Conseil constitutionnel : Emmanuel Macron propose Richard Ferrand pour la présidence de l'institution

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Emmanuel Macron et Richard Ferrand, ici en 2022.
Emmanuel Macron et Richard Ferrand, ici en 2022.
par Anne-Charlotte DusseaulxElsa Mondin-Gava, Stéphanie Depierre, le Lundi 10 février 2025 à 20:20, mis à jour le Mardi 11 février 2025 à 00:35

Dans un communiqué publié ce lundi 10 février, Emmanuel Macron a officialisé son choix de voir l'ancien président de l'Assemblée nationale, Richard Ferrand, prendre la tête du Conseil constitutionnel. La présidente de l'Assemblée, Yaël Braun-Pivet, et le président du Sénat, Gérard Larcher, ont quant à eux respectivement proposé Laurence Vichnievsky et Philippe Bas pour siéger parmi les Sages. Les trois candidats devront passer avec succès l'étape des auditions parlementaires pour entrer en fonction.  

Leurs noms circulaient depuis quelques semaines. C'est désormais officiel. Le président de la République, Emmanuel Macron, ainsi que les présidents des deux Chambres du Parlement, Yaël Braun-Pivet et Gérard Larcher, ont fait savoir en publiant chacun un communiqué ce lundi 10 février au soir, qu'ils proposaient respectivement les nominations suivantes au Conseil constitutionnel : l'ancien président de l'Assemblée nationale, Richard Ferrand, l'ancienne juge et ex-députée MoDem, Laurence Vichnievskyet le sénateur Les Républicains Philippe Bas. Pourquoi maintenant ? Parce que les mandats de trois membres de l'institution, ceux du président Laurent Fabius, de Corinne Luquiens et de Michel Pinault, arrivent à échéance le 7 mars à 23h59.

Mais c'est bien le choix d'Emmanuel Macron, et donc  au titre de l'article 56 de la Constitution – l'identité du futur président du Conseil constitutionnel, qui fait le plus débat. Richard Ferrand, qui a présidé le Palais-Bourbon entre 2018 et 2022, est un fidèle du chef de l'Etat. A 62 ans, l'ancien député, qui a fondé une société de conseil baptisée Messidor, a gardé une grande proximité avec Emmanuel Macron, au point que son nom a plusieurs fois circulé pour Matignon. Il n'a plus, en revanche, de mandat électif depuis sa défaite aux élections législatives de 2022 face à la socialiste Mélanie Thomin dans la 6e circonscription du Finistère.

"République des copains"

"Avec les menaces qui pèsent sur l'Etat de droit, il faut quelqu'un d'irréprochable. Il ne faut jamais que le Conseil constitutionnel puisse être suspecté d'être partisan", réagit le député socialiste Jérôme Guedj auprès de LCP. La présidente du groupe Ecologiste et social, Cyrielle Chatelain, déplore, elle, une "République des copains" et "ne pense pas" que quelques années passées au Perchoir "donne un bagage suffisant" pour une telle fonction.

"Richard Ferrand n'a pas exprimé une force de conviction et d'attachement à l'Etat de droit qui le qualifierait spécialement pour ces fonctions", estime quant à lui au micro de LCP le député insoumis Hadrien Clouet, qui préférerait que "ce type de postes" aillent "à des personnes qui ont des qualifications de juriste". Car, juge-t-il, "on souffre en France d'avoir un Conseil constitutionnel qui fait de l'interprétation politique des textes de loi"

Les réactions critiques sont aussi motivées par l'affaire des Mutuelles de Bretagne, révélée par Le Canard enchaî en 2017, dans laquelle Richard Ferrand a été mis en examen pour "prise illégale d'intérêts" en 2019. Cela lui avait, à l'époque, coûté sa place au gouvernement. Il était alors suspecté d'avoir profité de ses fonctions à la tête de cet organisme privé mutualiste pour permettre à sa compagne d’acquérir un immeuble à moindre frais. La Cour de cassation, saisie par l'association Anticor, a clos le dossier en octobre 2022, confirmant la prescription des faits.

"L'Etat de droit chevillé au corps" 

Au sein du camp présidentiel, les reproches et les doutes des oppositions sont balayées. Certes, Richard Ferrand jouit d'un "positionnement unique auprès du président qui est de pouvoir vraiment tout lui dire, sans filtre", affirme à l'AFP l'ancien ministre Stanislas Guerini. Mais cette proximité n'est pas un problème pour le député Guillaume Gouffier Valente (Ensemble pour la République) : "Oui, il y a un compagnonnage, mais c’est l'un des rares à dire les choses franchement" au chef de l'Etat. "On ne peut pas le taxer de courtisanerie et il a conscience de la séparation des pouvoirs", poursuit-il au micro de LCP. 

Un avis partagé par le député Modem Erwan Balanant, pour qui Richard Ferrand "a les compétences pour ce poste", "les compétences juridiques, il les a par ses fonctions, sa formation", et "il a l'Etat de droit chevillé au corps". Il a "les compétences, l'expérience et l'indépendance", abondait quant à elle récemment sa collègue Prisca Thevenot (Ensemble pour la République). 

