Affaire Sarah Halimi : la commission d'enquête de l'Assemblée nationale achève ses travaux dans la dissenssion

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Une manifestation à Lyon en avril 2021 demandant justice pour Sarah Halimi
Une manifestation à Lyon en avril 2021 demandant justice pour Sarah Halimi (PHILIPPE DESMAZES / AFP)
par Raphaël Marchal, le Mercredi 12 janvier 2022 à 10:41, mis à jour le Jeudi 13 janvier 2022 à 17:36

Les députés de la commission d'enquête sur l'affaire Sarah Halimi ont rendu public leur rapport, ce mercredi 12 janvier 2022. Le document conclut à l'absence de "dysfonctionnement grave" de la part la police et de la justice dans l'affaire de l'assassinat de la sexagénaire juive en 2017. Un constat que ne partage pas le président de la commission d'enquête, Meyer Habib (UDI et indépendants), qui relève pour sa part des défaillances à tous les niveaux. 

Près de cinq ans après les faits, l'émotion n'est pas encore retombée. En avril 2017, Sarah Halimi, sexagénaire juive, était assassinée à Paris, provoquant une onde de choc au sein de la communauté juive en particulier et du pays en général. Incompréhension ravivée par le sort du meurtrier, Kobili Traoré, l'enquête pénale ayant retenu son irresponsabilité pénale au moment des faits. Une décision confirmée en appel, puis en cassation en avril 2021, le caractère antisémite du crime étant néanmoins retenu.

L'objectif de la commission d'enquête de l'Assemblée, qui rendait publiques ses conclusions mercredi 12 janvier 2022, était d'identifier d'éventuels dysfonctionnements de la police et de la justice. Un exercice difficile, comme le reconnaît la rapporteure, Florence Morlighem (La République en marche), qui y a vu la nécessité d'"apprécier le bon déroulement d’une procédure judiciaire, replacée dans son contexte, sans remettre en cause l’indépendance de notre justice, ni l’autorité de la chose jugée".

Pas de "dysfonctionnement grave" mais des "failles"

Écartant tout "dysfonctionnement grave", la rapporteure a toutefois identifié des "failles" dans l'intervention de la police, et a proposé des pistes pour les corriger. Parmi ses principales recommandations, Florence Morlighem souhaite notamment améliorer la communication entre les unités déployées et le commandement, une révision de la doctrine d'intervention en cas de séquestration ainsi que la garantie de l'accès universel des forces de l'ordre aux immeubles grâce à un passe. Des éléments qui peuvent expliquer, au moins partiellement, le retard pris pour que les policiers interviennent, alors qu'ils sont arrivés avant le meurtre de la retraitée.

Concernant le volet portant sur la justice, le rapport pointe là encore plusieurs interrogations, au niveau de l'enquête et de l'instruction. "Certaines décisions et comportements ont laissé planer un doute sur l’impartialité et la volonté de la justice de faire toute la lumière sur l’affaire Sarah Halimi, ce qui est dommageable pour l’institution", écrit la rapporteure, citant notamment l'absence de reconstitution ou la reconnaissance tardive du caractère antisémite du crime. Concernant ce dernier point, elle propose d'accélérer la procédure pour que le juge d'instruction puisse requalifier des faits.

Enfin, le rapport analyse les divergences entre les expertises psychiatriques ayant guidé la justice vers la déclaration d'irresponsabilité pénale. Sans conclure, là encore, à des dysfonctionnements particulièrement prégnants.

Des désaccords au sein de la commission d'enquête

Il est rare qu'une commission d'enquête se penche sur une affaire judiciaire en particulier, afin que l'équilibre des pouvoirs comme le rôle de la justice soient respectés. Si cette dernière a pu voir le jour, c'est uniquement parce que la procédure judiciaire s'est éteinte par la décision de la Cour de cassation. Il n'en reste pas moins que les conclusions de l'instance étaient particulièrement attendues par la société civile comme par le monde judiciaire, l'écueil étant de ne pas vouloir "refaire le procès".

