Le 18 décembre, lors du Conseil européen à Bruxelles, les 27 devraient donner leur feu vert à l’accord commercial avec les pays du Mercosur. Prise en étau entre les droits de douanes américains et la Chine, l’Union européenne cherche de nouveaux débouchés pour son industrie et son agriculture. Mais certains pays, comme la France, craignent un dumping sur les prix et les normes environnementales. Alors l’accord avec le Mercosur est-il un bon deal pour l’UE ? « Ici l’Europe » ouvre le débat, avec les eurodéputés Saskia Bricmont (Les Verts/ALE, Belgique) et Charles Goerens (Renew, Luxembourg).
C'est l'accord des désaccords. Opportunité majeure pour les uns, danger pour les autres : l'accord commercial avec les pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay et Paraguay) divise les députés européens. "Il faut lui donner sa chance", plaide le luxembourgeois Charles Goerens, qui justifie sa nécessité dans le contexte géopolitique actuel : "L’UE est laminée entre le dumping chinois et le protectionnisme américain. C’est la raison pour laquelle nous devons diversifier nos canaux d’échange (...). Lorsque le moteur transatlantique tombe en panne, il faut trouver d’autres voies". Et ce, "d'autant que l'UE est tributaire plus que quiconque de l’ouverture des marchés", souligne l'eurodéputé Renew.
Face à lui, l'écologiste Saskia Bricmont a le sentiment inverse : pour elle, cet accord ne répond pas aux impératifs du moment : il a été "négocié sur la base d’un mandat de plus de 25 ans qui ne répond pas aux enjeux climatiques" argue-t-elle. "En multipliant ce type d’accords de libre-échange, on augmente nos dépendances et on met aussi en danger des secteurs" poursuit-elle, citant l'exemple américain et les droits de douanes venus se refermer sur les exportateurs européens sous l'ère Trump. Pour l'eurodéputée belge, "conclure des accords tous azimuts pour se positionner dans le monde et essayer de faire concurrence aux Chinois et aux Américains n’est pas la bonne solution".
Au-delà du débat géopolitique et commercial, c'est surtout la question des retombées, positives et négatives, qui fait débat. Charles Goerens le reconnaît lui-même : "Cet accord est à la fois une partie de la solution et une petite partie du problème". Parmi les points positifs, l'élu Renew cite les appellations d'origine protégées, reconnues par l'accord. "Pour les produits les plus transformés [vins, fromages], cela va être un boost pour la production européenne", veut-il croire. "Pour la viande, en revanche, cela va grever les prix en Europe", reconnaît le luxembourgeois.
"Des prix bas au détriment de la qualité et de l’emploi en Europe c’est un problème", renchérit Saskia Bricmont. Pour elle, l'accord va faire des gagnants et des perdants, mais "l’effet bénéfique escompté est largement en deçà de tous les effets négatifs". L'élue Verte cite ainsi l'exemple de la chimie, dénonçant une "hypocrisie sans pareil : l’UE continue à produire des produits chimiques interdits chez nous (...) qu’on va exporter vers les marchés du Mercosur [puis] réimporter via des produits transformés et issus de l’agriculture ici en Europe ! ".
Pour tenter de rassurer, la Commission a cependant prévu une série de mesures. Des quotas d'abord, au-delà desquels les droits de douanes préférentiels prévus par l'accord cesseront de s'appliquer. "Ce qu’il faut voir, c’est l’impact de tous les accords commerciaux dans leur ensemble", souligne Charles Goerens : "Il y a le Canada qui exporte de la viande bovine vers l’Europe, les USA… On a essayé de limiter la casse !" avec ces quotas, estime-t-il.
"C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase" s'indigne face à lui Saskia Bricmont, pour qui ces quotas ne sont pas suffisants. "Ce sont des produits qui vont être importés à des coûts plus bas que ceux sur le marché européen car les conditions sociales et environnementales ne sont pas les mêmes". L'eurodéputé dénonce une forme d'injustice pour les agriculteurs européens : "Nous faisons énormément d’efforts sur nos fermes (...) et on leur dit : tous vos efforts vont être sapés !".
Le jugement de l'eurodéputée écologiste est aussi sceptique sur la clause de sauvegarde promise par la Commission, à la demande en particulier de la France : "Quand on analyse la clause avec les syndicats agricoles, on constate qu’elle n’est pas effective, car les conditions sont telles qu’elle n’est pas opérationnelle", juge-t-elle. "C’est notre travail au Parlement européen d’amender cette clause".
De fait, après le conseil européen des chefs d'États le 18 décembre, et si l'accord est avalisé, le vote du Parlement sera requis. Les eurodéputés espèrent ainsi pouvoir corriger en partie la copie. "Il y a une réelle volonté de la Commission de tenir compte des soucis exprimés par les parlementaires européens", veut croire Charles Goerens. Le débat sur l'accord du Mercosur est donc loin d'être terminé.