Pour justifier ce choix, l'Elysée met en avant la qualité d'ancien président de l'Assemblée de l'intéressé, ce qui fut également le cas de Jean-Louis Debré, nommé par Jacques Chirac en 2007, et de Laurent Fabius, nommé par François Hollande en 2016.

Des auditions le 19 février

Ces derniers jours, plusieurs experts en droit ont également dénoncé l'hypothèse Richard Ferrand à la présidence du Conseil constitutionnel. Dans une tribune au Monde publiée dimanche 9 février, le constitutionnaliste Dominique Chagnollaud et le professeur de droit public Jules Lepoutre estiment qu'elle "éclaire le peu de considération d’une partie de notre classe politique à l’égard de cette institution, dont le rôle est pourtant prépondérant". "L'image d'impartialité, tant objective que subjective, de l'institution, (...) doit être intacte et ses membres insoupçonnables et irréprochables", écrivent-ils également. 

Sur X, puis dans La Tribune dimanche, le constitutionnaliste Benjamin Morel a déclaré que "nommer Richard Ferrand, à l'image très abîmée dans l'opinion, très proche du président, c'est affaiblir profondément le Conseil dont on n'a jamais autant eu besoin". 

Proposés, les noms de Richard Ferrand, de Laurence Vichnievsky et de Philippe Bas doivent encore être validés par le Parlement, lors d'auditions qui auront lieu le 19 février devant les commission des lois des deux Chambres. Ce sera à l'Assemblée nationale pour Laurence Vichnievsky et au Sénat pour Philippe Bas, tandis que Richard Ferrand devra, comme le prévoit la procédure, passer un grand oral au Palais-Bourbon et un autre au Palais du Luxembourg. Des auditions qui donneront lieu à des votes, une candidature pouvant être recalée si trois cinquièmes des commissionnaires s'y opposent.

Un député de la majorité, membre de ladite commission, a déjà fait ses calculs, en vue de la désignation de Richard Ferrand. "Pour atteindre 60% de rejets sur les 122 parlementaires des lois (Assemblée + Sénat), il faut un total de 74 voix", expose-t-il à LCP. Or, "le socle commun dispose, a priori, d'un total de 62 en cumulant les deux commissions". La proposition d'Emmanuel Macron a donc "vocation a être validée, sauf défections", avance le même, qui préfère cependant rester prudent.

Surtout que le vote se fait à bulletin secret et que certains élus pourraient être tentés de manifester, anonymement, leurs désaccords. "A titre personnel, j’aurais du mal à soutenir la candidature d’un comparse du président de la République. C'est du copinage malsain", a par exemple déjà confié au Monde le député Olivier Marleix (Les Républicains), membre de la commission des lois.

En poste jusqu'en 2034

En cas de validation, Richard Ferrand, Laurence Vichnievsky et Philippe Bas seront membres du Conseil constitutionnel pour les neuf prochaines années  l'institution est renouvelée par tiers tous les trois ans. Et donc jusqu'en 2034, soit bien après la fin du bail d'Emmanuel Macron à l'Elysée. Le futur président sera donc en poste lors des élections présidentielles de 2027 et de 2032, ce qui rend cette nomination d'autant plus sensible : personne dans la classe politique française ne se hasarde plus à exclure la possibilité de l'accession au pouvoir de Marine Le Pen dans les prochaines années. 

Or, le Rassemblement national comme la droite de Laurent Wauquiez s'est régulièrement montré très critique du juge constitutionnel"Sur le fond, il faut effectivement des gens capables de résister à un changement de régime. Ce n'est pas neutre", reconnaît auprès de l'AFP une source au fait des nominations.

Si le choix de Richard Ferrand était rejeté, ce ne serait en tout cas pas un scénario inédit : en 2023, le Parlement s'était opposé à la nomination du maire de Charleville-Mézières, Boris Ravignon (LR), proposée par Emmanuel Macron, à la tête de l'Agence de la transition écologique (Ademe).

A l'Assemblée, le groupe GDR veut encadrer ces nominations

Parce qu'ils jugent "indispensable" que le Conseil constitutionnel "évolue", les députés du groupe GDR viennent de redéposer une proposition de loi tendant à encadrer les nominations des membres du Conseil constitutionnel. "A l'heure où notre démocratie est traversée par une profonde crise de défiance citoyenne à l'égard de ses propres institutions, le Conseil ne peut plus se permettre d'être l'objet de soupçons", expliquent les élus dans un communiqué publié dimanche.

Composé de trois articles, le texte prévoit que les membres de l'institution disposent obligatoirement de compétences et d'expérience reconnues en matière juridique, que ces fonctions sont "incompatibles avec celles d'anciens membres du gouvernement ou du Parlement dans les dix ans qui précèdent leur nomination". Ou encore que le président du Conseil constitutionnel ne soit plus choisi par le chef de l'Etat, mais élu par ses pairs à chaque renouvellement triennal.