L'examen de la proposition de loi d'Olivier Falorni (Libertés et Territoires), qui vise à créer le droit à une "assistance médicalisée active à mourir", n'a pas pu aller à son terme. L'obstruction parlementaire de cinq députés Les Républicains, qui ont déposé à eux-seuls 2500 amendements, a empêché l'Assemblée nationale d'achever la discussion du texte et son éventuelle adoption.
Faute de temps, l'Assemblée nationale n'a pas pu achever le débat sur la proposition de loi "donnant et garantissant le droit à une fin de vie libre et choisie" : l'examen du texte a été interrompu dans la nuit du jeudi 8 au vendredi 9 avril. Portée par Olivier Falorni (Libertés et Territoires) à l'occasion de la niche parlementaire de son groupe, cette proposition de loi visait à créer une "assistance médicalisée active à mourir", première étape vers l'autorisation de l'euthanasie en France.
Soutenu par des élus de tous bords, le texte avait pourtant été adopté par la commission des affaires sociales la semaine précédente. Jeudi, il a fait les frais de la stratégie de cinq députés Les Républicains déterminés à ralentir son examen. Xavier Breton, Patrick Hetzel, Frédéric Reiss, Julien Ravier et Marc Le Fur ont déposé près de 2500 amendements et de nombreux sous-amendements, ce qui a rendu impossible l'adoption éventuelle de la proposition de loi avant minuit.
Les partisans du texte ont toutefois remporté une première victoire symbolique en fin de journée : les amendements de suppression de l'article 1er ont très largement été rejetés (56 pour, 256 contre) par l'Assemblée nationale. Un scrutin dont l'issue laissait entrevoir une possible adoption de la proposition de loi si les députés avaient été en mesure de l'examiner jusqu'au bout.
Ce scrutin a néanmoins souligné les fractures qui traversent plusieurs familles politiques : les groupes La République en marche (125 pour, 161 contre, 2 abstentions), Les Républicains (19 pour, 14 contre, 3 abstentions), MoDem (5 pour, 7 contre, 2 abstentions) et Gauche démocrate et républicaine (2 pour, 4 contre) sont apparus particulièrement divisés.
Dans la nuit de jeudi à vendredi, Olivier Falorni et ses soutiens ont remporté une nouvelle victoire. L'article 1er du texte, légèrement réécrit par le député Guillaume Chiche (non inscrit), a été adopté à quelques minutes de la fin des débats, par 240 voix contre 48.
Dans une ambiance parfois électrique, Olivier Falorni a interpellé à plusieurs reprises ses collègues des Républicains, accusés de faire de l'"obstruction parlementaire" : "Ces amendements n'ont qu'un but, empêcher l'Assemblée nationale, les représentants de la Nation, les députés, de voter ici, souverainement !", a lancé en début d'après-midi l'élu, très applaudi. "Les Français vous jugeront !", a-t-il aussi martelé.
Cette tactique avait déjà été remise en cause dimanche, dans une tribune publiée dans le JDD et signée par 272 députés. Ces critiques ont une nouvelle fois été formulées jeudi par Philippe Vigier (MoDem), Marie-Noëlle Battistel (Socialistes) ou encore Agnès Firmin Le Bodo (Agir ensemble). "Nous voulons voter aujourd'hui, nous ne voulons pas attendre", a aussi clamé Caroline Fiat (La France insoumise).
Fort de ce soutien transpartisan et ovationné à plusieurs reprises, Olivier Falorni s'est adressé à ses collègues accusés d'empêcher le vote : "Vous avez déjà perdu", a-t-il déclaré dans l'après-midi, désignant ce 8 avril 2021 comme "une date majeure sur le chemin de la conquête de notre ultime liberté".
Après l'adoption jeudi soir de l'article 1er, Olivier Falorni a réitéré sa déclaration : "Maintenant, je peux dire ici et maintenant que nous avons gagné."
Le texte d'Olivier Falorni proposait d'ouvrir le droit à une "assistance médicalisée active à mourir" pour des personnes "capables et majeures" qui "se trouvent dans une phase avancée ou terminale d’une affection grave incurable". Strictement encadré, ce droit ne devait concerner que des personnes atteintes d'une maladie "qui provoque une souffrance physique ou psychique qui ne peut être apaisée ou que la personne concernée considère comme insupportable".
Les députés ont défini l'"assistance médicalisée active à mourir" comme "la prescription à une personne par un médecin, à la demande expresse de celle-ci, d’un produit létal et l’assistance à l’administration de ce produit par un médecin". Ils ont également voté une clause de conscience pour les médecins qui auraient refusé de prendre part au processus.
