La commission d’enquête sur les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française, présidée Philippe Benassaya (Les Républicains) et dont la rapporteure est Caroline Abadie (La République en marche), a auditionné, mercredi 16 septembre, le directeur de l'administration pénitentiaire du ministère de la Justice, la Défenseure des droits et la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté. Constat partagé : le problème endémique que constitue la surpopulation carcérale et la nécessité d'y remédier.
"Contrairement à ce qu’indiquait Michel Foucault, ou en tout cas à ce que d’aucuns qui l’ont mal lu ont en ont retiré comme leçons, la prison a toujours été une institution sociale qui a évolué, et j’ai envie de dire qu’on a un peu les prisons que l’on mérite". C’est ainsi que le directeur de l’administration pénitentiaire du ministère de la justice, Laurent Ridel, a introduit son propos devant les députés de la commission d’enquête. Il a notamment évoqué le rapport au droit, confiant que lorsque sa carrière avait débuté, le droit était quasiment absent de la prison, mais qu’elle était bel et bien devenue au cours de ces dernières années "un lieu de droit". "Les conditions d’exercice de ces droits peuvent poser difficulté en prison", a-t-il concédé, "mais comme dans d’autres lieux de la République. Les détenus peuvent recourir aux tribunaux et ils ne s’en privent pas".
Pourtant, le directeur de l’administration pénitentiaire n’hésite pas à évoquer un "problème endémique" lié à la surpopulation en prison qui a des répercussions sur l’accès à des conditions de vie dignes pour les détenus. C’est en tout cas le constat fait par la Défenseure des droits, Claire Hédon. Lors de son audition, elle a pointé la persistance de la surpopulation carcérale comme "première cause des atteintes aux droits des personnes en prison" et dénoncé un moratoire sur l’encellulement individuel, acté en 2009, qui n’est toujours pas suivi d'effet. La densité de population carcérale atteint aujourd’hui 110%, revenant au niveau de l’année 2019, alors que la crise sanitaire avait conduit à desserrer quelque peu l’étau. En janvier 2020, la Cour européenne des droits de l'homme avait dénoncé l'état de surpopulation chronique des prisons et condamné la France pour conditions de détention inhumaines et dégradantes.
Les propos de Claire Hédon ont été largement corroborés par Dominique Simonnot, Contrôleure générale des lieux de privation de liberté. "J’ai éprouvé le choc carcéral en entrant pour la première fois de ma vie dans une prison", a-t-elle ainsi raconté. "On m’a ouvert la porte d’une cellule et j’ai compris ce que c’était que trois personnes, non pas dans 9 mètres carrés comme on l’écrit souvent, mais dans 4, 30 mètres carrés compte tenu de l’emprise du lit superposé, du matelas au sol contre le mur, de la table, des toilettes et de la douche, quand elle existe". Dominique Simonnot a poursuivi en relayant le témoignage de "ceux qui racontent que quand ils dorment au sol, ils s’enroulent très serrés dans le drap et se mettent du papier toilette dans les oreilles pour ne pas que les cafards y rentrent".
La Contrôleure générale des prisons ne réclame cependant pas l’ouverture de nouvelles places de prison, arguant que l’Etat s’avère incapable d’entretenir celles qui existent déjà. Laurent Ridel avait quant à lui déclaré un peu plus tôt : "C’est bien de construire des prisons, c’est bien aussi de les entretenir". Mais surtout, Dominique Simonnot a estimé que la justice ne se penchait pas encore assez sur les peines alternatives.
La Contrôleure gérérale des prisons a ainsi évoqué la "loi Belloubet", du nom de l’ancienne garde des Sceaux, qui avait introduit le principe de la commutation des peines de prison de moins de six mois en aménagements de peine. Or, à Toulouse notamment, Dominique Simonnot a indiqué avoir constaté une moyenne des peines exécutées de 4, 5 mois. "Cette loi n’est pas appliquée", en a-t-elle conclu.
Dans le même temps, Laurent Ridel a cependant constaté un "allongement de la durée des peines effectives" avec une moyenne passant en quelques années de 9 à 11 mois.
La Contrôleure générale des prisons a, par ailleurs, déploré la présence de "gens qui ne devraient pas se trouver en prison, dont les fous".
Quelques heures auparavant, le directeur de l’administration pénitentiaire avait cité un chiffre qui n'a pas manqué d'émouvoir les membres de la commission d’enquête : environ 30% de la population carcérale présenterait des troubles du comportement. Laurent Ridel regrettant à cette occasion un manque de psychiatres en milieu carcéral et ce en dépit d’une stratégie de prise en charge plutôt complète, en théorie au moins. "Nous conservons des détenus qui devraient aller dans des milieux hospitaliers", a-t-il ainsi reconnu.
Claire Hédon a pour sa part constaté que "l’accès aux soins somatiques demeure trop limité, notamment du fait du manque de professionnels de santé disponibles". "La prise en charge des personnes atteintes de troubles de santé mentale est défaillante", a poursuivi la Défenseure des droits.
Si des difficultés dans l’accès aux soins d’ordre général sont par ailleurs constatées, l’exemple des soins dentaires étant souvent cités par les détenus, concernant la crise sanitaire, Philippe Ridel a tenu à rappeler que la catastrophe annoncée n’avait pas eu lieu. "La présence des unités hospitalières au cœur de la détention a sans doute permis une surveillance épidémiologique et une réactivité médicale peut-être supérieure à ce qui se passait dans la société civile", a-t-il ainsi expliqué.
Le directeur de l’administration pénitentiaire n’a cependant pas hésité à faire part d’un besoin de moyens supplémentaires, déclarant : "il faut que la société et les politiques assument la prison".