Le nouveau Premier ministre, Gabriel Attal, engagera-t-il la responsabilité du futur gouvernement sur sa déclaration de politique générale devant l'Assemblée nationale ? En 2022, faute de majorité absolue, Elisabeth Borne n'avait pas sollicité la confiance des députés.
Avant même la nomination du nouveau Premier ministre, Gabriel Attal, La France insoumise exigeait déjà que le futur chef du gouvernement demande "un vote de confiance" à l'Assemblée nationale. "Dans toutes les démocraties du monde, le Premier ministre ou la Première ministre doit se soumettre au vote de confiance devant la représentation nationale" a déclaré, mardi 9 janvier au matin, la présidente des députés LFI, Mathilde Panot, lors d'un point presse. Si tel n'était pas le cas, le groupe La France insoumise a annoncé son intention de déposer une motion de censure "spontanée".
"Dans un pays, ce qui organise la politique, c'est de savoir qui est la majorité, qui soutient le gouvernement, et qui est l'opposition", a plaidé Mathilde Panot devant les journalistes, alors que la nomination de Gabriel Attal n'avait pas encore été officialisée. "Nous voulons que la situation soit claire", a-t-elle conclu.
Le principe du vote de confiance est inscrit à l'article 49 de la Constitution. Il prévoit que le Premier ministre peut, "après délibération du Conseil des ministres", engager "devant l'Assemblée nationale la responsabilité du gouvernement sur son programme ou éventuellement sur une déclaration de politique générale". Si ce vote de confiance est une possibilité, il n'est pas une obligation : Maurice Couve de Murville en 1968, Pierre Messmer en 1972, Michel Rocard en 1988, Édith Cresson en 1991 et Pierre Bérégovoy en 1992 n'ont pas engagé la responsabilité de leur gouvernement dans la foulée de leur nomination à Matignon.
Lors de sa déclaration de politique générale du 6 juillet 2022, Elisabeth Borne n'avait pas non plus engagé la responsabilité de son gouvernement. Une décision motivée par l'absence de majorité absolue des groupes politiques soutenant l'action du président de la République, ce qui rendait l'issue du vote pour le moins incertaine. "La configuration politique de l'Assemblée nationale n'a pas changé", a commenté mercredi matin sur France inter le député Rassemblement national Jean-Philippe Tanguy. Selon lui, Gabriel Attal, qui "n'amène aucune voix, aucun député nouveau" à la majorité, ne sollicitera pas donc pas de vote de confiance.
Interrogé par LCP, le porte-parole des députés Rassemblement national, Thomas Ménagé, a précisé la position de son groupe. Si le gouvernement engage sa responsabilité devant l'Assemblée nationale, les élus RN organiseront un "débat interne" afin de savoir s'ils votent contre ou s'ils s'abstiennent. Pas question en revanche de voter en faveur d'une motion de censure déposée par La France insoumise : "Je ne pense pas que les Français veuillent qu'on ferme la porte a priori, qu'on censure a priori un gouvernement qui n'a encore rien fait", a expliqué Jean-Philippe Tanguy sur France inter. "Nous, on refuse la politique du pire, le blocage et la censure par principe", complète Thomas Ménagé.
Du côté du groupe Les Républicains, Patrick Hetzel évoque une "absence de défiance a priori" et fait lui-même valoir que le vote de confiance ne constitue pas une obligation constitutionnelle pour le gouvernement. Tant que le discours de politique générale n'est pas prononcé, le député LR ne souhaite pas s'enfermer dans une position de principe, arguant que le dépôt d'une motion de censure serait toujours possible si les orientations fixées par Gabriel Attal s'avéraient en contradiction manifeste avec la ligne de son groupe. "Nous, on veut voir", indique-t-il aussi, mettant en avant "des annonces plutôt agréables à entendre" pour la droite de la part de Gabriel Attal lorsqu'il était encore ministre de l'Education nationale.
"Ce n'est pas parce qu'on a voté le projet de loi immigration qu'on soutient le gouvernement", tempère cependant Thibault Bazin (Les Républicains) qui ne voit pas pourquoi son groupe donnerait "un chèque en blanc" à Gabriel Attal - qu'il qualifie d'"incarnation du macronisme" -, si un vote sur la déclaration du Premier ministre devait avoir lieu. Le député LR juge cependant cette hypothèse peu probable car risquée pour l'exécutif, tout en écartant l'idée que son groupe puisse voter la motion de censure annoncée par La France insoumise. "Le soutien à une telle motion signifierait qu'il existe une majorité alternative, or nous n'aspirons pas à gouverner avec LFI", rappelle Thibault Bazin.