Cette crainte s'est "en partie matérialisée", pour Florence Morlighem. "Une grande partie des travaux ont porté sur la décision même des magistrats en charge du dossier, conduisant à remettre régulièrement en cause l’autorité de la chose jugée et les conclusions des experts", déplore-t-elle dans son rapport. Au point d'évoquer des "dysfonctionnements internes", mettant en cause le président de l'instance, Meyer Habib (UDI et indépendants). En outre, selon elle, les propos tenues par certaines personnalités "problématiques" auditionnées ont pu parfois friser le complotisme.

Revoir le périmètre des commissions d'enquête

De fait, l'existence de la commission d'enquête n'a pas été un long fleuve tranquille : le rapporteur initial de l'instance, Didier Paris (LaREM), a démissionné à la suite d'un désaccord avec Meyer Habib, ce dernier ayant divulgué sur les réseaux sociaux le contenu d'une audition à huis clos. La qualité des travaux de la commission a été "impactée du fait du climat instauré par son président", Meyer Habib s'étant "affranchi des règles d'impartialité et de neutralité", écrit pour sa part Aurore Bergé (LaREM) dans une contribution annexée au rapport.

Dans une interview accordée à LCP, elle affirme regretter que les travaux de la commission aient pâti de la manière dont la présidence les a organisés, bousculant selon elle les agendas à la dernière minute et monopolisant la parole. "Le président de la commission voulait qu'on se rende à l'hôpital psychiatrique pour auditionner [le meutrier de Sarah Halimi], quelqu'un qui est sous traitement", explique Aurore Bergé. "Cette confusion des genres est de manière à entraver ce que doit être le travail parlementaire."

Tirant les conséquences de cette expérience contrastée, la première recommandation de la rapporteure est d'ailleurs d'encadrer davantage l'objet des commissions d'enquête, afin que celles-ci ne puissent porter une appréciation sur la décision d'une affaire définitivement jugée. Et ce afin d'éviter un effet "contre-enquête" au risque d'empiéter sur le travail de la justice.

Un "manque de coopération" au sein de la commission ?

Ecartant ces critiques et ulcéré par ce qu'il considère être un mauvais procès à son égard, Meyer Habib n'a pas voté les conclusions du rapport, qu'il ne partage que partiellement, comme il l'a expliqué lors d'une conférence organisée mercredi. Dans l'avant-propos du rapport, il charge le "manque de coopération" des membres de la commission d'enquête, allant jusqu'à accuser certains d'avoir voulu "masquer une partie de la vérité", "protéger quoi qu'il advienne les services de l’État" et "dissiper les doutes légitimes" et dysfonctionnements, selon lui, mis en lumière.

Lors de la conférence de presse, le député a procédé à une analyse complète de chacune des étapes de l'affaire, soutenu par François Pupponi (MoDem). Non-intervention des policiers arrivés avant le meurtre, doute sur certains témoignages de policiers qui affirment ne pas avoir entendu les cris de Sarah Halimi sur place, absence d'investigation interne au sein de la police, absence de reconstitution orchestrée par la justice, contre-expertise demandée par la juge d'instruction... À chaque moment clé, Meyer Habib affirme identifier des dysfonctionnements en cascade. Remettant en question l'abolition du discernement du meurtrier, il insiste au contraire sur les éléments qui laisseraient entendre, selon lui, la préméditation de Kobili Traoré.

Un rapport "empêtré dans ses propres contradictions"

Plus mesurée, Constance Le Grip (LR) a pour sa part regretté que le rapport "louvoie en permanence" : "il est empêtré dans ses propres contradictions, [...] comme s'il y avait des écueils à éviter", s'est elle étonnée lors de conférence de presse. Jugeant le document "extrêmement décevant", elle a pointé une espèce "d'en même temps navrant : ni dysfonctionnement, ni absence de dysfonctionnement, bien au contraire." L'élue LR a demandé pour sa part que les reconstitutions deviennent obligatoires dès lors que l'une des parties le demande.

Le rapport a été adopté le 6 janvier par la commission d'enquête, par 7 voix pour sur 12, permettant ainsi sa publication.