La ministre du Logement du gouvernement sortant, Emmanuelle Wargon (Ensemble!), part à la conquête de la 8e circonscription du Val-de-Marne, fief de droite, où l'actuel député, Michel Herbillon (Les Républicains), compte bien être élu pour un cinquième mandat. Un duel au milieu duquel le candidat de la gauche, Erik Pagès (LFI), espère jouer les trouble-fêtes.
Charenton-le-Pont, Joinville-le-Pont, Maisons-Alfort et Saint-Maurice sont les quatre villes qui composent la huitième circonscription du Val-de-Marne. Ce bastion de la droite depuis plusieurs décennies est aujourd’hui convoité par la majorité présidentielle, forte du score écrasant recueilli par Emmanuel Macron au second tour de l’élection présidentielle dans le département (74,48%). Pas de quoi décourager le député Les Républicains sortant, qui compte sur son ancrage local pour être réélu après l'avoir largement emporté en 2017, avec presque 58% des voix contre une candidate de La République en marche. Quant au candidat investi par la NUPES, il mise sur l’addition des voix de la gauche, en s'appuyant notamment sur le score de 25,76% obtenu par Jean-Luc Mélenchon à Maisons-Alfort au premier tour de l'élection présidentielle.
Sur le marché de Maisons-Alfort, en cette matinée ensoleillée du mercredi 18 mai, Michel Herbillon semble être en terrain conquis. "On a un climat de Côte-d'Azur", se réjouit le député sortant auprès des habitants, qui les uns après les autres, cabas à la main, interrompent leurs courses pour le saluer. "Celui qui va vous déloger, il n'est pas né", lui dit une passante. "Ça fait longtemps !", lui fait remarquer une autre. "Pourtant je suis toujours là !", lui répond l'élu. "On n'en doute pas", rétorque à son tour la maisonnaise.
Une fois par mois, y compris hors période électorale, le député et son équipe se rendent sur ce même marché, à la rencontre de la population, en plus des permanences le week-end. Celui qui a été maire de Maisons-Alfort vingt-cinq années durant, se veut un élu de proximité, entretenant des rapports étroits avec ses administrés.
"Ici c'est acquis, il faudrait être ingrat", s'exclame à son tour une autre habitante de Maisons-Alfort, tandis qu'un habitué du marché assure au député qu'il sera réélu dès le premier tour : "Vous verrez, s'il y a deux tours, je paye le coup". Pour ceux qui auraient un doute, Michel Herbillon n'oublie pas de vanter ses réalisations : "C'est moi qui ai fait faire les liaisons des pistes cyclables entre Maisons-Alfort et Paris", argue-t-il auprès d'une femme à bicyclette, avant d'évoquer auprès d'une autre le nouveau commissariat de police, et sa bataille pour que les consommateurs de crack ne soient pas repoussés de la Porte de la Villette à celle de Charenton.
Un passant se plaint cependant auprès de l'une des membres de l'équipe de campagne. "Je ne suis pas content", indique l'homme qui se plaint des "rodéos urbains" et des nuisances sonores causées par les deux-roues motorisés. "On nous dit qu'on ne peut rien faire. Eh bien moi pour les élections, je ne pourrai rien faire non plus".
Pas de quoi miner le moral de l'équipe, encouragée par la majorité des habitants. Michel Herbillon en est persuadé, son ancrage est ce qui fait sa force dans cette élection pour un éventuel cinquième mandat, notamment face à une Emmanuelle Wargon, candidate pour la majorité présidentielle, qu'il dit "parachutée". "Elle ne connaît strictement personne", nous dit-il, avant de déplorer que son investiture s'apparente à de "vieilles ficelles politiciennes", là où le mouvement d'Emmanuel Macron avait mis en avant sa volonté d'instaurer de nouvelles pratiques politiques.
