La mission d'information "sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme" de l'Assemblée nationale a successivement auditionné, jeudi 10 décembre, la directrice de l'Inspection générale de la police nationale, Brigitte Jullien, et la Défenseure des droits, Claire Hédon. Deux auditions qui interviennent dans un contexte où les polémiques faisant partie des dossiers traités par ces deux personnalités ont été nombreuses.
D'emblée, alors que l'Inspection générale de la police nationale est souvent critiquée, sa directrice, Brigitte Jullien, a eu ces mots, dans son propos liminaire : "On parle beaucoup de nous, on parle beaucoup de l’IGPN, alors qu’on ne nous connaît pas". Qu'il s'agisse d'affaires de violences ou de discriminations présumées ou avérées de la part de policiers, la question de la capacité de l'IGPN à remplir pleinement sa mission de contrôle est régulièrement posée. C'est à cela que Brigitte Jullien a voulu répondre en expliquant le fonctionnement de sa structure aux députés qui l'ont auditionnée.
Elle a tenu à détailler les rouages de l'Inspection générale qu’elle dirige, dont le champ d’action en matière de promotion de la déontologie excède celui des enquêtes internes. Ainsi, sur 285 agents de l’IGPN, dont 219 policiers, 110 sont des enquêteurs. Alors qu’une moyenne de 1500 procédures judiciaires sont ouvertes chaque année, l’IGPN a été saisie de 40 dossiers dénonçant des faits de discriminations ou d’injures à caractère raciste depuis le début de l’année 2020. Pour toute l’année 2019, c’est 36 signalements qui avaient été réalisés.
Brigitte Jullien a assuré que l’institution réalisait des efforts pour s’ouvrir vers l’extérieur. "Peut-être pas assez" jusqu’à présent, a-t-elle cependant concédé.
Interrogée sur ce qui se fait chez nos voisins, notamment en Grande-Bretagne où l’institution qui contrôle la déontologie de la police est indépendante, la patronne de l'IGPN a souhaité insister sur la spécificité du modèle français, pour partie liée aux règles de la fonction publique. "Le contrôle interne est indispensable et fondamental", a-t-elle ainsi déclaré. "Le statut de la fonction publique fait que l’agent public ne peut être sanctionné que par son autorité hiérarchique".
Elle a en revanche fait remarquer que la police française ne se soustrayait pas à un contrôle externe, et que c’est en l’état le Défenseur des Droits qui l’exerçait. "Le défenseur des Droits existe en France et c’est une bonne chose", s’est-elle félicitée, avant d’évoquer une collaboration de l’IGPN avec les services de cette institution. "Nous sommes en relation permanente avec le Défenseur des droits. Cette année nous avons eu douze recommandations du Défenseur des droits sur des problématiques de sécurité. Nous en avons déjà traité huit et nous avons suivi le Défenseur des droits sur six de ces dossiers".
"Je suis convaincue du rôle de contrôle interne de la déontologie des forces de sécurité et du contrôle externe", a assuré Claire Hédon, la Défenseure des droits, auditionnée par les députés quelques heures après Brigitte Julien. "L’un n’empêche pas l’autre, mais je pense qu’on ne peut pas envisager qu’il n’y ait pas de contrôle interne. Il pourrait être plus indépendant - il n’y a pas de doutes là-dessus - et plus transparent", a-t-elle expliqué, avant d’interroger :
La vraie question derrière, c’est quand les sanctions sont demandées, est-ce qu’elles sont appliquées ? Claire Hédon, Défenseure des droits, le 10 décembre 2020
Claire Hédon rapporte que depuis 2017, son institution a demandé à 36 reprises la mise en place de poursuites disciplinaires contre des forces de sécurité. "Aucune n’a été appliquée", a déploré devant les députés la Défenseure des droits. "Quand on demande un rappel à la loi, on est suivi dans trois-quarts des cas, mais quand nous demandons des poursuites disciplinaires, nous ne sommes jamais suivis", a-t-elle résumé.
