Copie privée : les appareils reconditionnés seront bien soumis à une redevance

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Eugenio Marongiu / Cultura Creative / Cultura Creative via AFP
par Thibault Henocque, le Jeudi 10 juin 2021 à 10:20, mis à jour le Jeudi 10 juin 2021 à 23:33

Les députés ont adopté jeudi la proposition de loi visant à réduire l'empreinte environnementale du numérique en France. La rémunération pour copie privée s'appliquera bien aux appareils reconditionnés, mais à un taux plus faible que pour des produits neufs.

En votant, jeudi 10 juin, dans le cadre de la proposition de loi sur l'empreinte environnementale du numérique, l'instauration d'une rémunération pour copie privée sur les appareils reconditionnés, les députés, suivant l'avis du gouvernement, ont répondu aux inquiétudes exprimées par les artistes, vent debout contre l'idée d'une exonération. La majorité a voulu atténuer l'impact de cette mesure sur la filière du reconditionnement en appliquant une décote à la redevance qui sera prélévée sur la vente de ces appareils de seconde main. Un certain nombre de députés estiment cependant que le choix qui a été fait sacrifie l'économie du recyclage – et donc l'écologie – à la préservation d'intérêts particuliers. Ceux, aussi nobles soient-ils, du monde de la culture.

"Opposition malvenue"

Comme attendu, les débats sur ce point ont été nourris dans l'hémicycle. "Le gouvernement crée une opposition malvenue entre deux secteurs fragiles, l’un émergeant et l’autre éprouvé par la crise" a déploré, dès l'ouverture, le député François-Michel Lambert (Liberté et Territoires). "Les acteurs de la filière culturelle ont besoin de notre soutien mais leurs difficultés ne justifient pas d’en saper un autre" a abondé Virginie Duby-Muller. La députée Les Républicains a dit vouloir, sur ce sujet, "faire primer le bon sens".  "On ne taxe pas deux fois un produit, encore moins quand on essaie de promouvoir via son reconditionnement la transition énergétique et l’économie circulaire", a-t-elle argumenté.

À l'inverse, pour de nombreux députés, la taxation des appareils reconditionnés est indispensable. "Appliquer la même rémunération aux produits neufs ou reconditionnés a un sens car leur usage est identique" s'est justifié le député Modem Bruno Millienne.

À l'origine de cette poussée de fièvre numérique, l'article "14bis B", adopté par le Sénat le 12 janvier dernier. Il prévoyait d'inscrire dans la loi une exonération des appareils reconditionnés de la rémunération pour copie privée (RCP). Une exonération qui existait déjà, mais que la loi ainsi rédigée se proposait d'inscrire dans le marbre, et donc dans la durée.

La mesure visait à soutenir le secteur, en plein développement, du reconditionnement, en particulier des ordinateurs et téléphones portables. Exonérer l'acheteur de cette taxe devait permettre de réduire le prix d'achat. Avec un objectif : inciter le consommateur à se tourner vers les produits reconditionnés plutôt que vers le neuf. Un enjeu de verdissement crucial, la fabrication des terminaux représentant 70% de l'empreinte carbone totale du numérique français.

Mais pour les milieux culturels, cette exonération représentait une menace. La RCP, qui a généré 273 millions d'euros de revenus pour le secteur en 2020, au profit des ayants-droits et de projets culturels, aurait vu son périmètre et donc son enveloppe se réduire peu à peu, à mesure que les Français se seraient tournés vers les appareils recyclés.

Les députés ont donc finalement tranché ce débat en adoptant une mesure au milieu du gué. La ministre de la Culture, Roselyne Bachelot, a argué que les montants de la RCP n’étaient pas de nature à dissuader l’achat d’appareils reconditionnés et qu’il importait de préserver le droit d’un producteur culturel de se voir rémunéré. 

Barème spécifique

Dans le détail, le texte adopté prévoit, selon l'amendement du gouvernement, une décote de 35% sur les tablettes et de 40% sur les smartphones reconditionnés, par rapport à la redevance prévue sur les produits neufs. Ces chiffres reprennent ceux préconisés par la Commission pour la rémunération de la copie privée, dans une décision rendue le 1er juinConcrètement le surcoût devrait représenter 2% du prix de vente. À titre d'exemple, un smartphone reconditionné avec 64 Gigas octets de mémoire sera frappé d'une redevance de 7,20 euros contre 12 euros pour un même équipement neuf. À noter que les députés ont adopté un sous-amendement, à l'initiative du groupe LaREM, prévoyant que soient exclus de cette taxation les produits reconditionnés issus de l’économie sociale et solidaire.

Quant à l'hypothèse, évoquée par certains médias, d'une chèque de 10 euros pour l'achat d'un appareil reconditionné – proposition qui serait dans les cartons du gouvernement afin de neutraliser l'effet de cette mesure – le secrétaire d'État au numérique, Cédric O, interrogé sur le sujet par la députée Paula Forteza,  a affirmé qu'il n'y avait "pour le moment aucune annonce à faire".

D'autres mesures plus consensuelles

D'autres mesures de la proposition de loi, plus consensuelles, ont été adoptées sans difficulté. La texte de loi prévoit ainsi d’inciter les jeunes à la sobriété numérique (article 1) et crée un Observatoire sur les impacts environnementaux du numérique (article 3). Entre autres dispositifs il promet aussi des centres de données moins énergivores.

Concernant les terminaux, la loi vise à lutter contre l'obsolescence programmée en rendant plus dissuasives les sanctions contre ces pratiques, ou encore en étendant au-delà de deux ans la durée minimale pendant laquelle le consommateur doit pouvoir recevoir des mises à jour nécessaires au fonctionnement de son appareil.

L'instauration d'une TVA réduite pour la réparation des terminaux et l'acquisition d'appareils reconditionnés a, elle, été repoussée, sur recommandation du gouvernement, pour qui cette mesure, qu'il soutient, doit faire l'objet d'un accord au niveau européen.

En engageant la discussion sur le texte le rapporteur était venu rappeler l’enjeu de cette loi. En 2019, le numérique a émis 15 millions de tonnes équivalent carbone, soit 2 % du total des émissions de la France, induisant un coût collectif d'un milliard d'euros, selon les travaux d'une mission d'information sénatoriale. Si rien n'est fait, le numérique serait à l'horizon 2040 à l'origine de 24 millions de tonnes équivalent carbone, soit environ 7% des émissions de la France, selon le même rapport.

La proposition de loi va maintenant poursuivre son parcours législatif en repartant au Sénat.