Fin de l'état d'urgence sanitaire : l'opposition dénonce un texte "liberticide"

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Un serveur vêtu d'un masque, à Paris, le 15 juin 2020. Philippe Lopez - AFP
par Maxence Kagni, le Lundi 15 juin 2020 à 14:27, mis à jour le Mardi 16 juin 2020 à 17:19

La commission des lois a acté la fin de l'état d'urgence sanitaire le 10 juillet prochain, mais le Premier ministre pourra encore, pendant près de quatre mois, prendre des mesures restreignant la liberté de circuler et encadrant celle de manifester.

Les députés de la commission des lois ont examiné, lundi, le projet de loi "organisant la sortie de l'état d'urgence sanitaire". Au lendemain des annonces du président de la République, Emmanuel Macron, ils ont adopté ce texte, dont certaines dispositions sont jugées "liberticides" par l'opposition.

Garder une "capacité d'agir"

Le projet de loi acte tout d'abord la fin de l'état d'urgence sanitaire le 10 juillet, tout en prévoyant certaines mesures complémentaires, qui continueront à s'appliquer au-delà de ce délai. 

Le gouvernement souhaite en effet "garder la capacité d’agir rapidement face à une éventuelle dégradation de la situation sanitaire". 

Une vigilance particulière reste nécessaire dans les prochaines semaines. Exposé des motifs du projet de loi

La rapporteure du projet de loi, la députée La République en Marche Marie Guévevoux, a cependant affirmé qu'il ne s'agissait pas de "reconduire un état d'urgence sanitaire qui ne dirait pas son nom".

Le texte prévoit que le Premier ministre pourra dans les quatre mois suivant la fin de l'état d'urgence "prendre des mesures relatives aux déplacements et moyens de transports, aux établissements recevant du public et aux rassemblements sur la voie publique". 

En commission, les députés ont réduit de quelques jours cette durée de quatre mois en fixant la fin du délai au 30 octobre

Le texte prévoit également certaines limitations et garanties : les mesures devront être "strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu". L’Assemblée nationale et le Sénat devront être "informées sans délai".

Régime d'autorisation pour les manifestations

Jusqu'au 30 octobre, le chef du gouvernement pourra donc : 

  • "Réglementer ou interdire la circulation des personnes et des véhicules et réglementer l’accès aux moyens de transport et les conditions de leur usage", 
  • "Ordonner la fermeture provisoire et réglementer l’ouverture, y compris les conditions d’accès et de présence, d’une ou plusieurs catégories d’établissements recevant du public ainsi que des lieux de réunion". 

Les députés ont, en revanche, supprimé et réécrit les dispositions qui permettaient au Premier ministre de "limiter ou interdire les rassemblements sur la voie publique ainsi que les réunions de toute nature".

La commission des lois a adopté un amendement qui fixe un nouveau cadre législatif transitoire. Les rassemblements "spontanés" ne pourront pas être interdits : "Ils pourront en revanche faire l'objet d'un encadrement du nombre de participants et d'une réglementation afin de permettre notamment le respect des gestes barrières en toutes circonstances", explique la rapporteure Marie Guévenoux dans l'exposé des motifs de son amendement.

Quant aux manifestations sur la voie publique, déclarées en préfecture, elles feront désormais l'objet d'un "régime d'autorisation adapté, circonstancié et transitoire au regard de la mise en oeuvre des mesures barrières destinées à lutter contre l’épidémie de Covid-19".

"Attentatoire aux libertés"

En préambule de l'examen du texte, l'opposition a vivement contesté le bien-fondé du projet de loi. Hervé Saulignac (Socialistes) a ainsi critiqué la "curieuse troisième voie du gouvernement", s'interrogeant sur la restriction possible du droit de manifester, "un droit fondamental, hautement sensible".

Dans la même veine, Paul Molac (Libertés et Territoires) a évoqué un "état d'urgence édulcoré", "un texte attentatoire aux libertés" qui réduit "la liberté de déplacement et de réunion".

Le député UDI Pascal Brindeau a pointé l'absence de "logique" entre les annonces du président de la République Emmanuel Macron, qui souhaite que "la vie reprenne normalement", et ce texte qui revient selon lui à "maintenir" l'état d'urgence.

La France insoumise, par la voix de Danièle Obono, a pour sa part dénoncé un "tournant autoritaire, économiste, libéral" du gouvernement tandis que Paula Forteza (Ecologie Démocratie Solidarité) a évoqué "une sorte d'état d'urgence qui ne dit pas son nom". "C'est trop si nous considérons l'épidémie maitrisée", a abondé le député communiste Hubert Wulfranc.

Polémique sur les données de santé

"Je ne vous cache pas une forme de colère à l'égard de ce texte", a quant à lui déclaré Philippe Gosselin (Les Républicains). "On revient, en réalité, par des dispositifs divers et variés, à l'état d'urgence qui ne dit pas son nom", a dénoncé l'élu.

Nous déroulons un texte qui est purement et simplement liberticide. Philippe Gosselin

Le député Les Républicains a également mis en cause l'article 2 du texte, qui porte sur une extension de la durée de conservation de certaines données de santé "collectées aux fins de lutter contre l’épidémie de Covid‑19", comme celles de l'application StopCovid.

Philippe Gosselin estime que cet article "s'assoit purement et simplement sur ce qui a été décidé pendant la commission mixte paritaire qui avait permis la prorogation de [l'état d'urgence]". Les groupes La France insoumise et UDI ont également critiqué ces dispositions relatives aux données de santé.

Données de StopCovid

Face aux critiques émanant aussi, sur ce sujet, des rangs du MoDem, la majorité a modifié le dispositif. La commission des lois a adopté un amendement de la rapporteure Marie Guévenoux qui prolonge la conservation de ces données jusqu'à six mois pour celles ayant une "finalité de surveillance épidémiologique et de recherche sur le virus".

"Cette prolongation ne [pourra] intervenir que par décret en conseil d'Etat pris après avis public de la CNIL et du comité de liaison", a précisé la députée. La personne concernée devra donner son consentement et ses données seront "pseudonymisées".