Les députés ont rejeté, jeudi 20 janvier, une proposition de loi socialiste qui visait à augmenter le Smic de 15%. L'occasion pour les différents groupes politiques d'aiguiser leurs arguments sur le pouvoir d'achat en vue des échéances électorales de 2022 et pour la majorité de défendre son bilan en la matière.
A l'approche de l'élection présidentielle, les débats dans l'Hémicycle de l'Assemblée nationale prennent parfois accents de campagne électorale, les différents groupes politiques confrontant leurs propositions sur les dossiers à l'ordre du jour. Exemple jeudi, alors que les députés examinaient une proposition de loi visant à augmenter le Smic de 15% dans le cadre de la journée d'initiative parlementaire du groupe Socialistes et apparentés. Cette proposition, qui équivaut à une hausse d'environ 200 euros nets par mois, n'est pas anodine : elle figure dans le programme présidentiel de la candidate du PS, Anne Hidalgo.
"Le Smic ne préserve plus de la précarité", a affirmé Gérard Leseul, l'auteur du texte, qui a défendu le passage du salaire minimum à 1827,89 euros bruts au 1er février 2022, contre 1 603, 12 euros à l'heure actuelle. L'élu socialiste a souligné que le Smic "stagne depuis des années", au contraire des dividendes, qui explosent : 51 milliards d'euros ont ainsi été distribués aux actionnaires en 2021. Devançant la défense de la majorité sur le thème du pouvoir d'achat des Français, Gérard Leseul a critiqué les décisions prises par l'Exécutif durant la crise sanitaire, fustigeant notamment les différentes primes mises en œuvre. Temporaires, ne permettant pas d'assurer une retraite décente au contraire d'une hausse salariale, les primes représentent une mauvaise solution, a-t-il estimé.
En réponse, la ministre déléguée à l'Insertion a fait part de ses doutes sur les conséquences d'une hausse brutale du Smic sur une économie encore fragile. "Il ne s'agit pas du meilleur outil pour lutter contre la pauvreté", a assuré Brigitte Klinkert, jugeant qu'une telle réforme dégraderait la compétitivité et menaçerait un niveau de chômage historiquement bas. La ministre a également rappelé que le salaire minimum avait bénéficié d'un coup de pouce de 3,1 % en un an, du fait de deux revalorisations automatiques destinées à s'adapter à l'inflation. "Le niveau du Smic est l'un des plus hauts en Europe", a-t-elle affirmé, pointant la nécessité de "consolider avant tout les créations d'emplois".
Alors que la fin de la législature approche, Brigitte Klinkert n'a pas manqué, au fil des débats, de défendre le bilan économique du mandat d'Emmanuel Macron concernant les bas salaires. "L'augmentation du pouvoir d'achat est au cœur du quinquennat", a-t-elle scandé, mettant en avant la suppression progressive de la taxe d'habitation, la reconduction de la prime exceptionnelle du pouvoir d'achat (ou "prime Macron"), ou encore le bouclier tarifaire destiné à s'adapter contre la hausse des coûts de l'énergie, et l'indemnité inflation.
"La solution magique d'augmenter le Smic détruit des emplois", a abondé Charlotte Parmentier-Lecoq (LaREM), pour qui les mesures mise en place depuis 2017 "ont permis aux salariés touchant le Smic de gagner 170 euros par mois", en plus des hausses automatiques. Vincent Ledoux (Agir ensemble) a pour sa part souligné que la proposition socialiste était une "fausse bonne idée dictée par les échéances électorales à venir". Il a appelé à davantage agir sur la formation des personnels peu qualifiés.
Les différents groupes d'opposition ont saisi l'opportunité de cette proposition de loi pour avancer leurs propres idées sur le thème du pouvoir d'achat. Défendant la valeur du travail, qui "ne paie plus assez", Stéphane Viry (LR) a prôné lui aussi une hausse de 10 % des salaires jusqu'à 2,2 Smic. Tout en alertant sur les effets d'une croissance trop brutale des bas salaires, si celle-ci n'est pas accompagnée de mesures destinées aux entreprises. Dans la même veine, il a proposé que les salariés puissent détenir 10 % du capital de leur entreprise, appelant à un "plus juste partage de la valeur ajoutée".
Yannick Favennec-Bécot (UDI) a plaidé pour une "baisse très importante des prélèvements obligatoires", unique mesure, selon lui, de rapprocher le salaire brut du salaire net. "Il faut libérer les entreprises des contraintes qui les assaillent", a-t-il indiqué.
A contrario, Éric Coquerel (LFI) a appuyé la demande du groupe Socialistes. "L'augmentation des bas salaires n'est pas un luxe mais une nécessité urgente", a-t-il souligné. Tout en mettant en avant le programme des Insoumis pour l'élection présidentielle : hausse du salaire des fonctionnaires, conférence sociale sur les inégalités de salaires entre les femmes et les hommes, pas de retraite inférerieure au Smic, suppression de la réforme de l'assurance chômage, hausse des minimas sociaux... Sans oublier le plafonnement du versement des dividendes : "Le capital coûte bien trop cher", a-t-il conclu.
Un thème également défendu par Stéphane Peu (GDR). L'élu communiste a pointé à son tour l'écart de plus en plus important entre la valeur du travail et celle du capital, selon lui, mise en lumière par "l'envolée boursière de 29 % en 2021".
Le deuxième axe de la proposition de loi, à savoir l'ouverture d'une "conférence nationale sur les salaires" dans les six mois qui auraient suivi la promulgation du texte, a également permis à plusieurs intervenants de critiquer les écarts de rémunération dans les entreprises. "Rien ne peut justifier qu'un patron d'une grande enseigne gagne 300 fois le salaire de sa caissière", a martelé Boris Vallaud. Unis sur ce point, socialistes comme insoumis ont proné un écart maximal de 1 à 20 au sein d'une même entreprise ; proposition qui figure dans chacun des programmes de leur candidat attitré.
Rien ne peut justifier qu'un patron d'une grande enseigne gagne 300 fois le salaire de sa caissière. Boris Vallaud, député socialiste
La conférence nationale que le texte visait à mettre en place aurait également pu permettre d'aborder la composition du groupe d'experts sur le Smic, chargée d'émettre des recommandations sur le salaire minimum, ont proposé les élus socialistes, qui souhaitaient l'ouvrir aux partenaires sociaux. Gérard Leseul estime que la composition de ce groupe d'experts fait aujourd'hui la part belle aux idées libérales. La dernière hausse préconisée par cette instance remontant à 2008.
Sans surprise, la proposition de loi des députés PS a finalement été écartée. Sans clore pour autant le débat sur le pouvoir d'achat des Français, plus que jamais d'actualité dans un contexte d'élection présidentielle sur fond d'inflation et de hausse des prix de l'énergie.