Affrontements de Sainte-Soline : "Il y a préméditation, tous les éléments de préparation de la manifestation l’attestent"

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Le chantier de la bassine de Sainte-Soline LCP 06/09/2023
Le chantier de la "mégabassine" de Sainte-Soline, dans les Deux-Sèvres, le 6 septembre 2023 (© Raphaël Marchal / LCP)
par Raphaël Marchal, le Mercredi 6 septembre 2023 à 22:40, mis à jour le Vendredi 8 septembre 2023 à 16:35

Une délégation de la commission d’enquête de l'Assemblée nationale sur les "groupuscules auteurs de violences" lors de manifestations s'est rendue sur le chantier de la mégabassine de Sainte-Soline, mercredi 6 septembre. Dans les Deux-Sèvres, les députés ont pu confronter le récit des affrontements, qui ont eu lieu lors du rassemblement interdit de mars dernier, à la réalité du terrain.

C’est un grand trou jaune sous un ciel gris, où s’affairent des camions de chantier. Ni la poussière qui macule leurs vêtements, ni la chaleur étouffante de ce mois de septembre, ne ralentit la visite de terrain du petit groupe de députés qui observe le va-et-vient des engins. Ils sont huit au total, penchés au bord du chantier de la mégabassine de Sainte-Soline, quelques dizaines de mètres au-dessus du vide. À terme, cette retenue d'eau, qui doit permettre d'irriguer les cultures en période de sécheresse, contiendra l'équivalent de près de 250 piscines olympiques.

Le 25 mars dernier, ce projet avait été le théâtre d’affrontements particulièrement violents entre certains opposants à la construction de telles infrastructures et gendarmes chargés d'empêcher l'accès à cette propriété privée, ainsi que l'éventuelle installation d'une "ZAD". Ce jour-là, quelque 8 000 personnes s’étaient rendues dans les Deux-Sèvres, malgré l’interdiction de la manifestation. Les Français avaient alors découvert des scènes effarantes à la télévision et sur les réseaux sociaux : vidéos de manifestants cagoulés chargeant sous des rideaux de gaz lacrymogène, gendarmes en quads, voitures enflammées...

"C’est tout l’intérêt d’une commission d’enquête, de pouvoir se déplacer sur place et de se faire une idée précise du déroulé des événements", se félicite Florent Boudié. Le rapporteur Renaissance de cette instance, chargée d’enquêter sur les "groupuscules auteurs de violences" - en marge des manifestations contre la réforme des retraites, lors du rassemblement contre la réserve d'eau de Sainte-Soline, ou encore à l'occasion du 1er mai dernier - jugeait nécessaire ce déplacement, à quelques semaines de la publication de son rapport. "On ne peut pas comprendre les événements de Sainte-Soline si on n'est pas venu sur place."

Préméditation et volonté d'en découdre 

Pour les élus présents, le déplacement ne fait que renforcer un constat partagé par plusieurs personnalités auditionnées au cours des derniers mois : à Sainte-Soline, la volonté d’aboutir à des affrontements avec les forces de l’ordre était largement préméditée par une partie des opposants. "Il est frappant de constater que les violences ne sont pas le fait du hasard", constate le président de la commission d’enquête, Patrick Hetzel (Les Républicains). "Il y a préméditation. Tous les éléments de préparation de la manifestation l’attestent", abonde Florent Boudié. Scrutant l’horizon depuis la butte formée par le chantier, l'élu fait face à un "site ouvert". "Il n’a pu échapper à aucun manifestant que des violences étaient en cours", insiste-t-il.

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Des armes confisquées en amont de la manifestation de Sainte-Soline LCP 06/09/2023

Au total, six tonnes de pierres ont été déblayées à l'issue des affrontements. Des pierres utilisées comme des armes. Les forces de l’ordre ont identifié une véritable "chaîne logistique" sur place, afin de réapprovisionner en munitions minérales les militants proches du cœur des affrontements. Plus de 1 000 objets ont, en outre, été confisqués en amont lors de contrôles, dont 800 équipements offensifs ou de protection. Cartes à l’appui, le général Samuel Dubuis, qui commandait les opérations le 25 mars, évoque des stratégies de déplacement pensées en amont, et une véritable "scène de guerre" abandonnée en aval, après le départ des opposants.