"Pourquoi endurer une cruelle agonie, quand la mort peut vous délivrer d'une vie qui n'est devenue qu'une survie douloureuse et sans espoirs de guérison ?", a demandé Olivier Falorni, pour défendre son texte. "Non, notre proposition de loi ne [permet] pas l'aide active à mourir pour les mineurs, non l'euthanasie ne relève pas de l'eugénisme !", a pour sa part lancé Jeanine Dubié (Libertés et Territoires).
D'autres députés ont soutenu le texte, comme Jean-Louis Touraine (La République en marche), Eric Woerth (Les Républicains), Olivier Faure (Socialistes) ou Frédérique Dumas (Libertés et Territoires).
"Ce débat a besoin de temps", a de son côté déclaré le ministre de la Santé, Olivier Véran, "pas convaincu" par le fait "d'ouvrir aujourd'hui un débat de cette envergure". Le gouvernement a toutefois refusé de se prononcer sur les amendements au texte, donnant systématiquement des "avis de sagesse".
Olivier Véran souhaite avant tout s'assurer que la loi Claeys-Leonetti de 2016 est "réellement appliquée" : ce texte, qui a développé les soins palliatifs, permet une "sédation profonde et continue" des personnes en fin de vie. Le ministre a annoncé jeudi le lancement d'une mission destinée à "identifier les freins éventuels et les inégalités territoriales et sociales d'accès à ces pratiques". Le Conseil consultatif national d'éthique (CCNE) ainsi que le Conseil économique, social et environnemental (CESE) se saisiront également du débat.
Autre annonce : un nouveau "plan national de développement des soins palliatifs et d'accompagnement de la fin de vie" sera lancé "dans les jours qui viennent". Avec, à la clé, "un développement de la prise en charge en ville" et des moyens supplémentaires inscrits dans le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Puisque les groupes politiques avaient laissé la liberté de vote à leurs membres, la liste des députés opposés au texte était tout aussi hétéroclite que celle de ses soutiens : "Qui sommes-nous pour donner la mort ?", a ainsi demandé le communiste Pierre Dharréville (GDR). "Nul ne cesse jamais d'être une personne humaine avec sa dignité pleine et entière", a déclaré l'élu, qui redoute l'ouverture d'un "gouffre".
Du côté de la majorité, Typhanie Degois (La République en Marche) a dénoncé une "dictature de l'émotion" tandis qu'Aurore Bergé (LaREM) a évoqué des "doutes largement partagés sur les bancs" de l'Assemblée nationale, mais aussi à "l'extérieur de l'Hémicycle". Cette dernière en a profité pour relayer les prises de position de Michel Houellebecq et de Robert Badinter.
Elle aussi opposée au texte, Liliana Tanguy (LaREM) a déclaré ne pas "assumer" de "donner la permission à autrui de donner la mort" . "Je ne peux me résoudre à une société qui tue les siens", a ajouté Agnès Thill (UDI et indépendants).
Saluant les annonces du ministre de la Santé, les opposants au texte ont surtout plaidé pour une meilleure application de la loi Claeys-Leonetti : "La priorité doit être aux soins palliatifs", a notamment déclaré Marc Le Fur (Les Républicains).
"L'urgence aujourd'hui est de permettre à 70% des personnes qui n'ont pas accès aux soins palliatifs d'en bénéficier", a elle aussi déclaré Michèle de Vaucouleurs (MoDem).
Après des débats plutôt sereins dans l'après-midi, la séance de nuit s'est résumée aux nombreuses prises de parole de Frédéric Reiss, Xavier Breton, Patrick Hetzel, Julien Ravier et Marc Le Fur, qui ont patiemment défendu leurs amendements, souvent identiques. Julien Ravier a notamment dénoncé un texte qui revient à "dépénaliser un homicide" tandis que Xavier Breton a proposé de remplacer le mot "médecin" par celui d'"euthanasieur".
L'obstruction parlementaire a finalement eu raison de la proposition de loi d'Olivier Falorni. Mais certains députés envisagent de ne pas en rester là. Invitée mardi sur LCP, la présidente de la commission des lois Yaël Braun-Pivet (La République en marche) a déclaré que la majorité "pourrait très bien décider d'inscrire" à nouveau la proposition de loi d'Olivier Falorni à l'ordre du jour de l'Assemblée.
Jeudi soir, la socialiste Christine Pires Beaune n'a pas dit autre chose : "La balle est dans le camp de la majorité." L'élue a demandé au gouvernement de reprendre à son compte le texte d'Olivier Falorni et ce "avant la fin du quinquennat". Dernière à prendre la parole avant la fin des débats, Marine Brenier (Les Républicains) veut elle aussi croire que le débat inachevé du jour "n'est que le début d'une histoire qui s'écrit".