Pour apporter plus d'ouverture dans le travail de l'IGPN, Brigitte Jullien a indiqué qu’une lettre de mission du ministre de l’Intérieur lui avait été adressée, afin de mettre en place une commission d’évaluation de la déontologie de la police nationale. Un comité qui serait justement composé du Défenseur des droits, d’un journaliste, de deux magistrats, d'un avocat, d'un maître de requêtes du Conseil d’Etat, et d'une personnalité de la société civile. Cette commission devrait se réunir une première fois début janvier, pour formuler des recommandations au ministre de l’Intérieur, notamment sur le port d’arme et les contrôles d’identité. Cette instance, mise en place au sein-même de l’IGPN, n’aurait pas vocation à travailler sur des dossiers individuels, mais de traiter des grands "sujets de fond", qui traversent le fonctionnement actuel de la police et ses potentielles évolutions.
Une nouvelle commission ? Claire Hédon a maintenu que la priorité était ailleurs. "Avant de vouloir tout réformer, essayons d’appliquer mieux ce qui existe déjà. (…) La confiance ne se retrouvera que si, lorsqu’il y a des dérapages, il y a des sanctions."
Des dérapages que la Défenseure des droits veut prévenir. Elle estime que la délivrance d’un récépissé dans le cadre des contrôles d’identité pourrait être une solution. Selon une enquête de l’institution, les personnes "perçues comme non-blanches ont 20 fois plus de chance d’être contrôlées. Ce n’est pas rien." "Il ne faut pas s’empêcher cette expérimentation, il faut la faire. (…) Avec l’épidémie de Covid, on a réussi à quantifier le nombre d’amendes données, donc ça prouve que ça nous parait possible !" a expliqué Claire Hédon. Pour elle, même une estimation chiffrée des contrôles réalisés "serait déjà une avancée."
George Pau Langevin, adjointe auprès de la Défenseure des droits, a aussi soutenu cette idée. "On ne dit pas que les forces de l’ordre sont racistes. (…) Mais tant que nous n’aurons pas la possibilité de tracer très précisément ce qui se passe par ce récépissé, on échangera opinion contre opinion sans pouvoir faire changer les choses", a-t-elle justifié. L’ancienne députée socialiste a souligné qu’on "parle depuis longtemps de ce fameux récépissé." George Pau Langevin "a appartenu à un gouvernement qui ne l’a pas mis en place alors qu’il l’avait promis", reconnaît-elle. "Mais je pense qu’aujourd’hui, on a besoin de traçabilité."
Lors de son audition, Brigitte Jullien s’est dite favorable à "une réflexion sur une réforme globale du contrôle d’identité". "On peut contester l’efficacité et l’efficience des contrôles d’identité", reconnaît-elle, indiquant qu’en l’absence de "palpation", le contrôle d’identité ne permettait généralement pas de constater une quelconque infraction et ne s'avérait donc pas pertinent.
Quant au racisme et à la question des contrôles au faciès, la directrice de l'IGPN a assuré que dans le cas de comportements inappropriés d’un policier, ses collègues étaient souvent les premiers à s’en émouvoir, et qu’alors, "la solidarité tombe". Un peu plus tôt, Brigitte Jullien avait évoqué des enquêtes internes souvent "longues et compliquées", en partie en raison d’une "loi du silence" qui a tendance à s’exercer dans les rangs des forces de l’ordre.
Elle a également souligné le rôle de la hiérarchie intermédiaire, notamment dans le cas du tutoiement, sur lequel elle avait été interrogé. "Ce n’est pas acceptable qu’un policier tutoie les personnes qu’il contrôle sur la voie publique", a-t-elle déclaré, après avoir évoqué un comportement "contraire à la déontologie".
Brigitte Jullien s’est défendue d’incarner un organe de protection géré par et pour les policiers, définissant l’IGPN comme une instance servant "l’intérêt général et singulièrement celui des usagers".