Réforme du corps diplomatique : "mal comprise" et "critiquable", selon un rapport parlementaire

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Le Ministère de l'Europe et des Affaires étrangères, quai d'Orsay à Paris. Crédits photo : Wikipédia (licence Creative commons).
par Léonard DERMARKARIAN, le Jeudi 12 janvier 2023 à 16:15, mis à jour le Vendredi 13 janvier 2023 à 22:18

Une mission d'information corapportée par les députés Vincent Ledoux (Renaissance) et Arnaud Le Gall (La France insoumise) met en lumière les "critiques" de la récente réforme du corps diplomatique. Les quelques points d'accord entre les deux députés ne masquent cependant pas des analyses opposées pour dessiner l'avenir de la diplomatie française.

Marquée par le retour d'Adrien Quatennens à l'Assemblée nationale, la réunion de la commission des affaires étrangères, mercredi 11 janvier, a notamment été consacrée à la présentation des conclusions de la mission d'information sur la réforme du corps diplomatique menée par les députés Vincent Ledoux (Renaissance) et Arnaud Le Gall (LFI).

Constituant un des aspects de la réforme de la haute fonction publique, la réforme du corps diplomatique a été mise en place à partir d'avril 2022. Elle vise à rattacher les diplomates du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères (MEAE) au nouveau et seul grand corps interministériel des administrateurs d’État, dont la formation est désormais assurée par l'Institut national du Service public (INSP), remplaçant de l’École nationale d'administration (ENA). Par cette réforme sera progressivement mis fin aux spécificités de recrutement, de formation, de rémunération et de carrière des hauts fonctionnaires du Quai d'Orsay.

Une réforme "mal comprise" et critiquée

Le rapport, consulté par LCP, est décomposé en deux parties. La première revient d'abord sur la chronologie de la réforme, qui a suscité de nombreuses critiques, détaillées dans le rapport.

En dépit de "garanties spécifiques" obtenues par le précédent ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, la réforme est principalement critiquée pour sa "remise en cause de la diplomatie professionnelle" et la crainte d'une "politisation des affectations" par la suppression des corps, des grilles d'avancement et de la progression des carrières diplomatiques, avec le passage d'une "gestion par corps à une gestion par compétences".

Ces critiques se manifestent particulièrement au sein du MEAE, dont les effectifs, réduits de moitié en trente ans, représentent désormais moins de fonctionnaires qu'une ville comme Toulouse. La contestation et le mal-être des personnels du Quai d'Orsay ont notamment été exprimés par une grève, le 2 juin 2022, la première depuis deux décennies.

Les rapporteurs s'entendent sur ce point : la diplomatie française est "à l'os". Rapport de la mission d'information parlementaire sur la réforme du corps diplomatique

 

Une réforme, deux appréciations radicalement différentes

Passé le constat partagé d'une réforme mal comprise et critiquée, la deuxième partie du rapport reflète une divergence de vue manifeste entre les rapporteurs : pour Vincent Ledoux (Renaissance), "cette réforme est une opportunité pour notre diplomatie". Selon lui, tout en étant "soucieuse de la préservation des carrières diplomatiques", la réforme permettra d'avoir des diplomates "mieux formés et plus ouverts sur la société", grâce une formation assurée par l'INSP et le décloisonnement des carrières diplomatiques, les futurs diplomates étant appelés à servir durant une partie de leur carrière hors du Quai d'Orsay, dans d'autres administrations centrales.

Inversement, "cette réforme nuira profondément à la qualité de la diplomatie française" pour Arnaud Le Gall (LFI), pour qui "le métier diplomatique [...] ne peut être exercé de la même manière par n'importe quel haut fonctionnaire d’État". Selon lui, "les postulats comme la méthode d'une réforme reposant sur une vision néolibérale de l’État expliquent en partie [que la réforme] soit si contestée".

Malgré les contestations, celle-ci reste essentielle pour Vincent Ledoux (Renaissance). Selon lui, elle va notamment permettre de "raviver la vocation méritocratique" de la fonction publique. Tel n'est pas l'avis d'Arnaud Le Gall (LFI) qui, tout en reconnaissant que "la réforme [est] actée", développe dans sa contribution la possibilité d'une "autre réforme" pour "se donner les moyens de nos ambitions", à travers le maintien du corps diplomatique et une loi de programmation pluriannuelle ouvrant la voie à une "remontée en puissance" du MEAE.

Un appel conjoint à garantir l'avenir de la diplomatie française

Malgré des analyses divergentes d'une réforme critiquée, les députés appellent de concert à créer de nouvelles garanties "pour rassurer sur l'avenir de la filière diplomatique", notamment à travers la mise en place d'un "tableau de bord" du suivi de la réforme, ou l'exigence d'ancienneté sur certains postes diplomatiques - une mesure également préconisée par le Sénat dans un récent rapport parlementaire.

Enfin, afin de renforcer l'attractivité des métiers diplomatiques et pour lutter contre les "clichés du diplomate "Ferrero Rocher"", les corapporteurs affirment la nécessité d'une "conduite d'actions de communication publique par le direction de la communication du Quai d'Orsay". Concrètement, les corapporteurs prônent la création d'une série similaire au Bureau des légendes, une série soutenue par le ministère des Armées qui a permis de faire connaître au grand public la DGSE, le service de renseignement extérieur français.

Le coût d'une nouvelle série mettant en valeur le travail des diplomates serait minime mais représenterait, en cas de succès, un bénéfice très important. Rapport de la mission d'information sur la réforme du corps diplomatique

L'avenir de la diplomatie française continuera d'être au coeur de l'actualité dans les prochaines semaines : d'abord, avec l'appel à la mobilisation, le jeudi 19 janvier, par plusieurs syndicats du Quai d'Orsay contre la réforme des retraites ; ensuite, avec la poursuite des États généraux de la diplomatie qui ont débuté à l'automne dernier. La restitution des conclusions de ce "Grand débat" de la diplomatie est attendue pour le premier trimestre 2023. Elle pourrait nourrir l'application de la réforme, décriée, du corps diplomatique.

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