A ce stade, les députés de la majorité semblent, quant à eux, circonspects : "L'injonction qui est faite de la part des oppositions de solliciter un vote de confiance n'est pas raisonnable, commente la vice-présidente du groupe Renaissance Nadia Hai, arguant que "la configuration de l'Assemblée n'est pas ce qu'elle était" lorsque, comme c'était le cas depuis de nombreuses législatures, le gouvernement disposait d'une majorité absolue au Palais Bourbon. La députée estime donc que ceux qui demandent l'organisation d'un vote de confiance - essentiellement les groupes de gauche - le font pour entraîner une "crise politique" et ne "pense pas qu'il faille [leur] donner cette victoire".
Dans le même ordre d'idée, Robin Reda (Renaissance) estime que Gabriel Attal n'a "pas de raison" de "prendre ce risque". De son côté le président du groupe Horizons, Laurent Marcangeli, indique n'avoir "pas de certitude même [s'il] ne pense pas que la confiance sera sollicitée". En coulisse, certains élus de la majorité s'inquiètent des messages qu'il faudrait envoyer, notamment en direction des Républicains, c'est-à-dire du prix à payer, pour passer le cap d'un éventuel vote de confiance.
Au-delà même des rangs de LFI, la gauche est unanime pour réclamer que le Premier ministre engage la responsabilité du gouvernement sur sa déclaration de politique générale. "Le vote de confiance devrait s'imposer en termes de pratique républicaine et de respect du Parlement, que Gabriel Attal a souvent mis en avant", argue le porte-parole du groupe Socialistes, Arthur Delaporte, qui incite le nouveau locataire de Matignon à "respecter l'esprit de la Constitution dans la pratique parlementaire du pouvoir". Même tonalité de la part d'Eva Sas (Écologiste), pour qui "il est nécessaire de renouer avec cet usage républicain qu'est le vote de confiance, en vertu du respect du Parlement".
En outre, selon les députés de gauche, cette épreuve serait l'occasion d'une clarification politique. "Un tel vote force les différents groupes à se positionner. Les Républicains étant devenus les supplétifs de la majorité, l'existence d'une majorité de droite alliée à Renaissance serait définitivement avérée", estime Arthur Delaporte, pariant sur une abstention du groupe LR, voire un vote en faveur de la confiance de la part de certains de ses membres. Tout comme le communiste Pierre Dharréville (Gauche démocrate et républicaine), qui souhaite que les différents groupes qui composent l'Assemblée puissent "exprimer une position" afin de mettre un terme à la "confusion politique".
Si Gabriel Attal n'engage pas la responsabilité du gouvernement, Pierre Dharréville prévient que les députés de son groupe "chercheront à exprimer leur défiance", alors que le Premier ministre est, selon lui, le "fer de lance des politiques libérales et autoritaires menées par Emmanuel Macron". Le groupe GDR avait fait partie des signataires de la motion de censure déposée par la Nupes en juillet 2022 : "Il serait logique que nous fassions la même chose à Gabriel Attal que ce nous avions fait pour Elisabeth Borne", considère-t-il.
"Chaque chose en son temps", tempère Arthur Delaporte, tout en estimant que sans vote de confiance le dépôt d'une motion de censure commune avec les autres groupes de gauche "fait partie des éventualités". "Il faut que l'on en parle en réunion de groupe, mais je serais personnellement favorable à une motion de censure si le gouvernement ne se pliait pas au vote de confiance", indique Eva Sas.
Enfin, le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires, composé de députés venus d'horizons politiques divers et dont les voix peuvent s'avérer décisives lors de votes serrés, est lui aussi favorable à l'idée que le Premier ministre demande la confiance de l'Assemblée nationale. "Au groupe LIOT, on est favorable à tout ce qui renforce le rôle du Parlement. Cela nous semblerait une bonne chose", fait savoir son président, Bertrand Pancher. Le groupe LIOT, qui rappelle qu'il fait partie de l'opposition, se dit prêt à écouter Gabriel Attal avant de se prononcer, en fonction de son discours, lors d'un éventuel vote. En revanche, le vote d'une éventuelle motion de censure qui serait déposée par la gauche ne semble pas envisagée, le groupe Liot faisant valoir qu'il "ne soutient que les motions de censure qu'il porte lui-même et qui ont des probabilités de passer".