Passé de Macron à Mélenchon, le célèbre mathématicien est candidat à un deuxième mandat de député dans l'Essonne. Son adversaire Paul Midy, investi par le camp présidentiel, compte bien reprendre cette circonscription très favorable à Emmanuel Macron. Michel Bournat, le baron local de droite, veut faire oublier le score de Valérie Pécresse et mise sur sa connaissance du territoire.
Il a changé de maillot mais il jure qu'il n'a pas changé d'idées. Lavallière émeraude et araignée flamboyante épinglée à la veste, Cédric Villani fait œuvre de pédagogie sur la place du marché des Ulis. La commune, la plus peuplée et la plus populaire de la cinquième circonscription de l'Essonne, a voté à 46% pour Jean-Luc Mélenchon à l'élection présidentielle. "Je me suis engueulé avec Emmanuel Macron en 2020", explique à un électeur interrogatif le candidat fraîchement investi par la Nouvelle Union populaire écologiste et sociale (Nupes).
Candidat surprise de La République en marche en 2017, le désormais député sortant a consommé son divorce avec le chef de l’État lors des élections municipales, quand le parti présidentiel lui a refusé l'investiture à la mairie de Paris au profit de Benjamin Griveaux. Le chercheur tente alors une candidature en solitaire infructueuse, et tourne provisoirement le dos à ses électeurs essonniens. Une dissidence qui était aussi idéologique, assure Cédric Villani :
En 2017, je pensais qu'il fallait confier les clés à une personnalité qui impressionnait par son aisance sur les sujets de société. Aujourd'hui, je cherche encore ce que veut dire le macronisme. Cédric Villani
Le mathématicien, maintenant adhérent à Génération écologie, se définit comme un élu "plus affûté sur ses dossiers" et avec "cinq ans de métier à l'Assemblée" : "À ceux qui pensent que j'ai changé de convictions, je réponds que suis toujours le militant fédéraliste européen et écologiste que j'étais." Est-il devenu mélenchoniste pour autant ? "Avec Nupes, on a un programme qui est clair avec des points de divergences assumés. Le Parlement tranchera, avec une liberté de vote bien sûr", précise-t-il, tout en récusant être "inféodé" au chef des insoumis.
Casque de vélo à la main, le député continue de faire son marché électoral et laisse deux fois son numéro de téléphone en l'espace de cinq minutes à des passants. L'un lui demande pourquoi le renouvellement des titres de séjour prend autant de temps, le second lui explique que son fils, étudiant à Sciences Po, aimerait le rencontrer. "Mon équipe m'a dit que j'étais fou de faire ça : en vérité, les gens n'abusent pas. Si je peux résoudre ne serait-ce qu'un problème sur dix, c'est déjà ça."
À un vol d'oiseau de la cité populaire, on change d'ambiance. Une forêt sépare les Ulis d'Orsay, la troisième ville de la circonscription. Rue de général de Gaulle, les saucisses grillent et un rossignol chante dans une petite cour en pente, où Paul Midy a choisi de nicher son QG de campagne. Ce soir, Christophe Castaner est venu en personne lancer la campagne de l'actuel directeur général d'En marche. A bientôt 40 ans, le candidat de La République en marche souhaite passer de l'ombre à la lumière. Son CV coche toutes les cases de la macronie : diplômé de Polytechnique et de la Columbia University, il fonde dans les années 2000 son entreprise informatique qui "fait vivre trois personnes pendant dix ans". Viennent ensuite sept ans de conseil au cabinet McKinsey, puis un passage dans le commerce en ligne, d'abord chez Jumia, une licorne française présente sur le marché africain, et chez Frichti, spécialiste de la livraison de courses à domicile.
"Être député, c'est un objectif de longue date", révèle le candidat qui fut par le passé membre des Jeunes Pop', la branche jeunesse de l'UMP. Avant même le dévoilement des investitures de la coalition présidentielle, Paul Midy confie avoir eu "des indications mais pas de certitudes" sur le fait d'être choisi pour porter les couleurs de la majorité sortante dans cette circonscription qui a voté à 36% pour Emmanuel Macron au premier tour, son meilleur score en Essonne. Il en profite pour rencontrer les cadres locaux de LaREM dès la fin du mois d'avril. "J'ai récupéré des militants traumatisés" par le changement de camp de Cédric Villani, témoigne-t-il.
L'aventure parisienne comme le passage à gauche de son principal concurrent ont laissé des traces : "Cédric, c'était un peu notre rock star", se souvient Françoise, 66 ans. Cette retraitée, militante de la première heure, adopte malgré tout sans regret son nouveau champion. "Paul est moins connu, mais il y a aussi du jus de crâne derrière ses lunettes." Le sujet est encore sensible pour Oly, 50 ans et référent local aux Ulis. Il parle avec émotion de la "trahison" de son député, avant de rectifier : "Non, écrivez plutôt 'revirement', car Cédric reste un ami."