Il tacle aussi les propositions d'Emmanuelle Wargon, qui selon lui, met en avant "des dossiers qu'elle ne connaît pas, qui sont, soit engagés sans elle, soit résolus". Il cite ainsi l'exemple de la ligne 15 du métro, qu'elle promeut dans son programme : "Tous les tunnels sont déjà construits". Il revient également sur la sortie de la ministre concernant la maison individuelle, qu'elle avait qualifié de "non-sens écologique, économique et social", et le fait qu'elle serait selon lui pour le "tout béton". L'ancien maire de Maisons-Alfort assume et se targue que la ville comporte trois quartiers pavillonnaires. "Allez demander aux habitants du Val-de-Marne ce qu'ils pensent de la 'densité heureuse'".
"Est-ce que je fais l'agence immobilière ? Ça fait un peu mélange des genres non ?" En ce lundi après-midi déjà estival, celle qui est encore la ministre du Logement, bat le pavé des communes voisines de Saint-Maurice et Charenton, à la rencontre des commerçants.
Son agenda de ministre est allégé en l'attente d'un nouveau gouvernement en ce début de second quinquennat d'Emmanuel Macron. À un passant qui dit l'avoir reconnue, elle répond d’un ton amusé : "C'est les bouclettes !", confiant que certains électeurs ne semblent pas la croire lorsqu’elle se présente à eux en sa qualité de membre du gouvernement.
Élue conseillère régionale d’Ile-de-France pour la circonscription du Val-de-Marne il y a un an, celle qui réside à Saint-Mandé dit avoir eu envie de se présenter dans son "bassin de vie", pour porter sur les bancs de l’Assemblée "le programme de gouvernement du Président". Elle considère que la circonscription qu’elle brigue a tout à gagner à la faire élire, son expérience ministérielle lui permettant, selon elle, de "trouver les bonnes portes quand il faudra signaler un dossier ou une difficulté".
"Je suis candidate avec le président de la République pour lui donner une majorité", dit-elle à un pharmacien situé avenue du Maréchal-de-Lattre-de-Tassigny, à Saint-Maurice. Alors même qu'elle incarne plutôt l'aile gauche du gouvernement, c'est à des électeurs de droite qu'Emmanuelle Wargon semble s’adresser. En leur tendant son tract, c’est au péril que représenterait Jean-Luc Mélenchon qu’elle fait référence plutôt qu'au député sortant, estimant que les candidats de la majorité présidentielle pourraient bénéficier d’un "vote utile" à droite, mais aussi au centre-gauche, afin d’éviter le scénario de la cohabitation espérée par la NUPES. Dans un bar-tabac, une femme attablée, qui parle de son origine portugaise, interpelle la candidate. Sa mère a vécu la dictature de Salazar. "En France on crache beaucoup dans la soupe, mais on vit bien", considère-t-elle aussi, avant d’assurer la ministre de son vote.
Dans la boulangerie, quelques mètres plus loin, l’affaire est moins aisée. "On ne va pas tuer des arbres pour rien", dit la patronne quand Emmanuelle Wargon lui propose son tract de campagne. La boulangère compte fermer boutique à la fin de l’année, faute de pouvoir trouver du personnel. Même les apprentis sont désormais aux abonnés absents selon elle. "C'est le message du président de la République, il faut travailler plus", tente la candidate. "C'est pas le problème", lui répond son interlocutrice, qui évoque également les difficultés à se procurer certaines matières premières, comme les œufs. Elle annonce que le coût de ses produits passera du simple au double à la rentrée prochaine, en raison des augmentations mais aussi "des taxes". "On a baissé les impôts durant ce quinquennat", argue la ministre, évoquant en particulier la taxe d’habitation. "Moi je ne les ai pas vus baisser, mais augmenter", répond la cheffe d’entreprise, qui suggère de "s'occuper des grandes fortunes à l'étranger plutôt que des petits artisans". À la fin de cet échange, la boulangère nous confirme être "certaine" de ne pas voter pour la majorité présidentielle lors de la prochaine échéance électorale.
Rue de Paris, à Charenton-Le-Pont, Emmanuelle Wargon continue sur sa lancée. "Je suis candidate pour être sûre que le Président ne soit pas en cohabitation avec l'alliance de la France insoumise", martèle-t-elle, priorisant l’enjeu national par rapport au local. Dans un magasin de vente et réparation de bicyclettes, elle met en avant le bilan du gouvernement : "On a bien soutenu le vélo au niveau national avec le Plan Vélo", et semble cette fois marquer un point.
