Journée historique à l'Assemblée nationale. François Bayrou n'a pas obtenu la confiance des députés ce lundi 8 septembre. C'est la première fois qu'un gouvernement tombe en ayant recours à cette procédure sous la Ve République. Un résultat sans surprise compte tenu des intentions affichées depuis plusieurs jours par les oppositions. Avant même ce vote, dans les couloirs du Palais-Bourbon, tous pensaient donc déjà à la suite. En attendant la décision d'Emmanuel Macron quant à l'identité du prochain locataire de Matignon. Récit.
19 heures, ce lundi 8 septembre, dans les jardins de l'Assemblée nationale. "Ça y est, c'est une bonne chose de faite, on a fait tomber le gouvernement !", lance tout sourire le député insoumis Gabriel Amard, en se filmant pour ses propres réseaux sociaux. Juste après, Benjamin Lucas (Ecologiste et social) se prête au même exercice. Sa collègue de groupe Danielle Simonnet file, elle, à "un pot de départ" de François Bayrou organisé dans le 20e arrondissement de Paris. Quelques minutes plus tôt, le Premier ministre et son gouvernement n'ont pas obtenu la confiance de l'Assemblée nationale. Le résultat est net : 364 voix "contre", 194 "pour" et 15 abstentions (lire le détail du scrutin à consulter ici).
Pourtant, prenant la parole dans l'hémicycle aux alentours de 15 heures, François Bayrou avait "fait le choix de [s’]adresser" aux députés "comme si le destin n'était pas écrit". Pendant une quarantaine de minutes, il a rappelé la situation de la France et appelé chacun à la responsabilité : "Vous avez le pouvoir de faire tomber le gouvernement, mais pas le pouvoir d'effacer le réel", notamment la dette de la France.
Peu importe, la page était déjà tournée. Dans l'hémicycle et dans les salles adjacentes, pleines à craquer de journalistes, français et étrangers, et d'invités du jour – parmi lesquels le leader de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, arrivé entouré des députés LFI, ou la cheffe de file des Ecologistes, Marine Tondelier –, tous regardaient déjà ailleurs. Vers l'après-Bayrou et surtout vers Emmanuel Macron. "Le président de la République prend acte du résultat du vote des députés" et "nommera un nouveau Premier ministre dans les tous prochains jours", a fait savoir l'Elysée lundi soir. Or, si chaque responsable politique a son idée sur le sujet, personne ne sait réellement ce que le chef de l'Etat a en tête.
"Nous sommes prêts [à gouverner], qu'il vienne nous chercher", a lancé ce lundi à la tribune le président du groupe Socialistes, Boris Vallaud, dans une allusion à une phrase prononcée en juillet 2018 par Emmanuel Macron en pleine affaire Benalla. "Il ne peut pas y avoir la survie macroniste et la survie programmatique. C'est Macron qui décidera d'être une cible ou pas", en choisissant ou non de faire des compromis, commentait peu avant, salle des Quatre-Colonnes, un député PS. "Qu’est-ce que lui fait dans la crise de régime qu’il a créée ?", s'interrogeait quant à elle l'élue communiste Elsa Faucillon. "Macron est désormais en première ligne face au peuple. Lui aussi doit partir", a réagi Jean-Luc Mélenchon sur X.
Nous n'accepterons jamais que se mette en place ici le programme funeste du Nouveau front populaire et cela vaut évidemment pour un gouvernement socialiste qui porterait ce programme. Laurent wauquiez (LR)
Justement, dans l'hémicycle, le président des députés Les Républicains, Laurent Wauquiez, a pris pour cible La France insoumise et Jean-Luc Mélenchon – il n'était plus là pour l'entendre –, qui est "le premier danger politique pour la République française". "Nous n'accepterons jamais que se mette en place ici le programme funeste du Nouveau front populaire et cela vaut évidemment pour un gouvernement socialiste qui porterait ce programme", a-t-il affirmé. Croisé dans la foulée dans les couloirs du Palais-Bourbon, Erwan Balanant (MoDem) regrettait le fond de ces prises de parole. "Faire un compromis, c'est faire du chemin vers l'autre. Mais est-ce qu'aujourd'hui, ce n'est pas le jour du théâtre ?", voulait-il se rassurer en espérant que les prochains jours seraient plus propices à la discussion. Pourquoi les forces politiques y arriveraient-elles aujourd'hui quand elles n'y sont pas parvenues hier : "C'est ça ou le chaos !"
