Le passage de l'ISF (impôt de solidarité sur la fortune) à l'IFI (impôt sur la fortune immobilière) a permis aux contribuables très aisés d'économiser en moyenne 6 500 euros selon le comité d'évaluation des réformes de la fiscalité du capital. Pour les experts, il est encore trop tôt pour savoir si cet argent a été réinvesti dans l'économie.
Emmanuel Macron misait sur la fin de l'ISF pour doper l'économie. Pari gagné ou perdu ? Il est beaucoup trop tôt pour le dire, selon le comité* chargé de suivre la réforme de la fiscalité du capital qui a rendu mardi ses premières conclusions.
Lors du débat sur la réforme de la taxation du capital, en début de quinquennat, le gouvernement prévoyait que celle-ci génère, à long terme, 0,5 point de PIB et 50 000 emplois.
En pleine crise des Gilets jaunes, le président de la République lui-même a fait de l'évaluation de cette mesure une priorité :
"L'ISF doit faire partie de ce débat et sa réforme doit être évaluée. (...) Les parlementaires, dont c'est le cœur de métier, vont regarder ce qui marche et ce qui ne marche pas, insiste @EmmanuelMacron. Sur ces sujets, il faut être d'un grand pragmatisme."#Bourgtheroulde pic.twitter.com/RLygCuJ28j
— LCP (@LCP) January 15, 2019
Les experts, qui ont pu accéder pour la première fois à la base anonymisée des 38 millions de foyers fiscaux de Bercy depuis juin, demandent encore au moins deux ans avant de pouvoir trancher cette question. Cependant, ils tirent déjà plusieurs leçons de la transformation de l'impôt de solidarité sur la fortune en impôt sur la fortune immobilière, mais aussi de l'instauration d'un prélèvement forfaitaire unique (PFU) à 30% sur les revenus financiers.
Alors que l'ISF était payé par 358 000 foyers en 2018, le profil des grands gagnants de la fin de l'ISF a pu être affiné :
L’étude conduit à estimer que les 5 % des ménages les plus aisés perçoivent 57 % des gains, et que quatre ménages gagnants sur cinq se situent parmi les 15 % les plus aisés.Premier rapport du comité d'experts, 1er octobre 2019
En moyenne, le gain annuel moyen est de l’ordre de "6 500 euros de niveau de vie". Le comité calcule aussi que "les contribuables à l’ISF ont bénéficié de baisses d’impôt importantes, y compris ceux qui sont aujourd’hui imposables à l’IFI : en moyenne, l’impôt acquitté a été divisé par trois et demi".
La mise en place du PFU bénéficie aussi sans surprise aux plus aisés, avec la même dispersion : "Les gains fiscaux seraient concentrés sur les 15 % des ménages les plus aisés et, au sein de ces 15 %, ils seraient plus importants encore pour le tiers supérieur (top 5 %), avec pour ces derniers des gains moyens en termes de niveau de vie de près de 1 000 euros par an".
Le coût pour les finances publiques est cependant un peu moins élevé que prévu. En 2018, le paquet fiscal des réformes Macron a grevé le budget de l'État de 4,5 milliards d'euros au lieu des 5,1 milliards d'euros prévus. Un écart qui s'explique par le rendement de l'IFI meilleur qu'attendu en 2018 (1,3 milliard d'euros au lieu de 850 millions d'euros) et une explosion du versement des dividendes (+ 60%).
Cette hausse soudaine des dividendes (pour un total d'environ 22 milliards d'euros) a généré un surcroît de recettes fiscales. Les experts voient un "lien plausible" entre cette hausse et la PFU à 30%, mais demandent là aussi un peu de temps pour analyser et décrypter le comportement des acteurs économiques devant la nouvelle donne fiscale.
Un autre chiffre instructif, qui pourrait donner du grain à moudre au gouvernement, est la baisse du nombre d'exilés fiscaux. En 2017, on dénombrait le départ de 380 contribuables dont le patrimoine dépassent les 1,3 million d'euros (seuil d'imposition de l'ISF), contre 630 départs en 2016. "Il faut revenir douze ans en arrière pour retrouver un niveau aussi bas", écrivent les experts.
Pas de frémissement notable en revanche chez les "repentis fiscaux" : ils étaient 113 à revenir l'année de l'élection d'Emmanuel Macron, contre 106 en 2016.
Grâce à un questionnaire rempli par 90 gestionnaires des grandes fortunes, les experts ont tenté de sonder les motivations des riches contribuables en attendant d'avoir les données des prochaines années. Il en ressort que si la "réforme est jugée positivement", beaucoup "doutent de sa pérennité", ce qui explique peut-être l'attentisme de certains exilés fiscaux.
*Prévu par la loi de finances 2017, le comité d'évaluation des réformes de la fiscalité du capital est chapeauté par France Stratégie, un organisme rattaché au Premier ministre. Il est constitué de la députée LaREM Nadia Hai, d'économistes, de syndicalistes (CFTC, CFDT), de représentants du patronat (MEDEF, CPME), de chercheurs de l'Insee et de fonctionnaires de Bercy.