Les députés examinent depuis le 27 mai, le projet de loi relatif à "l'accompagnement des malades et de la fin de vie", dont la portée majeure réside dans l'instauration d'une "aide à mourir". Liberté de choix ultime ou rupture anthropologique ? Dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale, des points de vue très différents s'expriment, entre convictions et interrogations, parfois avec des mots très forts, mais dans une ambiance générale d'écoute et de respect.
Alors que l'hémicycle de l'Assemblée nationale a régulièrement été décrit, en particulier depuis 2022 et le contexte de majorité relative, comme un lieu de débats virulents voire conflictuels, lors de la réforme des retraites par exemple, l'examen du projet de loi relatif à "l'accompagnement des malades et de la fin de vie" donne une image bien différente. Alors que les députés débattent d'un sujet qui touche à l'intime et à l'essentiel, entre convictions et interrogations, l'examen du texte se déroule dans une ambiance faite d'écoute et de respect. Un contraste d'autant plus marqué que la situation au Proche-Orient a donné lieu à plusieurs incidents de séance ces deux dernières semaines.
"Nous devons avoir un débat qui prend le temps", avait déclaré la présidente de l'Assemblée, Yaël Braun-Pivet, au matin du premier jour de l'examen du projet de loi, indiquant qu'elle serait "garante du bon déroulement" des discussions. C'est dans cet esprit qu'une semaine supplémentaire a été ajoutée aux deux qui étaient initialement prévues pour les discussions.
"Je voudrais saluer la sagesse et le bien-fondé de la décision prise par la Conférence des présidents (...) Il aurait été très problématique d'être sous pression durant cette semaine", a relevé Jérôme Guedj (Socialistes), lundi 3 juin, peu après cette décision par laquelle l'Assemblée nationale a estimé nécessaire de consacrer une troisième semaine à l'examen du texte. Les débats se poursuivront donc la semaine du 10 juin, jusqu'au 14 juin, tandis que le vote solennel sur l'ensemble du projet de loi aura finalement lieu le 18 juin.
Et pour cause. "Nous nous apprêtons à poser l'un des actes sans doute les plus graves de notre mandat de parlementaires", a estimé Gilles Le Gendre (Renaissance) à l'orée de l'examen de l'article 5, qui définit "l'aide à mourir". Liberté ultime pour les partisans du texte, perspective vertigineuse, voire une "rupture anthropologique", pour ses opposants les plus convaincus. L'ouverture d'un nouveau droit qui occasionne en tout cas des débats intenses et engagés, que les députés ne veulent pas voir amputés par une question de calendrier.
Afin de permettre à chacun de s'exprimer, alors que des sensibilités différentes coexistent au sein même de chaque famille politique, et tout en faisant en sorte d'avancer dans l'examen du projet de loi, la présidente de l'Assemblée nationale a annoncé, le 4 juin dans la soirée, que les prises de parole ne seraient pas limitées à un représentant par groupe - comme c'est souvent l'usage lors de la discussion des amendements -, à condition que les députés respectent un temps de parole approchant d'une minute pour leurs interventions. "Nous avons décidé, compte tenu du rythme des débats mais en même temps de la gravité des sujets qui occupent le Parlement, de laisser la parole la plus libre possible pour les parlementaires, mais de réduire la durée d’intervention de deux minutes à une minute, ce qui permet de donner la parole à tout le monde tout en accélérant le rythme des débats", a expliqué Yaël Braun-Pivet (Renaissance), précisant que "chaque groupe politique a été d’accord avec cette nouvelle organisation".
La question de l'instauration d'une "aide à mourir" dépassant les clivages partisans habituels, l'une des originalités de l'examen de ce projet de loi est qu'il n'est pas rare que des convictions s'exprimant de part et d'autre de l'hémicycle se rejoignent. Philippe Juvin (Les Républicains) peut ainsi renchérir à un argument de Pierre Dharréville (Gauche démocrate et républicaine), qui estime que la question sociale ne peut se départir du débat sur l'aide à mourir, celle-ci risquant selon eux de concerner en premier lieu les personnes les plus défavorisées, qui pourraient en venir à faire ce choix par défaut. Frédérique Meunier (Les Républicains), qui porte une position ultra-minoritaire au sein de son groupe, est quant à elle particulièrement applaudie à chacune de ses interventions par les députés de la majorité et de la gauche favorables à l'aide à mourir.