C'est finalement Christophe Castaner qui se charge de mettre des mots sur le sentiment général : "Voir Cédric partir chez Mélenchon, ça me fait mal !", assène-t-il au micro devant un parterre de sympathisants. Pour le président des députés de La République en marche à l'Assemblée nationale, le savant se fourvoie dans une aventure individuelle : "La politique, ce n'est pas un onanisme personnel, c'est d'abord un engagement collectif." Et d'enfoncer le clou devant un public acquis à la cause : "Céder à la démagogie, c'est toujours plus facile. C'est la différence entre eux et nous, c'est la différence entre Paul et Cédric."
Pour "remettre la circonscription dans le giron présidentiel", Paul Midy fait campagne sur l'émancipation et l'écologie.
Ici, c'est un territoire de tous les possibles. Il l'a été pour moi, je veux qu'il le soit pour tous. Paul Midy
Le campus Paris-Saclay, qui s'étend dans toute la partie nord du territoire, est un pôle universitaire de premier rang mondial, où s'épanouissent recherches publique et privée. Mais où le foncier agricole et forestier encore disponible est menacé par un développement à vitesse grand V : "Je serai le député qui sanctuarisera le bon équilibre entre nos terres agricoles et le développement du plateau de Saclay", promet Paul Midy. Cédric Villani a lui fait un pas de plus vers la défense de la nature : il s'est rendu à "Zaclay", la ZAD locale (zone à défendre) qui lutte contre toute extension du bitume dans la région.
Le titre de premier élu écologiste du coin est aussi revendiqué par le maire de Gif-sur-Yvette, Michel Bournat. Édile depuis 2001 de la très coquette bourgade, l'élu Les Républicains a accepté de défendre les couleurs de son parti, à la demande des instances nationales. Il forme un ticket avec François-Guy Trébulle, le maire de Verrières-le-Buisson, lui aussi LR. Soutien de Valérie Pécresse, il préfère oublier la score de la candidate à la présidentielle et rappeler celui qu'elle a fait aux régionales dans sa commune (45%). "Chaque élection a sa propre logique : mon objectif, c'est d'être au second tour", affirme Michel Bournat. Figure de la vie politique locale, il estime que tous ses adversaires sont en "stage de parachutisme". "Paul Midy dit qu'il a étudié dans la circonscription, mais c'est faux. Polytechnique, c'est dans la sixième de l'Essonne, à Palaiseau", dénonce-t-il. Le marcheur prend d'ailleurs bien soin de préciser qu'il est désormais... Gifois.
Auteur de "Gif-sur-Yvette, 20 ans d'écologie au quotidien", le maire-candidat se dit "écologiste, mais pas Vert". L'équipe du candidat égrène ses réussites permises aussi par sa gestion, jusqu'en 2020, de l’agglomération Paris-Saclay : la protection des bois et des terres agricoles, un réseau urbain de chauffage géothermique, le "premier plan air-climat" bouclé en Île-de-France... Son premier adjoint, qui quadrille le marché de Gif avec les autres élus du conseil municipal pour tracter la bonne parole, ajoute un dernier trophée au tableau : le retour de deux espèces d'oiseaux rares sur la commune, le roitelet huppé et la fauvette des jardins.
Le premier édile est fier de sa cité verdoyante, où aucun immeuble ne dépasse les quatre étages. "Quand on lève la tête, on ne voit que les feuillages. C'est une règle instaurée par mon prédécesseur que j'ai gardée. Et on a réussi à imposer une limite de 25 m pour les constructions sur le plateau de Saclay", se félicite-t-il. Michel Bournat, qui n'a jamais connu d'échec électoral, se voit-il d'ailleurs vraiment quitter son action locale pour un mandat national ? "Ma décision n'est pas encore prise", confesse-t-il, signe aussi que la partie s'annonce très compliquée pour la droite.
Gauche, droite ou majorité présidentielle, qui remportera la circonscription au soir du second tour, le 19 juin ? Le Rassemblement national, quasi inexistant ici, ne jouera guère les troubles-fêtes. Ne dit-on pas d'ailleurs que les territoires gagnants de la mondialisation votent d'abord Emmanuel Macron ? "Même ceux qui vont bien sont envahis d'un grand malaise, il suffit de lire les rapports du GIEC", objecte Cédric Villani. Le sortant, élu avec presque 70% des voix en 2017, avait réalisé un des tout meilleurs score des candidats de La République en marche. "Je ne suis pas là pour réitérer un exploit, je suis ici pour être élu."
Aux élections, la circonscription suit souvent la tendance nationale : sous Nicolas Sarkozy, elle a envoyé un député de droite à l'Assemblée nationale. Et sous François Hollande, une députée de gauche. En bon connaisseur de l'histoire locale, Michel Bournat rappelle néanmoins que, à l'exception de 2017, les scores ont souvent été très serrés : "Ça se joue à 48-52 ici." Du côté de Paul Midy, on applique des recettes qui lui ont toujours souri : "Je suis un gros bosseur. Une entreprise, c'est d'abord une réussite collective et moi j'ai toujours essayé de recruter des gens meilleurs que moi." Après un premier tractage pour la gauche aux Ulis, un ancien militant macroniste passé à la Nupes rapporte qu'une électrice s'est demandée : "C'est qui, ce premier de la classe ?"