Les députés de la commission des lois ont étudié début novembre la proposition de loi relative à la "sécurité globale" portée par les élus LaREM Jean-Michel Fauvergue et Alice Thourot. Après l'étape de la commission, le texte sera examiné en séance publique à partir du mardi 17 novembre.
“Il s’agit de protéger ceux qui nous protègent.” Complétée en urgence sous l'impulsion du ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, après les événements de Champigny-sur-Marne le 10 octobre dernier, où des individus s'en sont pris à un commissariat avec des mortiers d'artifice, la proposition de loi sur la sécurité globale était soumise à l’étude des députés ces mercredi et jeudi 4 et 5 novembre, en commission des lois de l’Assemblée nationale. Alors que les députés présentaient leurs amendements, la Défenseure des droits, Claire Hédon, a fait savoir dans un avis au Parlement, que certaines dispositions du texte soulevaient des "difficultés importantes" au regard des "droits fondamentaux" que sont la liberté d'informer et le droit à la vie privée.
Ce texte, rédigé par les députés La République en marche Alice Thourot et Jean-Michel Fauvergue, vise notamment à renforcer les pouvoirs des polices municipales. Les policiers municipaux pourront notamment constater directement certains délits qui ne nécessitent pas d'actes d'enquête (port d'arme ou consommation de drogue), mais aussi effectuer des contrôles d'identité ou encore avoir accès au fichier des véhicules volés. “Il ne s’agit pas d’un grand soir de la police municipal, mais de modifications pratiques et d’améliorations concrètes”, a expliqué Jean-Michel Fauvergue, ancien patron du RAID, l'unité d'élite de la police nationale.
Mesure la plus polémique de la loi : la diffusion "malveillante", notamment sur les réseaux sociaux, de l’image des policiers nationaux et militaires de la gendarmerie en intervention sera punie d'un an d'emprisonnement et de 45.000 euros d'amende. “Pas d’inquiétudes, les journalistes pourront toujours faire leur travail, nous ne voulons sanctionner que les intentions malveillante”, a insisté Alice Thourot.
Le texte entend également interdire la vente des "mortiers" : détournés de leur utilisation normale, ces feux d'artifices servent parfois de projectile contre les forces de l'ordre. La détention ou l'utilisation de ces mortiers "sans posséder les connaissances techniques particulières exigées par la réglementation" sera punie de six mois d'emprisonnement et de 7.500 euros.
Les députés ont d'abord vivement débattu des nouvelles prérogatives accordées aux sociétés de sécurité privée. Leur place étaient déjà prépondérante dans le texte initial. “Votre rapport est de qualité. (...) Cependant, ce texte nous semble trop étendre les compétences des sociétés de sécurités privés", a ainsi remarqué le député Éric Diard (Les Républicains). “Vous donnez aux sécurités privées des prérogatives supérieures à la police municipale”, s'est-il étonné.
D'autre part, le gouvernement veut instaurer une obligation de cinq ans de présence légale en France à tout individu souhaitant travailler dans la sécurité privée. Le député communiste, Stéphane Peu, a alors soulevé un paradoxe : le texte renforce les obligations sur les agents de sécurité privé, mais cette profession est souvent exercée par du personnel très précaire, et le secteur dépend en partie des sans-papiers : "A la Gare de Lyon, je serre la main à la moitié des vigiles. Ils viennent de Saint-Denis !"
Autre sujet de crispations : l'utilisation des images de caméras piétons embarquées sur les policiers. “Il va falloir faire très attention parce qu’on a dans les mains la liberté d’informer", a prévenu d'emblée Paul Molac (Libertés et territoires). Le MoDem, pourtant allié de la majorité, s'est vivement opposé à la diffusion d'image de caméras piéton au grand public.
En corrélation, la possibilité d'exploiter en temps réel des images captées par les caméras piétons dont sont équipées certains membres des forces de l'ordre a fait grincer des dents. Selon la Défenseure des droits, cette mesure "est susceptible de porter une atteinte disproportionnée au respect de la vie privée". Elle critique également l'éventuelle possibilité, pour les policiers municipaux et les agents de la ville de Paris de consulter les images des caméras de vidéo protection, et le recours aux drones comme outil de surveillance des manifestations.
Pour Danièle Obono (LFI), cela va "créer la base légale d’une propagande gouvernementale". Réponse de Jean-Michel Fauvergue, qui juge nécessaire de "se déniaiser" sur ces sujets: "Mme Obono décharge son fiel à fois sur la société française et sur l’ensemble des forces de l’ordre" et est invitée à "prendre ses gouttes".
La proposition de loi entend par ailleurs pénaliser l'usage "malveillant" d'images de forces de l'ordre. Le texte prévoit que puisse être "puni d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait de diffuser, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, dans le but qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique, l’image du visage ou tout autre élément d’identification d’un fonctionnaire de la police nationale ou d’un militaire de la gendarmerie nationale lorsqu’il agit dans le cadre d’une opération de police". Dans son avis publié jeudi, Claire Hédon s'est dite "particulièrement préoccupée" par cette disposition et "demande à ce que ne soient, à l'occasion de ce texte, entravés ni la liberté de la presse, ni le droit à l'information".
Cet article, le plus controversé du texte, a été adopté en fin d'après-midi. Non sans indignations et inquiétudes. “Il faut se dire qu’un article comme celui-là est de nature à nuire aux activités des journalistes”, a dénoncé la socialiste George Pau-Langevin. Même tonalité du côté des groupes La France insoumise et Libertés et territoires. Un amendement a été adopté pour que l'interdiction de diffusion ne s'applique pas aux numéros d'identification individuel (dit RIO) des forces de l'ordre. Jean-Michel Fauvergue a assuré, lui, que la proposition de loi n'obligeait en aucun cas "au floutage des forces de l'ordre".
Enfin, le MoDem et une partie de l'opposition se sont saisis de la possibilité accordée aux policiers par le texte, d'accroître leur autorisation de port d'arme hors service, notamment dans les établissements accueillant du public, en réclamant un amendement de suppression : "Nous craignons une banalisation du port d'arme".
Pour Jean-Michel Fauvergue, cette disposition pourrait surtout permettre d'éviter des drames, comme celui du Bataclan.