La proposition de loi loi portant "réparation des personnes condamnées pour homosexualité entre 1945 et 1982" sera examinée par la commission des lois de l'Assemblée nationale ce mercredi 28 février. Le texte a déjà été adopté en première lecture au Sénat, dans une version amoindrie par rapport à celui qui avait été présenté à l'origine.
C'est un texte à la genèse singulière. Au commencement était une discrimination fondée sur l'orientation sexuelle. En France, l’homosexualité a été définitivement dépénalisée par une loi du 4 août 1982, après une première dépénalisation sous la Révolution française, puis un rétablissement d’infractions pénales particulières en 1942 sous le régime de Vichy. Jusqu'en 1982 une distinction dans l'âge de consentement selon qu'il s'agissait de rapports hétérosexuels ou homosexuels était en vigueur. Cet âge était fixé à 21 ans pour les rapports homosexuels ; tandis qu'il était fixé à 13 ans, puis 15 ans à partir de 1945, pour les rapports hétérosexuels. En 1960, la législation avait même été durcie, l'homosexualité étant désignée comme un "fléau social".
En quarante ans, plus de 10 000 personnes ont ainsi été condamnées en raison de leur seule orientation sexuelle avec, dans 90 % des cas, une peine de prison ferme. Après la promulgation de la loi Forni du 4 août 1982, défendue par les figures tutélaires que sont Gisèle Halimi et Robert Badinter, la parenthèse s'est refermée, sans que la République ne fasse son examen de conscience sur cette période. Jusqu'à ce qu'en 2022, le journal Le Monde publie une série bouleversante, témoignages à l'appui, revenant sur cette époque "où les gays étaient traités en parias".
Quatre décennies après l'abrogation du délit d'homosexualité, la République a donc éprouvé le besoin et la nécessité d'exprimer ses regrets auprès des personnes qui ont été discriminées et injustement condamnées en raison de leur orientation sexuelle. Après lecture de l'enquête de la journaliste Ariane Chemin, le sénateur socialiste Hussein Bourgi a décidé de déposer une proposition de loi destinée à réhabiliter les personnes condamnées. "Bien que la réalité de la répression des personnes homosexuelles, lesbiennes, bisexuelles et transidentitaires soit documentée par de multiples travaux de juristes, historiens et sociologues reconnus, la France n'a pas encore admis sa responsabilité en la matière et n'est pas même en mesure d'établir le nombre exact de victimes de ces lois discriminatoires", déplore l'élu dans l'exposé des motifs du texte.
Au-delà de la symbolique de la reconnaissance de responsabilité de la France dans les persécutions subies par les personnes LGBT, Hussein Bourgi proposait également d'instaurer une commission indépendante visant à les indemniser, à hauteur de 10 000 euros. Le texte prévoyait, en outre, la création d'un délit pénal réprimant la négation de la déportation subie par les personnes LGBT au cours de la Seconde Guerre mondiale, avec des peines fixées à un an d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende.
Ces personnes ont vécu une large part de leur vie avec le poids de cette condamnation dégradante et infamante. Hussein Bourgi (sénateur socialiste)
Lors de l'examen au Sénat, ces dispositions ont été supprimés, la version issue du Palais du Luxembourg conservant uniquement la reconnaissance de la "responsabilité" de la France et des "souffrances" et "traumatismes" engendrés "pour les personnes condamnées, de manière discriminatoire".
L'indemnisation financière des victimes pourrait cependant être réintroduite à l'Assemblée nationale dès le stade de la commission des lois, qui examinera le texte ce mercredi 28 février, puisque plusieurs groupes - dont Renaissance - ont déposé des amendements en ce sens. Le députés du parti présidentiel, comme ceux de La France insoumise souhaitent, par ailleurs, que le gouvernement établisse le nombre précis de personnes condamnées pour homosexualité, déplorant des lacunes statistiques en la matière.
Comme au Sénat, un débat sur la période temporelle retenue par le texte devrait également avoir lieu. La Chambre haute du Parlement a en effet décidé de circonscrire la proposition de loi à l'intervalle 1945-1982, afin de ne pas faire de parallèle entre l'administration du régime de Vichy et la République française. Tout en partageant cette analyse, le député David Valence (Renaissance) observe néanmoins que ce choix tend à effacer les politiques de Vichy ayant conduit à la stigmatisation des personnes LGBT, et plaide pour reconnaître un "continuum dans la répression de l'homosexualité entre 1942 et 1982", comme le prévoyait le texte initial. Après son examen en commission, la proposition de loi portée par Hervé Saulignac (Socialistes) au Palais-Bourbon sera à l'ordre du jour de l'hémicycle de l'Assemblée nationale la semaine prochaine, mercredi 6 mars.