mon père leur avait sauvé la vie pendant la guerre et comment, par le plus grand des hasards, elle avait découvert que son sauveur n’était autre que le patron de son mari ! Bien entendu apprendre dans ces conditions les actions héroïques de mon père m’a ému aux larmes et décidé à en savoir plus. C’est à partir de là que mes recherches ont commencé. J’ai rencontré l'historienne Ruth Fivaz, spécialiste des passages en Suisse, je me suis rendu à Varsovie sur les lieux où ont vécu mon père et sa famille, en Belgique à Gembloux où il a suivi ses études d’ingénieur agronome, j’ai consulté quantité de documents aux archives départementales de Savoie et de Haute Savoie etc… et appris énormément de choses que je ne savais pas. Mais bien sûr il reste encore de nombreuses zones d’ombre. Simultanément j’ai souhaité aller à la rencontre de ses anciens collaborateurs chez DIM qui m’ont raconté avec émotion l’inoubliable aventure industrielle qu’ils ont vécue du temps de mon père.
Votre père était pionnier dans bien des domaines, et notamment pour l’émancipation des femmes, à travers l’égalité des salaires, leur évolution professionnelle et leur rôle dans la société française. Lorsque vous étiez enfant, vous en parlait-il, comment avez-vous personnellement perçu son engagement ?
Mon père s’est toujours battu pour défendre les valeurs de liberté. Pendant la guerre il a combattu le nazisme. Après la guerre il a mis le collant au service de la libération de la femme. Chez DIM il a toujours considéré la femme comme étant l’égale de l’homme. Je peux vous raconter une anecdote : alors que le directeur de l’usine DIM de Nantes venait de décéder, sa femme qui était son assistante a appelé mon père en lui demandant s’il savait déjà qui allait le remplacer ? « Et bien c’est vous bien sûr ! » lui a répondu mon père. En effet il ne faisait aucune différence dans ses choix entre un homme et une femme, dès lors qu’il sentait la personne capable d’assumer les responsabilités qui lui étaient confiées.
Vous expliquez dans votre documentaire comment votre mère, Sarah, a été sauvée de la déportation par Abraham Drucker, le père de Michel Drucker. Avait-elle conservé un lien avec lui après-guerre ou avez-vous découvert tardivement cette part de son histoire ?
Dès que Michel Drucker est apparu à la télévision à la fin des années 60 ma maman m’a dit, « C’est incroyable, c’est son père le Docteur Abraham Drucker qui m’a sauvé la vie à Drancy. Il avait été arrêté comme juif et nommé Médecin chef du camp. Il essayait d’aider tout le monde et il m’a sauvé la vie ». Puis les années passant, ma mère me disait « c’est bizarre Michel est très discret sur le fait qu’il est juif et pourtant son père parlait un yiddish parfait ». On ne savait pas à l’époque ce que Michel racontera par la suite dans son livre Qu’est-ce qu’on va faire de toi ? : que son père, traumatisé par la barbarie qu’il avait subi pendant la guerre, pour protéger ses fils avait tenté de découdre l’étoile jaune de leur histoire familiale, allant jusqu’à leur faire faire leur communion. C’est donc au moment de la sortie de son livre, il y a une quinzaine d’années environ, que j’ai pris ma plume pour lui raconter l’histoire de ma maman. Il m’a immédiatement répondu et souhaité la rencontrer. Par la suite il a entretenu une relation quasi filiale avec ma maman qu’il appelait sa « Maman Sarah » et lui a rendu de nombreuses visites alors qu’elle était malade à la fin de sa vie. Malheureusement les parents de Michel étaient déjà décédés et la rencontre entre ses parents et ma maman n’a pas pu avoir lieu. Comme il le dit lui-même « on est toujours rattrapé par ses racines qui finissent par remonter à la surface » et depuis que nous nous connaissons, il a été de plus en plus sensibilisé à son identité juive. Je pense que Michel est touché par mon film car nous partageons les mêmes traumatismes hérités malgré nous du silence de nos pères…
Votre père, comme vous le signalez dans le documentaire, ne vous parlait pas de sa jeunesse et de l’extermination de sa famille par les nazis ou de son rôle dans la Résistance. Reste-il encore des zones d’ombres dans l’histoire de votre famille ou ce film vous a-t-il permis de tout éclairer ?