Egalement minoritaires au sein de leurs groupes respectifs en ce qu'ils s'opposent à "l'aide à mourir", Astrid Panosyan-Bouvet (Renaissance) et Dominique Potier (Socialistes) ont, quant à eux, présenté un amendement commun visant à qualifier dans la loi ce que recouvre, estiment-ils, cette "aide à mourir", à savoir le "suicide assisté", ou "l'euthanasie" lorsque la personne requérante n'est pas en mesure de s'administrer la substance létale.
Des sensibilités transpartisanes, voire des lignes de fracture au sein même des groupes qui composent le Palais-Bourbon, que Yaël Braun-Pivet a tenu à respecter, en donnant la parole aux positions majoritaires, et minoritaires, de chaque famille politique. Aux prémices de l'examen du l'article 5 notamment, majeur en ce qu'il vise à définir et instaurer l'aide à mourir, la présidente de l'Assemblée a inscrit deux orateurs dont un ayant "une opinion différente" par rapport à celle majoritaire de son groupe, pour ce qui a tenu lieu de discussion générale sur l'article.
Si certains députés ont des positions d'ores-et-déjà tranchées, d'autres assument, voire revendiquent, de "douter" et de prendre le temps des débats pour se forger une position sur le texte et ce qu'il propose. "Je suis dans le doute, je suis dans l'humilité, j'essaie de cheminer avec vous sur ce texte", a ainsi confié Lionel Royer-Perreaut (Renaissance) au cours de la soirée du 4 juin. "Le sens de la mission qui est la nôtre, c'est précisément de faire en sorte que nous confrontions nos différentes approches, peut-être même de nous convaincre les uns et les autres, à tout le moins de faire en sorte qu'il y ait un texte qui soit à la hauteur des attentes exprimées par la grande majorité des Françaises et des Français", a-t-il aussi estimé.
"Moi je suis dans la catégorie de ceux qui s'interrogent", avait également indiqué, la veille, le président groupe LIOT, Bertrand Pancher, évoquant un projet de loi "particulièrement important", en ce qu'il "autorise à donner la mort".
Si les débats sont d'une nature particulière, c'est aussi parce qu'ils convoquent bien souvent l'intime, de par l'expérience des uns et des autres, ou leur capacité à se projeter dans des situations souvent difficiles à envisager. Au regard de la possibilité pour un proche d'effectuer le geste létal dans le cadre d'une aide à mourir, Thomas Ménagé (Rassemblement national) a ainsi expliqué le 4 juin : "Si demain mon père me le demande parce qu'il n'est pas en capacité physique de le faire, je le ferai, mais je suis quasi convaincu que toute ma vie, je porterai un traumatisme". Une possibilité prévue dans certaines conditions par le texte du gouvernement qui a cependant été exclue, à ce stade de l'examen du projet de loi, par le vote d'un amendement jeudi 6 juin.
Sandrine Rousseau (Ecologiste) a, quant à elle, plusieurs fois fait référence au cancer de sa mère. "Moi, j'ai aidé ma mère à mourir. Elle s'est suicidée, et j'étais présente", a-t-elle témoigné, estimant que l'aide à mourir constitue "une réponse à [des] souffrances irréfragables".
Aucune consigne de vote n'ayant été donnée au sein des groupes politiques, chaque député se prononcera en son âme et conscience, lors du vote prévu mardi 18 juin, sur le texte tel qu'il sera rédigé à l'issue de son examen en première lecture. Un texte qui pourra encore évoluer au fil des différentes lectures. D'autant que compte tenu de la nature du projet de loi, le gouvernement n'a pas engagé la procédure accélérée, ce qui veut dire que celui-ci fera l'objet d'au moins quatre lectures, deux à l'Assemblée nationale et deux au Sénat.