Commission d'enquête sur le déficit public : "En sept jours, avec la censure, vous avez fait dérailler à nouveau la France", lance Bruno Le Maire

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Bruno Le Maire, auditionné le 12 décembre 2024 à l'Assemblée nationale.
Bruno Le Maire, a été auditionné le 12 décembre 2024 à l'Assemblée nationale. LCP
par Maxence Kagni, le Jeudi 12 décembre 2024 à 18:15, mis à jour le Jeudi 12 décembre 2024 à 18:20

L'ancien ministre de l’Economie et des Finances, Bruno Le Maire, a été auditionné, ce jeudi 12 décembre, par les députés de la commission des finances dans le cadre de leurs travaux sur le dérapage du déficit public. En fonction à Bercy de 2017 à 2024, il a ardemment défendu son action, taxant d'"hypocrisie" des parlementaires qui "à de rares exceptions près" préfèrent les dépenses aux économies, a-t-il dénoncé en substance, au cours d'une audition qui s'est déroulée dans une ambiance électrique. 

"Alors, qui êtes-vous pour juger ?" Ce Jeudi 12 décembre, Bruno Le Maire a défendu pendant un peu plus de quatre heures son bilan et la sincérité de son action à la tête du ministère de l’Economie et des Finances (2017-2024). L'ancien ministre était auditionné dans le cadre des travaux menés par la commission finances, qui s'est doté des pouvoirs d'une commission d'enquête pour "étudier et rechercher les causes de la variation et des écarts des prévisions fiscales et budgétaires des administrations publiques pour les années 2023 et 2024".

Bien loin d'esquisser un mea culpa sur le dérapage des finances publiques, Bruno Le Maire a lourdement mis en cause les parlementaires : "Le débat sur le budget 2025 et la motion de censure du gouvernement ont fait tomber les masques, cette Assemblée, à de si rares exceptions près, ne veut pas réduire les dépenses publiques, ne veut pas réduire la dette", a-t-il d'emblée déclaré.

Cette Assemblée taxe, dépense, censure. Bruno Le Maire

Et l'ex-ministre d'accuser le Nouveau Front populaire de "jouer avec le feu" en "multipliant les taxes, les impôts, les prélèvements de toute sorte", ou encore de cibler le Rassemblement national qui "préfère les artifices" : "Madame Le Pen a voté la censure sous le regard attendri au balcon de l'Assemblée nationale de Monsieur Mélenchon", a dénoncé Bruno Le Maire. Le président du groupe Droite républicaine, Laurent Wauquiez a lui aussi été visé : "Je parle devant des parlementaires qui se précipitent au 20 heures pour annoncer que les retraites seront bien revalorisées au 1er janvier". "Et vous dites vouloir réduire le poids de la dette ? Hypocrisie !", a-t-il fustigé devant la commission des finances. 

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Très offensif, Bruno Le Maire a fait mine d'interroger les députés : "Où avez-vous proposé et documenté des économies durables, sérieuses, significatives dans vos débats ? Nulle part". Avant d'ajouter : "Jamais vous ne me ferez porter la responsabilité de cet aveuglement collectif qui vous interdit de voir une chose simple, ni les impôts ni les bouts de ficelles ne régleront le problème de la dette et des déficits en France, qui remonte à cinquante ans."

Les parlementaires "en demandaient toujours plus"

Bruno Le Maire estime "facile, mais faux" de "faire porter sur [ses] seules épaules la responsabilité de la dégradation des comptes publics en 2023 et en 2024". Selon lui, "la dégradation brutale des comptes publics tient avant tout à une erreur de prévision des recettes". Une erreur de prévision commise par les services de Bercy, mais que l'ancien ministre assume puisqu'ils "étaient sous [son] autorité".

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Concernant la crise du Covid, Bruno Le Maire a évoqué le coût des "mesures de protection massive", chiffré à "environ 15 points de dette supplémentaires". Une dépense revendiquée par l'ancien député de l'Eure : "La dette Covid est notre dette collective, elle aurait été deux fois plus importante si je vous avais écouté", a-t-il affirmé, fustigeant l'attitude de parlementaires qui, à l'époque, en "demandaient toujours plus".

Bruno Le Maire a également justifié les "25 milliards d'euros" de "correction budgétaire" décidés à la fin de l'année 2023 et au début de l'année 2024 pour faire face "à une perte brutale de recettes fiscales à hauteur de 42 milliards d'euros" ainsi qu'aux "dépenses nouvelles des collectivités locales à hauteur de 12 milliards d'euros".