Pour éviter un nouveau Premier ministre qui chuterait, comme François Bayrou ou Michel Barnier, certains députés plaident pour une discussion préalable et un accord de gouvernement. Avant de nommer le futur locataire de Matignon. "Il faut dévitaliser politiquement la séquence pour la faire refroidir", avec un négociateur extérieur aux partis qui mettent ces derniers autour de la table, estime la députée et ex-ministre Olivia Grégoire (Ensemble pour la République). "On est aveuglés par le Quinté plus des Premiers ministrables !", dénonce-t-elle, alors qu'à la tribune, son président de groupe, Gabriel Attal, a dit vouloir "tendre la main" afin de bâtir un "accord d'intérêt général autour d'une feuille de route précise" pour les 18 mois à venir. "Il faut un conciliateur rompu aux négociations", anticipait aussi, à l'heure du déjeuner, un député EPR, preuve que le sort de François Bayrou n'était déjà plus le sujet. Le même, étiqueté aile gauche, appelait Emmanuel Macron à "savoir changer de dogme" et à un accord avec les socialistes : "C'est faisable. Il faut que chacun mette de l'eau dans son vin et mette de côté certains sujets."
Reste qu'échaudés par François Bayrou, et les suites données à leur décision de ne pas voter la censure en début d'année sur le budget 2025, les socialistes n'entendent pas, en substance, se faire avoir une seconde fois. "Un PS qui montrerait les muscles aujourd’hui et qui n’irait pas au bout après, c’est une illusion. On n'est pas des gens sur qui on s’essuie les pieds !", mettait en garde l'un d'entre eux ce lundi après-midi, quand un autre estimait… qu'il n'y avait "aucune chance qu'Olivier Faure [le premier secrétaire du parti] soit nommé Premier ministre". Ce sera de toute façon sans La France insoumise : "Si les socialistes estiment qu'ils peuvent gouverner et permettre à la politique de M. Macron de se maintenir, ça les regarde mais nous on ne va pas tremper là-dedans", tranchait dans la soirée l'insoumis Eric Coquerel sur LCP.
"On ne donne pas le pouvoir à des gens qui ont fait 2 % à la présidentielle", balayait pour sa part Jean-Philippe Tanguy (Rassemblement national). Pas question pour eux d'entendre parler d'un quelconque accord. Dans l'hémicycle ce lundi, la présidente du groupe RN, Marine Le Pen a renvoyé dos à dos les "dirigeants de droite comme de gauche" : "Vous ne pouvez pas pleurer devant les caméras sur les conséquences des méfaits que vous avez vous-mêmes commis", a-t-elle lancé, sous les applaudissements de son camp, appelant une nouvelle fois à une dissolution, qui n'est "pas un caprice, mais un levier institutionnel".
Reprenant la parole, juste avant le vote, François Bayrou, qui remettra mardi sa démission à Emmanuel Macron, a remercié son gouvernement pour les "neuf mois de profond bonheur" passés à Matignon et fait ses adieux à la représentation nationale en tant que Premier ministre. Dans la foulée du vote qui a fait tomber le gouvernement, les uns et les autres ont enchaîné les réunions de groupe et vont se succéder dans les médias pour faire valoir leur point de vue. Jusqu'à la nomination d'un nouveau Premier ministre par Emmanuel Macron. Une autre étape s'ouvrira alors. Mais nombre de députés s'accordent pour dire que ce nouveau chef du gouvernement "ne pourra être que le dernier". En cas d'échec, la dissolution leur semble inéluctable, et donc de nouvelles élections législatives anticipées. "La question, ce n'est pas s'il va y en avoir mais quand. Les tracts sont prêts, il ne manque que la photo et les dates", commentait, adossé salle des Quatre-Colonnes, le collaborateur d'un élu Les Républicains, regardant le ballet des caméras. Lui, avait passé le week-end à mettre ces tracts à jour.