À l'occasion du bilan annuel de la HATVP, son président Didier Migaud a proposé de doter l'autorité administrative d'un pouvoir de sanction et d'élargir son champ de compétences. Chargé de contrôler la situation patrimoniale et les conflits d'intérêts des responsables publics, il note que le nombre de situations problématiques tend à diminuer. Et il précise qu'il n’y a "pas de parlementaire en exercice en défaut de déclaration".
En progrès mais peut mieux faire. Pour Didier Migaud, la politique en matière de transparence de la vie publique et de lutte contre la corruption en France est encore "trop éparpillée", avec "trop de doublons", et pas assez de moyens financiers et humains. Créée en 2013 en réponse à l'affaire Jérôme Cahuzac, la Haute autorité pour la transparence sur la vie publique (HATVP) n'a cessé de voir ses prérogatives s'élargir. Chargée de contrôler les déclarations de patrimoine et d'intérêts des responsables publics, elle donne également depuis 2020 son feu vert sur le passage entre haute fonction publique et secteur privé (le pantouflage) et régule l'action des représentants d'intérêts (les lobbys).
En 2021, l'autorité indépendante a reçu 15 574 déclarations. 3150 ont fait l'objet d'un contrôle approfondi, essentiellement pour "des lacunes ou des erreurs mineures", ce qui a conduit la Haute autorité à transmettre 11 dossiers à la justice, dont 8 pour prise illégale d'intérêts. Parmi ces dossiers, il n’y a « pas de parlementaire en exercice en défaut de déclaration », ni « de grands élus », a précisé Didier Migaud. "Les responsables publics respectent leurs obligations déclaratives dans leur immense majorité. Les affaires existent toujours mais leur nombre tend à diminuer", souligne le président de la HATVP, qui dit toutefois "rester prudent" sur ce sujet sensible, "car la défiance reste grande et majoritaire", même si "la probité progresse".
Pour la première fois, la HATVP a contrôlé les déclarations de patrimoine de fin de mandat des 577 députés et a vérifié "la variation du patrimoine du président de la République". Une manière d'attester de "l'absence d'enrichissement en cours des fonctions" des élus nationaux, au-delà des rémunérations reçues dans le cadre de leur mandat ou d'une éventuelle activité professionnelle parallèle.
L'année dernière a aussi été "la première année de plein exercice" du contrôle déontologique des agents publics. En tout, 307 avis ont été rendus par le collège de l'autorité administrative, qui s'est réuni "deux fois plus qu'en 2020". Environ la moitié d'entre eux portait sur le pantouflage : 10% ont été retoqués (avis d'incompatibilité), et les deux tiers restants ont été assortis de "réserves de fond". La Haute autorité assure également suivre de près ces dossiers jusqu'à trois ans après l'entrée en fonction des anciens fonctionnaires.
La HATVP s'efforce aussi de lutter contre l'absence de saisine, pourtant prévue par la loi, en lisant la presse... ou en surveillant les réseaux sociaux. "Grâce à un travail de veille, nous avons pu identifier une vingtaine de cas et demander aux personnes et à leur hiérarchie de régulariser leurs situations", signale Didier Migaud.
Mais des trous dans la raquette déontologique persisteraient et Didier Migaud formule plusieurs propositions pour y remédier. La HATVP ne peut par exemple pas sanctionner directement une personne qui omettrait de déposer sa déclaration. Il souhaite donc doter son administration d'un "pouvoir propre de sanction", qui serait "in fine plus dissuasif pour les déclarants récalcitrants" que l'actuelle procédure judiciaire, trop longue à aboutir. La saisine de la justice resterait toutefois possible pour ceux qui refuseraient de se plier à l'exercice.
Autre proposition : élargir le champ de contrôle du pantouflage aux adjoints aux maires des communes de plus de 100.000 habitants, et aux vices-présidents des conseils régionaux, départementaux ou de grandes intercommunalités. "Quand on est adjoint au maire dans une ville importante, le passage dans le privé peut poser problème", souligne-t-il. La HATVP voudrait, par ailleurs, pouvoir se faire communiquer directement les documents nécessaires à sa mission auprès des banques et des assureurs, notamment pour "s'affranchir de l'intermédiation de l'administration fiscale". Didier Migaud pointe enfin des lacunes et des incohérences dans les règles actuelles en matière de lobbying. Alors que l'encadrement de l'activité des représentants d'intérêts a été renforcé ces dernières années, le rapport de la Haute autorité propose de continuer à "adapter le dispositif de régulation du lobbying pour le rendre plus efficace".
Autant de points qui nécessitent de "légiférer à froid", préconise Didier Migaud, autrement dit sans attendre un éventuel scandale politico-financier comme celui qui a abouti à la création de la HATVP. Il déplore un rendez-vous manqué pendant la dernière législature, puisqu'une "proposition de loi de bon sens" et transpartisane, déposée par les députés Raphaël Gauvain (LaREM) et Olivier Marleix (LR), n'a jamais été inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. "Je ne me l'explique pas, mais comptez sur moi pour remonter au créneau", promet Didier Migaud. Il demandera aussi plus de moyens humains et financiers lors du Budget 2023, sujet sur lequel il a assure avoir toujours été entendu jusqu'à présent.
Des éclaicissements sur le cas
Jean-Baptiste Djebarri
Didier Migaud est revenu sur les trois projets de reconversion dans le privé de l'ancien ministre des Transports. S'il ne trouve "pas surprenant" que Jean-Baptiste Djebbari puisse faire plusieurs propositions de reconversion, car "il vient du privé" et "repart dans le privé", Didier Migaud et le collège de la HATVP ont rejeté un projet de reconversion chez l'armateur CMA CGM, afin d'éviter tout risque pénal ou déontologique par rapport à ses anciennes fonctions ministérielles. "C'était un très gros groupe, un opérateur de premier plan" et il était chargé "en sa qualité de ministre de suivre les activités" du secteur et de l'entreprise, "le risque déontologique nous est apparu substantiel".
La HATVP a donné un feu vert avec réserves pour l'entrée de Jean-Baptiste Djebbari au conseil d'administration d'une société de voitures à hydrogène, Hopium. "Le risque pénal n'existait pas, le risque déontologique pouvait être surmonté, circonscrit", a estimé Didier Migaud, à propos de cette start-up, avec "des véhicules pour le moment pas commercialisés" et "qui n'a bénéficié d'aucun crédit public" direct. Le président de la Haute autorité a au passage regretté une "maladresse ou une indélicatesse de la société et peut-être du ministre", avec l'annonce de son arrivée chez Hopium avant la publication de l'avis de la HATVP. Cette annonce avait soulevé une vague d'indignation dans l'opposition. L'institution a également donné un feu vert avec réserves pour la création d'une société de conseil.