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"Toutes ces économies, vous les avez écartées d'un revers de la main, alors qui êtes-vous pour juger ?", a encore lancé l'ancien ministre. Bruno Le Maire a également rappelé avoir plaidé en faveur d'un projet de loi de finances rectificative. Un tel texte "aurait eu l'immense mérite de mettre ce sujet des finances publiques au cœur du débat politique", a-t-il expliqué.

Je pense qu'on peut tout me reprocher mais certainement pas de ne pas avoir alerté depuis 2021 sur la gravité de la situation des finances publiques. Bruno Le Maire

Des "promesses" financées "à crédit"

Outre l'épidémie de Covid et la crise inflationniste provoquée par le début de la guerre en Ukraine, qui l'ont amené à prendre des mesures pour protéger le pouvoir d'achat et les entreprises, l'ex-locataire de Bercy a aussi évoqué le "chômage de masse" qui a longtemps touché le pays et l'"effondrement industriel depuis 1980", le "modèle social" français, ainsi que "le poids des retraites", pour expliquer la situation actuelle des finances publiques. Et de pointer, en particulier, les conséquences à long terme de la retraite à 60 ans (décidée en 1982, ndlr), des 35 heures et des "embauches massives de fonctionnaires" d'une France qui a, selon lui, "financé à crédit les promesses de tous ceux qui refusent les réalités économiques".

L'audition a également permis à l'ancien ministre de l’Economie et des Finances de défendre son bilan et celui des gouvernements auquel il a participé : "La seule solution durable est dans la transformation en profondeur de notre modèle économique et social, en sept ans nous avons engagé ce chantier", a-t-il déclaré, évoquant, par exemple, la création 2,5 millions d'emplois, la réforme des retraites et du marché du travail, ou encore les baisse d'impôts. Là encore, Bruno Le Maire a mis en cause les députés : "En sept jours, avec la censure, vous avez fait dérailler à nouveau la France."

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Selon lui, sans choix forts, la France sera "lentement mais sûrement (...) étranglée par le noeud coulant des taux d'intérêts". Ajoutant comme une sentence : "La France ne risque pas la mort subite, la France risque la mort lente"

"Flagrant délit de faillite"

Des propos aux accents de réquisitoire contre les oppositions, mais visant aussi une partie de l'ex-"socle commun" de Michel Barnier, peu appréciés par nombre de députés de la la commission des finances. "Nous sommes les représentants du peuple français, et nous exerçons notre mission constitutionnelle de contrôle (...) vous ne pouvez pas dire aujourd'hui, 'qui êtes-vous pour juger ?'", a notamment réagi le corapporteur de la commission d'enquête, Eric Ciotti (Union des droites pour la République). "J'ose vous rappeler que vous êtes plus que responsable [de la situation actuelle], vous en êtes comptable", a également déclaré le député des Alpes-Maritimes.

De son côté, Jean-Philippe Tanguy (Rassmblement national) a ironisé sur le "flagrant délit de faillite" auquel doit faire face Bruno Le Maire : "On essaie de comprendre comment des gens aussi brillants et intelligents que vous ont pu à la fois tout bien faire et à la fois tout échouer ?"

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D'autres, comme Estelle Mercier (Socialistes) et Danielle Simonnet (Ecologiste et Social) ont déploré le "manque d'humilité" de l'ancien ministre, tandis que le président de la commission des finances et d'enquête, Eric Coquerel (LFI), a mis en cause la "politique de l'offre" appliquée depuis 2017 : "Elle n'a pas eu les effets que vous nous aviez annoncés (...) 38% des créations d'emplois marchands depuis 2017 sont en fait des apprentis."

Bruno Le Maire a répondu à toutes les interpellations, sans rien concéder, ou presque. Au passage, l'ancien ministre a expliqué n'avoir jamais envisagé de démissionner car "la démission ne s'envisage pas quand les temps sont durs et surtout elle ne s'envisage que lorsqu'on a un désaccord avec un objectif stratégique". Or, précise-t-il, "il n'y a jamais eu de désaccord avec le président de la République ou avec ses Premiers ministres".

Quelques secondes avant la clôture de l'audition, Bruno Le Maire a dit n'avoir qu'un "regret" : "Sur la dépense, sans doute que nous aurions pu aller plus loin dans les économies et dans la réorganisation de la dépense publique en France".