Le ministre de la Justice et Garde des sceaux a été auditionné mercredi 21 octobre par la commission des lois de l'Assemblée nationale sur la mission "Justice" du projet de loi de finances 2021. L'occasion pour lui de défendre l'augmentation de 8% du budget de son ministère dont le montant total sera de 8,2 milliards d'euros l'année prochaine.
De la bouche du ministre de la Justice, une même ritournelle émane depuis un mois et demi. Le budget 2021 de la Justice est "historique", s'enorgueillit Eric Dupond-Moretti. Face aux députés de la commission des lois, le ministre de la Justice a répété mercredi 21 octobre les éléments déjà présentés à la presse au début du mois de septembre.
"Ce budget donnera des moyens inégalés à la Justice depuis un quart de siècle", s'est félicité le ministre en préambule. Comment ? Essentiellement par son montant total de 8,2 milliards d’euros, avec 607 millions d’euros en plus par rapport à 2020, une hausse de 8 %. Soit une somme supérieure de 200 millions d’euros à ce qui était prévu dans la loi de programmation et de réforme de la Justice pour 2021. Le dernier budget susceptible de tenir la comparaison avec cette hausse de 8 % affichée est celui défendu par Dominique Perben en 2003.
Le ministre est ensuite entré dans le détail des 2 400 recrutements que permettra de financer le budget : 1 100 pour les tribunaux, 1 200 pour l’administration pénitentiaire et une centaine pour la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). "Fin 2021, il n’y aura plus de vacances de postes structurels", a-t-il promis.
Ce budget financera également la "justice de proximité", priorité affirmée par le ministre lors de sa prise de fonction. Pour "rendre une justice plus rapide et de qualité", "incarcérer mieux et plus efficacement", 200 millions seront mobilisés. Pour "permettre aux magistrats et aux greffiers de se concentrer sur la tâche de juger" et "réduire significativement les délais de jugement", 950 emplois seront créés dans les prochaines semaines, dont 765 juristes assistants et "renfort de greffes".
Le poids des crédits consacrés à l’immobilier pénitentiaire va lui aussi augmenter de 42 %, avec 556 millions d’euros consacrés au plan de construction des 15 000 places de prison promises par Emmanuel Macron. L’administration pénitentiaire obtient quant à elle la plus belle part du budget avec 3,3 milliards d’euros. Soit une hausse de 9 % par rapport à 2020.
Enfin, l’aide juridictionnelle se verra allouer une hausse de 55 millions d’euros de son budget afin notamment d'engager une hausse substantielle de 10 % de la rémunération de l’heure travaillée par chaque avocat au titre de l’AJ dès le 1er janvier 2021.
La rapporteure de la mission Justice, Laetitia Avia (LaREM), a ensuite longuement insisté sur la nécessaire "modernisation" de la Justice, partiellement "accélérée par la crise sanitaire". Au menu : six axes prioritaires, comme la "mise à niveau de l’équipement numérique des juridictions. "La bureautique et les logiciels sont d’un autre temps", a-t-elle souligné. Autre recommandations : "développer la visioconférence", "réussir la dématérialisation de l’aide juridictionnelle", ou encore "une meilleure organisation de la transformation numérique du ministère". "Le Parlement peut être davantage informé des dispositions que nous votons", a-t-elle estimé.
“Je partage votre vision sur la transformation du numérique du ministère", lui a indiqué le ministre. Dans la foulée, la présidente de la commission des lois, Yael Braun-Pivet (LaREM) a fait remarquer au ministre que sept décrets étaient en retard et que deux rapports émanant du ministère manquaient. Eric-Dupond-Moretti a exprimé sa surprise face à cette information et a expliqué ces retards par sa récente prise de fonction.
Budget "historique" peut-être, mais pas exempt des critiques de l'opposition. Le député insoumis Ugo Bernalicis (LFI) a notamment mené la charge contre ce qu'il estime être un simple "rattrapage budgétaire". "Il n'y a pas de budget Dupond-Moretti", a-t-il tancé. Une critique également formulée par l'UDI et par le député Antoine Savignat (LR).
Le ministre a répondu par l'ironie. "Vous dites c’est une hausse mais qu'elle n’est pas suffisante. Aurais-je dû présenter un budget à la baisse pour que vous le votiez ?", a rétorqué l'ancien ténor du barreau.
Répondant à une question du député Erwan Balanant (MoDem), le Garde des sceaux a par ailleurs indiqué que depuis son entrée en vigueur, 2000 infractions pour outrage sexiste avaient été relevées, et 142 sanctionnées. C’est l’une des dispositions de la loi Schiappa sur les violences sexistes et sexuelles qui s'applique depuis le début du mois d'août 2018. Elle pénalise les “propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste”, lorsqu’ils sont “dégradants, humiliants, intimidants, hostiles ou offensants”. Des faits passibles de 90 euros d’amende, voire de 1500 euros en cas de circonstance aggravante (lorsque la victime a moins de 15 ans, notamment).
Enfin, l'ancien avocat a une fois de plus développé son approche de la sanction, et ne démord pas de son "credo". "S'il suffisait pour éradiquer la délinquance de mettre en prison et de cogner fort (...) il y a des siècles qu'on le saurait. C'est facile d'arriver avec les vieilles recettes et de dire qu'il faut taper fort (...) mais ça ne marche pas comme ça", a estimé Eric Dupond-Moretti, martelant que la prison est "criminogène"
Avant de partir à La Sorbonne pour l'hommage rendu à Samuel Paty, le professeur qui a été décapité vendredi 16 octobre près de son collège de Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines), le ministre a tenu à faire passer un message face aux critiques et aux propositions sécuritaires formulées à la suite à l'émotion suscitée par cet assassinat terroriste. “Je pense que l’on s’est beaucoup enflammés à certains égards et que l’on a oublié ce qui a été fait. Un attentat c’est un échec, mais 36 attentats déjoués ça n’est pas un échec. On a oublié ce qui a été fait en matière d’expulsions, de renseignement. (...) Quand j’entends dire que rien n’a été fait, je trouve que ce n’est pas juste, et que l’émotion ne permet pas tout.”