Proposé par Emmanuel Macron pour la présidence du Conseil constitutionnel, Richard Ferrand va devoir convaincre les parlementaires lors d'auditions qui auront lieu mercredi prochain, 19 février, à l'Assemblée nationale, puis au Sénat. A droite, des réticences se sont faites entendre ces derniers jours, certains ne voyant pas d'un bon œil la nomination de ce très proche du chef de l'Etat à la tête de l'institution. De là à s'y opposer ?
"Le choix d’un profil comme Richard Ferrand pose problème." Les mots sont de Laurent Wauquiez, dans un entretien que le président du groupe de la Droite républicaine à l'Assemblée nationale a accordé au Figaro. Et ils résument assez bien l'état d'esprit des parlementaires Les Républicains, alors qu'Emmanuel Macron a proposé cette semaine que Richard Ferrand prenne la succession de Laurent Fabius, dont le mandat arrive à son terme, à la tête du Conseil constitutionnel.
Or, pour être effectivement nommé à la tête des Sages, l'ancien président de l'Assemblée devra franchir l'épreuve d'une double audition devant la commission des lois de chacune des Chambres du Parlement. Ce sera mercredi 19 février, à 8h30, au Palais-Bourbon, puis à 11h au Palais du Luxembourg. Avec 25 élus sur les 122 députés et sénateurs appelés à se prononcer au sein des deux commissions, lors d'un vote à bulletin secret, la droite – qui compte plusieurs membres dans le gouvernement Bayrou – peut faire pencher la balance d'un côté… ou de l'autre. D'autant que les groupes du Nouveau Front populaire, ainsi que le Rassemblement national, ont fait savoir leur opposition à cette nomination.
Concernant la présidence du Conseil constitutionnel, comme un certain nombre d'autres fonctions, l'article 13 de la Constitution indique que "le Président de la République ne peut procéder à une nomination lorsque l'addition des votes négatifs dans chaque commission représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions." Concrètement, la candidature de Richard Ferrand sera rejetée si plus de 73 membres des commissions des lois de l'Assemblée et du Sénat votent "contre" (un seuil qui vaut si l'ensemble 122 élus concernés participent au scrutin).
Les Républicains disposent de 19 sièges sur 49 au sein de la commission des lois du Sénat et de 6 sièges sur 73 au sein de la commission des lois de l'Assemblée. C'est donc surtout vers le Palais du Luxembourg que les regards se tournent. Quelle est la tendance ? Sollicité jeudi 13 février, l'un des membres LR de la commission du Sénat, estimait qu'une douzaine de ses collègues pourraient exprimer leur opposition à la nomination de Richard Ferrand.
Sur le papier, ça ne le fait pas, mais je lui donne une chance de me convaincre. Un sénateur LR, membre de la commission des lois
"Il y a plutôt une hostilité du groupe LR au Sénat", complétait le même auprès de LCP. A titre personnel, ce sénateur, qui "n'est pas dans un état d'esprit très positif", attend toutefois l'audition de mercredi : "Sur le papier, ça ne le fait pas, mais je lui donne une chance de me convaincre." "A ce stade, ils estiment que plus de la moitié du groupe voterait contre", croyait quant à lui savoir un sénateur écologiste, également contacté hier, à propos des intentions de ses collègues de droite.
Sur la liste des griefs envers Richard Ferrand : sa proximité avec le chef de l'Etat, l'affaire des Mutuelles de Bretagne qui a fait l'objet d'une décision de prescription, ou encore son positionnement contre la limitation du mandat présidentiel. "Le candidat doit être entendu par la commission et je ne saurais préjuger de cette audition", évacuait jeudi un autre sénateur Les Républicains, membre de ladite commission, quand un troisième refusait d'aborder le sujet.
