Éric Dupond-Moretti sur la "désobéissance civile" : "Rien n'est plus liberticide que cela"

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par Raphaël Marchal, le Jeudi 7 septembre 2023 à 15:29, mis à jour le Vendredi 8 septembre 2023 à 16:35

Auditionné jeudi 7 septembre par la commission d'enquête de l'Assemblée sur les groupuscules violents lors de manifestations, le ministre de la Justice s'est agacé de la "petite musique de la désobéissance civile", qui permettrait à des militants de s'affranchir de la loi sous prétexte de défendre un principe qu'ils estiment supérieur. "Rien n'est plus liberticide que cela", a vitupéré Eric Dupond-Moretti.

C'est un Eric Dupond-Moretti remonté qui a retrouvé le chemin de l'Assemblée nationale, pour la première fois depuis la pause estivale. Le ministre de la Justice était auditionné ce jeudi 7 septembre par les députés de la commission d'enquête sur les "groupuscules auteurs de violences", l'instance chargée de faire la lumière sur les débordements en marge des manifestations contre la réforme des retraites et à Sainte-Soline, au printemps dernier.

Devant les députés, le garde des Sceaux a eu un propos à la fois technique et politique. Alors qu'il était interrogé par le rapporteur de la commission, Florent Boudié (Renaissance), sur une mobilisation ayant eu lieu en amont d'un procès de militants anti-bassines à Niort, afin de faire pression sur la justice avec des accusations de "procès politique", Eric Dupond-Moretti s'est agacé que certains puissent penser, à travers cette mobilisation, qu'il était possible d'influencer le travail de l'institution judiciaire et mettre ainsi en cause son indépendance. 

Plus largement, il s'est emporté contre la "petite musique de la désobéissance civile". "On a le droit, selon certains, quand on est porteur d'une cause que l'on estime légitime, de ne plus obéir à la loi. C'est infernal. Rien n'est plus liberticide que cela." Dans le viseur du ministre, les militants qui ont procédé à des exactions à Sainte-Soline, mais également les activistes écologistes qui dégradent des œuvres d'art pour alerter sur le dérèglement climatique.

Eric Dupond-Moretti a vertement critiqué "l'extrême gauche", qui encouragerait ce "laissez-faire". "Des incendiaires", a-t-il estimé, avant de conclure en répondant aux accusations à propos d'une éventuelle "justice politique" : "Dire par anticipation qu'au-delà d'une certaine peine, ce n'est plus de la justice, mais quelque chose qui se fait dans les dictatures, c'est insupportable. On devrait tous condamner ces propos. J'invite les personnes qui disent qu'on a basculé dans le liberticide à faire un tour à l'étranger. [...] Faut arrêter ces conneries."

"Vous voulez démolir la République" 

Les propos du ministre n'ont pas manqué de faire réagir Aymeric Caron (La France insoumise). "La désobéissance civile, c'est le rejet d'une loi, d'un règlement qu'on trouve injuste, qu'on refuse d'appliquer par une action non violente", a rétorqué le député, citant le philosophe Henry David Thoreau, Gandhi et surtout Rosa Parks, figure emblématique de la lutte contre la ségrégation raciale aux États-Unis.

Une comparaison déplacée pour le garde des Sceaux. "Parce qu'il y a des textes en France qui consacrent l'Apartheid dans notre pays ? [...] Quel scandale d'aller chercher la pire période aux États-Unis", a-t-il répondu. Et de critiquer à nouveau l'appui de certains élus de la Nupes aux militants anti-bassines : "Vous voulez démolir la République."

Une "approche proactive"

A propos du cœur du sujet sur lequel travaille la commission d'enquête, le ministre a jugé nécessaire de se pencher davantage sur les individus qui préméditent la commission de délits, en amont des débordements, notamment sur la base d'informations délivrées par les services de renseignement. Et ce toujours dans le respect du droit.

Une "approche proactive" peut être menée par l'autorité judiciaire concernant les "individus les plus virulents et les plus actifs qui forment des projets d'action ciblés d'une particulière violence", a-t-il expliqué. Selon lui, plusieurs qualifications pénales pourraient être mobilisées pour appréhender de tels individus : appel d'action à la violence, menace de commettre un crime ou un délit sur une personne dépositaire de l'autorité publique, voire de commettre des actes préparatoires à la commission d'une action violente identifiée susceptible de tomber sous le coup de la qualification d'association de malfaiteurs. Une réunion des procureurs généraux, organisée par la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG), aura lieu sur cette thématique à l'automne, a-t-il fait savoir.

Par ailleurs, le ministre de la Justice a encouragé l'utilisation des produits marquants codés (PMC) pour faciliter l'identification d'auteurs de délits en marge de manifestations. Ces produits chimiques invisibles à l'œil nu ne se révèlent que sous une lampe fluorescente. Dotés d'une signature unique, ils doivent permettre de garantir la présence d'un individu lors de la commission d'un délit, même plusieurs semaines après sa participation. "C'est un bel outil", a commenté Éric Dupond-Moretti, qui a mis en avant l'utilité des PMC concernant les personnes masquées.