En ce vendredi soir, heure de pointe de retour du travail, ils sont une quinzaine à tracter devant la sortie du RER de Joinville-Le-Pont. La Nouvelle Union populaire écologique et sociale (NUPES) est presque au complet, avec des militants communistes et écologistes qui parsèment les rangs d’une majorité d’Insoumis. Manquent seulement à l’appel les militants du Parti socialiste. "On les a invités", tient à nous préciser le candidat, Erik Pagès. En chemise-jean-baskets, le militant de 30 ans, ex-syndicaliste à l’UNEF, justement passé par le PS avant de rejoindre La France insoumise il y a cinq ans, reprend à son compte l’expression du "trou de souris", formulée par Jean-Luc Mélenchon durant la campagne pour l’élection présidentielle. Si les quatre villes de la circonscription qu’il brigue sont dirigées par des maires de droite, il mise sur le bon score de l’Union populaire dans le département, arrivée en tête du premier tour de la présidentielle avec près de 33% des voix, dont plus de 25% à Maisons-Alfort. Le candidat parie également sur l’éparpillement des voix des électeurs de droite, entre l'actuel député et la candidate investie par la majorité présidentielle sortante.
Lui-même responsable du pôle logement social dans une commune du Val-de-Marne extérieure à la circonscription qu’il brigue, il tient un discours sévère à l’endroit de la ministre. Il évoque notamment une politique qui a, selon lui, favorisé "le logement intermédiaire", au détriment des habitats sociaux pour les plus modestes, et qui induirait un phénomène de gentrification, particulièrement palpable dans le Val-de-Marne, marginalisant une partie de sa population dans des périphéries plus lointaines. "C’est la conséquence de la politique du gouvernement, de la ministre du Logement qui est face à nous, et du député Michel Herbillon, qui vote ces mêmes lois", affirme-t-il.
"Ici on se préoccupe de vos préoccupations", apostrophe un militant, "289 députés, et plus si affinités !", crie un autre, faisant référence au seuil dont la NUPES aurait besoin pour obtenir la majorité absolue sur les bancs de l’Assemblée, et permettre les conditions d’une cohabitation. Sur une ficelle entre deux poteaux, un "porteur de parole" a été accroché. Les passants sont invités à inscrire sur des feuilles A4 mises à disposition leurs revendications. "Retraite à 60 ans - Solidarité, Egalité, Sororité, Fraternité", a écrit une femme qui se revendique "chrétienne de gauche". "Ça doit bouger, sinon ça va redescendre dans la rue", nous dit-elle, estimant plausible l'idée de voir Jean-Luc Mélenchon nommé à Matignon.
Une autre passante ferraille dur avec quelques militants : "Il y a dix millions d'handicapés en France, vous ne faites pas de programme clair et net sur le sujet", reproche-t-elle à La France insoumise. Erik Pagès conteste, évoque l’engagement des parlementaires de son camp pour la déconjugalisation de l’allocation adultes handicapés (AAH), rejetée par la majorité. "Dans votre communication, on ne voit pas. On a surtout un Monsieur qui parle beaucoup, qui est un grand orateur, certes". "Les gens sont en colère, ils ont bien raison", souffle le candidat à l’issue de l’échange.
Quelques minutes plus tard, à un militant qui lui demande quelle serait sa priorité pour les prochaines élections législatives et le gouvernement du pays, une autre habitante répond du tac au tac : "La gauche au pouvoir". Le moral des troupes est revigoré.
Une centaine de mètres plus loin, des militants de La République en marche tractent également. Erik Pagès les aborde, se présente poliment, des tracts sont échangés. "Vous n'aurez pas une Booba et Kaaris", ironise-t-il. "Ils sont 3, on est 15, ils ont raison d'avoir peur", poursuit-il, précisant qu’il parle bien de ce que la mobilisation sur le terrain, pourrait présager dans les urnes.
Les candidats de la 8ème circonscription du Val-de-Marne :