En revanche, Henri Leroy (LR), qui siège lui aussi au sein de la commission des lois du Palais du Luxembourg, ne cache pas ses réticences. "On nous présente un ami intime du Président pour prendre la main sur le Conseil constitutionnel. (...) C'est révoltant ce niveau de déconnexion. C'est la démonstration de la République des copains", a-t-il critiqué auprès du journal Les Echos. Signe de l'incertitude qui plane, le sujet a été abordé lors de la réunion hebdomadaire du groupe Les Républicains au Sénat cette semaine, sans qu'une position commune ne soit arrêtée.
Mercredi matin, Richard Ferrand devra se montrer très convaincant. "La barre sera haute", car il passera après Philippe Bas - proposé par le président du Sénat, Gérard Lacher, pour occuper un fauteuil au sein du Conseil constitutionnel - "dont on connaît les compétences", estime un élu LR. Comprendre : la comparaison entre le sénateur Les Républicains et l'ancien député La République en marche sera forcément faite. "Attention, il y a un risque que l'audition se passe très mal, que ce soit un guet-apens sur des questions précises de droit. C'est à lui de réussir l'audition", considérait mercredi un député Horizons, le parti d'Edouard Philippe. Juste avant de se rendre au Sénat, Richard Ferrand aura passé son grand oral à l'Assemblée.
Or, au-delà même des oppositions, le candidat à la présidence des Sages devrait aussi perdre quelques voix de droite au Palais-Bourbon. "Richard Ferrand, pour moi c'est non", a écrit sur X le député Olivier Marleix, l'un des six commissaires aux lois de LR. "Je voterai contre cette nomination", a également indiqué son collègue Ian Boucard aux Echos.
Et cette semaine, la députée Emilie Bonnivard ne disait pas autre chose à FranceInfo : "Je ne comprends même pas que le Président ose proposer sa candidature. Je trouve cela totalement déplacé." "Ça nous pose problème", affirmait aussi Philippe Gosselin ces derniers jours. Or, la consigne de vote "sera prise collectivement", précisait Laurent Wauquiez dans Le Figaro. Sans plus de précisions.
Au sein même du camp présidentiel, au-delà du soutien dont bénéficie l'ancien président de l'Assemblée, certains ne comprennent pas le choix d'Emmanuel Macron. Au téléphone cette semaine avec LCP, un ancien ministre le trouvait même "complètement absurde". "Quel que soit le choix que le Président aurait fait, ça aurait été compliqué, mais avec Richard Ferrand, ça l'est encore plus. Macron s'expose inutilement", développait-il. Avant d'ajouter : "Si quelqu'un veut montrer que le chef de l'Etat n'a plus aucun pouvoir, c'est l'occasion rêvée."
Je suis sûr qu'il y a un deal avec la droite. Un député Horizons
Reste que d'autres n'imaginent pas que les choses n'aient pas été sécurisées en amont. "Je suis sûr qu'il y a un deal avec la droite. On est dans une configuration où tout le monde est tenu", estimait mercredi auprès de LCP le député Horizons déjà cité. Avec le président du Sénat, Gérard Larcher, à la manœuvre ? Un parlementaire au fait des discussions, l'avançait jeudi aux Echos : "Il est très impliqué et estime qu'il peut rattraper la moitié des sénateurs qui s'apprêtent à voter contre." Interrogée par l'AFP, une ministre issue de Renaissance dit, quant à elle, faire confiance au président de la Chambre haute pour "faire le taf".
De leur côté, les groupes du Nouveau Front populaire (38 élus sur 122) ont déjà fait part de leur opposition à la nomination de Richard Ferrand. Quant au Rassemblement national (18 élus avec ses alliés ciottistes), la députée Edwige Diaz a indiqué "penser" que ses collègues "ne valideront pas" cette candidature, symbole "du recalage et du recyclage des battus". Le Conseil constitutionnel, qui se doit "d'avoir au moins une apparence de neutralité", n'est "pas une maison de retraite de la vie politique" a cinglé, mardi, Marine Le Pen.
Le résultat du vote sera connu, mercredi en milieu de journée, dans la foulée des auditions et après un dépouillement qui sera effectué simultanément dans les deux Chambres du Parlement.