Dans un rapport, Michèle Tabarot (Les Républicains) et Jacques Maire (La République en marche) appellent à renforcer le contrôle des exportations d'armement, qu'ils jugent trop opaques à l'heure actuelle. Les députés plaident pour davantage de transparence, dans un contexte où certaines exportations françaises d'armement sont pointées du doigt par les ONG et les médias, dans le sillage du conflit au Yémen.
La politique d'exportation d'armes de la France fait parfois polémique, car elle repose sur "un système opaque". Telle est la conclusion portée par Jacques Maire (La République en marche) et Michèle Tabarot (Les Républicains) dans un rapport présenté ce mercredi 18 novembre en commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale. Le document est le fruit du travail d'une mission d'information mise en place en décembre 2018, à la suite de polémiques sur des livraisons d'armes à l’Arabie saoudite et aux Emirats arabes unis, pays impliqués dans la guerre au Yémen.
"La crise yéménite a créé une émotion beaucoup plus forte que par le passé", expliquent les députés. "Le décalage entre les valeurs des démocraties occidentales et celles de certains clients a nourri une interrogation, et parfois une indignation, de l’opinion publique." Le sujet est loin d'être anodin pour l'économie française : sur la période 2015-2019, la France est le troisième exportateur d'armement au monde, avec 7,9 % du marché des missiles, avions de chasse et navires de guerre.
Pour cette raison, les députés déplorent l'opacité du système de contrôle a priori dans l'attribution des licences d'exportation. Ils jugent que "l’exécutif est juge et partie de la qualité du processus d’examen" de ces demandes, dénonçant une situation qui n'est "pas à la hauteur d’une démocratie mature organisant un contrôle de l’action publique".
Selon eux, des bouleversements dans les pays clients sont difficilement prévisibles, comme une guerre ou un changement de régime, et peuvent modifier l’évaluation des risques après la livraison des matériels. C'est pour cela qu'ils appellent à renforcer le contrôle des exportations sur les armes de petit calibre et les véhicules blindés légers, qui présentent le plus de risques de dissémination.
Par ailleurs, il existe des risques juridiques, explique à LCP Jacques Maire, co-rapporteur de la mission. De plus en plus de recours sont portés devant les juridictions, à l'aune du traité sur le commerce des armes, principal instrument de régulation internationale. En France, pour le moment, la jurisprudence protège encore les industriels et l'Etat, mais ce phénomène pourrait avoir des conséquences à moyen et long terme.
Les deux élus alertent par ailleurs sur les biens "à double usage", qui ne sont pas considérés comme des armes en tant que tel, mais qui sont susceptibles d’être utilisés tant à des fins civiles, que de défense, de renseignement et de maintien de l’ordre. Ces biens regroupent ainsi les drones ou les systèmes de cybersurveillance, et "comportent des risques absolument majeurs au regard du respect des droits humains". Pourtant, ils font l'objet d'un degré de protection moindre que les armes "traditionnelles".
"Il est beaucoup plus dangereux de vendre des technologies de surveillance à des Etats qui vont en user contre ses citoyens que des blindés qui ne serviront que rarement et de manière visible", estime Jacques Maire, qui appelle à "remettre en lumière ce double usage". Dans leur rapport, les élus appellent à créer une liste de clients identifiés, auxquels il serait impossible de vendre de telles technologies. Cette liste serait régulièrement mise à jour.
Forts de l'ensemble de ces observations, Jacques Maire et Michèle Tabarot appellent à doter le Parlement français d'un véritable pouvoir de contrôle sur les exportations d'armes et de biens à double usage, qui ne serait pas destiné à limiter ces ventes, mais à "renforcer leur légitimité". Ils déplorent le manque d'information des élus en matière d'exportation d'armes, limité à un rapport annuel du gouvernement et parcellaire sur de nombreux points, comme le type d'équipements et les quantités d'armes vendues, les bénéficiaire finaux des équipements (police, armée...) et leur utilisation prévue.
Pour les élus, il est donc urgent de mettre en place un groupe de travail commun à l'Assemblée nationale et au Sénat, pour assurer dès 2021 un premier suivi en la matière. Sur le long terme, ils proposent de réfléchir à la mise en œuvre d'une structure ad hoc, qui pourrait prendre la forme d'une délégation parlementaire dédiée, sur le modèle de la délégation parlementaire au renseignement. Cette structure, dotée d'un droit d'information, pourrait se saisir a posteriori de certaines demandes d’exportations, auditionner les membres du gouvernement concernés et émettre des recommandations, et publierait un rapport annuel.
Jacques Maire et Michèle Tabarot estiment en outre que renforcer le contrôle parlementaire sur les exportations d'armes permettrait d'œuvrer pour une Europe de la défense, en permettant un dialogue entre parlementaires européens. Chez les principaux exportateurs d'armes européens, comme l'Allemagne ou le Royaume-Uni, les Parlements jouent un "véritable rôle", souligne Jacques Maire. Le système français est en ce sens préjudiciable pour certains contrats communs.