"Ils cherchaient à avoir un martyr, le Rémi Fraisse de Sainte-Soline"

Et le haut gradé va plus loin. Sanglé dans son uniforme bleu marine, il assure que les militants violents n’avaient qu’un seul but : la recherche du chaos, jusqu’à la provocation d’un drame. "J’ai l’intime conviction qu’ils cherchaient à avoir un martyr, le Rémi Fraisse de Sainte-Soline", lance le militaire à la délégation de députés, en évoquant le manifestant écologiste décédé au cours du mouvement de contestation du projet de barrage de Sivens en 2014, à la suite d'un tir de grenade offensive.

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Les députés de la commission d'enquête écoutent le général Samuel Dubuis

Au total, 48 gendarmes ont été blessés au cours des affrontements, dont certains gravement, brûlés ou atteints par le blast consécutif à une explosion. Le nombre de manifestants blessés reste lui toujours inconnu à ce jour, le recours aux secours "institutionnel" ayant été découragé par les meneurs du cortège, selon les forces de l’ordre.

Reste la polémique sur l’accès des secours au site. Selon la Ligue des droits de l'Homme, un véhicule du Samu aurait été interdit de porter secours à un militant gravement blessé. Une contrevérité, dément le général Samuel Dubuis, qui assure avoir envoyé une équipe médicalisée porter les premiers soins au blessé, malgré des conditions d’intervention particulièrement dégradées.

Le militaire assume, par ailleurs, le déploiement de gendarmes en quads au cours de la journée, offrant des images assez inhabituelles et une polémique sur l'usage non réglementaire de lanceurs de balles de défense (LBD). "Il s’agissait de tenter de dissuader une dernière fois les cortèges de converger vers le site", justifie-t-il, déplorant cependant l’absence de moyens adéquats pour repousser des manifestants ou d'activistes au contact dans l’arsenal du maintien de l’ordre. In fine, le gendarme se félicite d’avoir "défendu la République ce jour-là".

Des habitants "traumatisés"

L’impact de la protestation contre le projet de retenue d’eau a dépassé le strict périmètre de la mégabassine. L’arrivée massive de manifestants dans les environs, qui se sont parfois garés sur des exploitations agricoles, n’a pas été bien vécue par la population locale. "Certains habitants ont été traumatisés", raconte le maire de Sainte-Soline, Julien Chassin. L'édile qui a reçu la délégation parlementaire dans sa mairie, à la mi-journée, raconte que ses administrés ne sont "pas du tout habitués à la culture de la manifestation, et encore moins à celle de la protestation violente". La surmédiatisation de ce village de 350 âmes, jusqu'alors connu pour son tumulus, datant du Néolithique, a également pesé sur les habitants.

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Rencontre avec des élus locaux à la mairie de Sainte-Soline LCP 06/09/2023

Des agriculteurs s'émeuvent, quant à eux, des destructions, de la montée progressive de la violence et des critiques qui leur sont adressées par les opposants au projet de mégabassine. "C'est un territoire où il y a toujours eu du débat, mais nous constatons de plus en plus un refus du protocole démocratique", se désole Thierry Boudaud, président de la Coopérative de l'eau, le maître d'ouvrage de la réserve de Sainte-Soline.

Des discours similaires sont entendus l'après-midi, à la Chambre départementale d'agriculture. "Ils ont toujours des mots pour relativiser leurs actions. Alors que ce qu'ils font, c'est du sabotage, c'est de la destruction", dénonce Jean-Marc Renaudeau. Le président de la Chambre regrette d'entendre parler de "guerre de l'eau", un vocable martial qui a pour effet de légitimer la violence.

De l'autre côté, la vision des opposants aux mégabassines n'aura guère été entendue au cours de la journée. L’absence des députés de la Nupes qui font partie de la commission d'enquête, sans autre raison revendiquée que celle d'agendas déjà chargés en cette rentrée ou le manque d'attentes concernant cette visite, n’aura pas non plus permis d'offrir un contrepoint aux témoignages recueillis. Au cours des travaux de la commission, des auditions passées ou à venir permettent cependant à celle-ci de varier les points de vue, afin de se faire une idée complète sur le sujet. Ainsi, le 27 septembre, ce sont des représentants des Soulèvements de la Terre et de Bassines non merci, qui seront auditionnés à l'Assemblée nationale.