Auditionnés à l'Assemblée nationale, ce mardi 4 mars, en ouverture de l'examen d'une réforme visant à accentuer la lutte contre le narcotrafic et la criminalité organisée, le ministre de l'Intérieur, Bruno Retailleau, et le ministre de la Justice, Gérald Darmanin, ont plaidé pour renforcer l'arsenal français. "Le moment est venu de reprendre le contrôle", a affirmé Bruno Retailleau.
Sortir du "piège du narcotrafic" : telle est l'ambition du gouvernement, qui soutient deux propositions de loi visant à combattre le narcotrafic et la criminalité organisée, adoptées il y a un mois au Sénat. "Le moment est venu de reprendre le contrôle. C'est une alerte", a exhorté le ministre de l'Intérieur, Bruno Retailleau, qui était auditionné ce mardi 4 mars à l'Assemblée nationale, en même temps que son collègue de la Justice, Gérald Darmanin.
Devant les députés de la commission des lois, Bruno Retailleau a dressé un parallèle entre les ravages de la criminalité organisée et ceux du terrorisme. "Depuis Mohamed Merah à Toulouse [en 2012], le terrorisme a fait un peu moins de 280 morts. C'est énorme. La criminalité organisée, en 2024, c'est 110 morts", a pointé le locataire de la place Beauvau, bien décidé à s'attaquer à la "menace existentielle" qu'est devenu, selon ses mots, le narcotrafic pour nos institutions.
Pour ce faire, la réforme transpartisane - initiée par les sénateurs Etienne Blanc (LR) et Jérôme Durain (PS) -, opère un "changement d'approche", a indiqué le ministre de l'Intérieur. Elle prévoit notamment la création d'un parquet spécialisé, sur le modèle du parquet national antiterroriste (Pnat). Ce parquet national anti-criminalité organisée (Pnaco) se concentrera sur le "haut du spectre", a souligné son homologue de la Justice. Il sera donc saisi des crimes les plus graves et jouera un rôle de coordination des parquets locaux. Une proposition de loi organique fixant le cadre du futur procureur de ce parquet est examinée en parallèle. Il pourrait être doté d'une dimension cyber, a fait savoir Gérald Darmanin.
Devant les députés, Bruno Retailleau a, en outre, confirmé que le Pnaco devrait s'appuyer sur un "état-major permanent" dédié à la lutte contre la criminalité organisée, établi à Nanterre sous l'autorité de la Direction nationale de la police judiciaire (DNPJ). Cet état-major, qui ne nécessite pas de changement législatif, pourrait être mis en place dès le mois prochain, a précisé le ministre.
Devant les députés, Gérald Darmanin a également détaillé l'une des mesures phares qu'il souhaite apporter au texte initial : la création d'un nouveau régime carcéral pour les détenus les plus dangereux, inspiré du modèle italien. Les détenus concernés, placés dans des quartiers dédiés de haute sécurité pour une durée de 4 ans renouvelable, se verraient appliquer des mesures strictes : parloirs par hyiaphone, systématisation des fouilles, réduction de l'accès au téléphone fixe, suppression de l'accès aux unités de vie familiale...
Marqué par l'évasion de Mohamed Amra, au cours de laquelle deux surveillants pénitentiaires ont trouvé la mort, le garde des Sceaux soutient également un amendement de Vincent Caure (Ensemble pour la République), qui vise à éviter les extractions judiciaires hors phases de jugement, sauf si le magistrat s'y oppose. Ces deux dispositions seront appelées en priorité peu après le début de l'examen du texte, mercredi matin, 5 mars, en commission. Le ministre de la Justice annoncera quelques heures plus tard la liste des premiers sites retenus.
Bruno Retailleau a voulu convaincre les députés du bien-fondé de plusieurs techniques spéciales prévues par la réforme pour faciliter les enquêtes. Controversées, voire décriées par certaines associations de défense des libertés individuelles, elles sont indispensables, a assuré le ministre de l'Intérieur, qui a sous-entendu que sans elles, la proposition de loi ne tenait pas.
Le texte propose notamment d'étendre l'expérimentation du recours au renseignement algorithmique, déjà utilisé dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, pour détecter des menaces liées à la criminalité organisée. Un autre dispositif oblige les messageries chiffrées telles Signal ou WhatsApp à autoriser, sous conditions, les enquêteurs à accéder aux messages des trafiquants. "Il n'y a pas d'affaiblissement du chiffrement" et "ce n'est pas une mesure massive", a argumenté Bruno Retailleau, réfutant toute introduction de "portes dérobées" au sein de ces solutions. Le ministre a par ailleurs évoqué les interceptions satellitaires.
La principale proposition de loi, "visant à sortir la France du piège du narcotrafic", dotée d'une cinquantaine d'articles, comporte également diverses mesures destinées à "taper au portefeuille des délinquants" : fermeture administrative de commerces ou de locaux associatifs soupçonnés de blanchiment d'argent, procédure "d'injonction pour richesse inexpliquée"... Le texte comprend également la création d'une forme de procédure pénale en parallèle, pour protéger les élements de l'enquête, ou encore une refonte du régime des "repentis". Après leur passage en commission cette semaine, les deux texte seront examinés dans l'hémicyle de l'Assemblée nationale au cours de la semaine du 17 mars.