Grâce à ce film, j’ai appris énormément de choses que mon père ne nous avait pas dites sur sa vie pendant et avant la guerre. Mais il m’était impossible de tout dire dans un film d’une heure. Je ne vous citerai qu’un exemple : lors de son arrestation à Chambéry en août 44, dans le film il est dit que les FFI qui par miracle libèrent Chambéry le même jour l’ont sauvé in extremis. Cela est vrai. Mais il s’est produit un autre miracle ce même jour : parmi les 18 fusillés, l’un d’entre eux n’est que blessé. Terrorisé et craignant d’être achevé, il réussit à faire le mort. Et lorsque les Allemands vont chercher à la prison les derniers détenus, dont mon père, il parvient à s’échapper et c’est lui qui prévient les FFI. Sans ce 1er miracle mon père n’aurait pas été sauvé. Mais il en faut plus pour calmer les ardeurs de mon père. Sous son nom de résistant Jacques Simon, il est reparti en mission…
J’ai donc retrouvé de nombreuses archives très précieuses. Parmi elles les lettres de sa famille en polonais envoyées à mon père de Varsovie puis de Bialystok. C’est dans ces lettres que j’ai appris qu’ils avaient fui Varsovie début 40 pour se réfugier à Bialystok en zone russe moins dangereuse pour les juifs. Mais en juin 41, lorsque le Pacte Germano-Soviétique a été rompu, les Allemands ont pris le contrôle de la zone russe et ont immédiatement massacré les Juifs en rassemblant un millier d’entre eux dans l’église de Bialystok avant d’y mettre le feu. Ma famille faisait-elle partie de ceux-là ? Ou bien a-t-elle été déportée à Auchwitz pour y être exterminée ?
Je ne sais pas non plus précisément combien de familles il a sauvées en les faisant passer en Suisse. On peut supposer qu’il a peut-être sauvé 500 personnes ou même plus...
De même je sais qu’il a été arrêté à Lyon en décembre 43, où il a été torturé et emprisonné et qu’il est parvenu à s’évader, mais comment et dans quelles circonstances ? Il me resterait encore toutes ces questions et bien d’autres à lui poser…
DIM fait partie des marques de référence et de l’imaginaire de tous les Français. Pourtant, le nom de votre père n’y est pas forcément associé ni connu du grand public. Ce film est-il aussi pour vous une manière de remettre en lumière le rôle majeur de votre père dans l’industrie française et à l’international ?
Mon père avait l’humilité de ceux qui ne cherchent pas à faire valoir ce qu’ils font. Il se lançait en permanence de nouveaux défis et était constamment dans l’action. La notoriété ne l’intéressait pas. De ce fait il n’a pas obtenu de son vivant la reconnaissance qu’il aurait pourtant méritée. J’ai effectivement à cœur de remettre en lumière le rôle majeur de mon père dans l’industrie française et souhaite qu’il puisse être une source d’inspiration pour de nombreux nouveaux jeunes entrepreneurs.
Je reste intimement persuadé que c’est dans le souvenir des siens que mon père a puisé la force et l’énergie de sa réussite. Seul il s’est lancé dans une course effrénée, qu’on appelle sans doute résilience, colmatant un temps les fêlures qui vont finir par le submerger. Il a su affronter le pire pour construire le meilleur et rendre en bien tout le mal qu’on lui avait fait. Il y a aussi une certaine fierté que la marque DIM soit encore aujourd’hui la marque leader sur les marchés du collant, de la lingerie et du sous-vêtements masculin.