Incident à l'Assemblée lors d'un rassemblement de collaborateurs parlementaires contre le média Frontières

Actualité
par Anne-Charlotte Dusseaulx, le Mercredi 9 avril 2025 à 18:15, mis à jour le Mercredi 9 avril 2025 à 18:42

Réunis dans les jardins de l'Assemblée nationale, ce mercredi 9 avril, pour dénoncer une enquête de Frontières, des collaborateurs parlementaires, essentiellement de gauche, se sont retrouvés face à des journalistes du média identitaire. Ce qui a donné lieu à une scène tendue. Une tribune publiée dans l'Humanité reproche à Frontières d'avoir établi une "cartographie des collaboratrices et des collaborateurs" de députés LFI, "fichant ainsi des dizaines" d'entre eux. 

Le dernier numéro de Frontières (anciennement Livre noir), consacré à une enquête sur La France insoumise, qualifiée de "parti de l'étranger", a mis le feu aux poudres. Dans un article, le magazine d'extrême droite estime que la formation de Jean-Luc Mélenchon "cache toute une nébuleuse de collaborateurs qui propagent un discours radical". De leur côté, les collaborateurs de La France insoumise, qui protestent contre la publication d'informations personnelles (identités, photos...), avaient appelé à un rassemblement dans les jardins de l'Assemblée nationale, ce mercredi 9 avril en début d'après-midi.

"Frontières met une cible dans le dos des collaborateurs parlementaires", dénoncent-ils sur un tract signé par l'association des collaborateurs insoumis, la CGT, la CFDT, Solidaires et le collectif Hagrah. "Autant d’informations qui pourraient demain être utilisées par des groupuscules néonazis afin de cibler les salariés concernés", ajoutent les collaborateurs syndiqués à la CGT dans un texte publié sur le site de L'Humanité.

Parmi leurs demandes : la mise en œuvre de mesures de sécurité à l'égard des salariés menacés et le retrait de l'accréditation aux journalistes de Frontières au sein de l'Assemblée nationale.

Un face à face dans les jardins de l'Assemblée

Mais ce mercredi après-midi, le rassemblement a vu s'opposer les collaborateurs parlementaires à des journalistes du magazine venus y assister. Les premiers lançant aux seconds : "Frontières, casse-toi, l'Assemblée n'est pas à toi !" Présents, plusieurs députés de gauche ont demandé aux journalistes de Frontières d'arrêter de filmer. Au bout d'une quinzaine de minutes, et pour éviter tout débordement, les huissiers sont sortis sur le perron pour exfiltrer les journalistes et la députée Hanane Mansouri (Union des droites pour la République) également sur place. Cette dernière a annoncé saisir la présidente de l'Assemblée, Yaël Braun-Pivet, à la suite de ce face à face tendu.

Dans la foulée, les députés du Rassemblement national, ainsi que le président du parti, Jordan Bardella, ont accusé "les députés d'extrême gauche" de s'en "prendre à la liberté de la presse, en menaçant physiquement des journalistes de Frontières"

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"J'ai vu une gauche devenue folle, j'ai vu une gauche qui ne supporte plus la liberté d'expression, une gauche violente qui maltraite des journalistes", a notamment réagi Laurent Jacobelli (RN).

Dans un communiqué, le groupe "Socialistes" dit "apporter son soutien aux députés visés par l'extrême droite et aux collaborateurs parlementaires présents à ce rassemblement". Il explique également que plusieurs de ses membres ont "demandé, sans menace, ni violence, aux journalistes de Frontières de se retirer, afin d'éviter tout trouble". Le député Arthur Delaporte (Socialistes) en était : "Malheureusement, les journalistes qui les ont jeté en pâture (...) étaient présents sur les marches avec un sourire narquois. (...) C'est ça qui a suscité un certain émoi et un certain trouble."

Le directeur du magazine Frontières, Erik Tegnér, a quant à lui rappelé sur X que les journalistes ont une carte de presse professionnelle. Et à l'AFP, il a indiqué qu'une plainte était en cours de préparation.

De nombreux rappels au règlement dans l'hémicycle

L'incident a ensuite fait l'objet d'une passe d'armes dans l'hémicycle du Palais-Bourbon, avec une série de rappels au règlement, lors de la reprise de la séance à 15 heures. "Des faits très graves se sont passés. (...) Des journalistes ont été physiquement agressés par des députés", a déclaré Emeric Salmon (Rassemblement national). Et d'en appeler à Yaël Braun-Pivet. Il a été suivi par Hanane Mansouri (UDR) et par Matthias Renault (RN). "Ce n'est pas quelque chose de nouveau. Mediapart, Libé, StreetPress ont fait des enquêtes sur des collaborateurs d'autres députés et ça n'a pas donné lieu à des manifestations", a souligné ce dernier.

"La présidente est d'ores et déjà saisie de ce sujet et si des événements qui ne seraient pas admissibles se sont produits, les mesures nécessaires seront naturellement prises", a répondu au Perchoir le président de séance, Xavier Breton (Droite républicaine). 

De quoi faire réagir les bancs opposés. "Je ne peux pas laisser cette présentation partiale sans réponse", a rétorqué Emmanuel Grégoire (PS), avant qu'Arnaud Le Gall (LFI) ne prenne à son tour la parole. "Il n'y a pas eu de violence et les images en feront la démonstration", a-t-il indiqué. "Les méthodes de Frontières n'ont rien à voir avec d'autres médias", a renchéri la présidente du groupe "La France insoumise", Mathilde Panot. 

De l'autre côté de l'hémicycle, Jean-Philippe Tanguy (RN) a évoqué des "insultes, et notamment des insultes à caractère homophobe", affirmant avoir "la vidéo pour ceux qui en douteraient".

Yaël Braun-Pivet rappelle les règles

La présidente de l'Assemblée nationale a rapidement réagi après l'incident du jour. Dans un communiqué, Yaël Braun-Pivet écrit que dans l’enceinte de l'institution "la liberté de la presse s’exerce nécessairement selon des modalités garantissant le bon exercice par l’institution parlementaire de ses missions constitutionnelles."

Et elle rappelle que "l'accès des journalistes à l'Assemblée nationale est subordonné à des formalités d'accréditation : l'organe de presse doit être reconnu et le journaliste être en capacité de présenter une carte de presse ou une attestation de sa rédaction". 

La présidente souligne cependant qu'au sein du Palais-Bourbon, "aucune démarche pouvant s'apparenter à une mise en scène ou à des provocations quelle qu'en soit la nature ne saurait être tolérée". En ce sens, et pour le "rappeler", Yaël Braun-Pivet indique qu'elle écrira au média Frontières, "comme elle avait déjà pu le faire récemment auprès de Madame Elise Lucet".

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