L'Assemblée saisit la justice pour possible "parjure" d'une magistrate

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Catherine Champrenault, procureure générale de Paris. Photo Ludovic MARIN / AFP
par Thibault Henocque, le Mercredi 14 avril 2021 à 15:32, mis à jour le Jeudi 15 avril 2021 à 16:22

Devant une commission d'enquête, la procureure générale de Paris Catherine Champrenault avait déclaré ne pas avoir été informée d'une enquête en lien avec l'ancien président de la République Nicolas Sarkozy.

C'est un fait rare. L'Assemblée nationale va saisir la justice pour possible "parjure" d'une des plus hautes magistrates du pays, la procureure générale de Paris Catherine Champrenault. La décision a été prise ce mercredi à l'unanimité par le bureau de l'Assemblée nationale. Cette instance composée de députés de tous les groupes est la plus haute autorité collégiale du Palais Bourbon. 

Ce signalement vise des propos tenus sous serment par la magistrate le 2 juillet 2020, devant les députés de la commission d'enquête sur l'indépendance du pouvoir judiciaire. Les parlementaires avaient interrogé Mme Champrenault sur l'affaire des "écoutes" visant Nicolas Sarkozy. La magistrate avait alors déclaré ne pas avoir été informée d'une enquête en lien avec l'ancien président de la République. Celle-ci, menée par le Parquet national financier (PNF) avait conduit à éplucher les factures téléphoniques détailles ("fadettes") de nombreux ténors du barreau. 

"Cette enquête n’a jamais fait l’objet d’un suivi par le parquet général, qui n’en était pas informé, en dehors d’une demande de jonction qui a été communiquée. Nous n’avons jamais eu d’informations sur le contenu de cette enquête ou sur les modalités d’investigation" (Catherine Champrenault, le 2 juillet 2020)

Or selon un courrier révélé par l'hebdomadaire le Point fin février, un magistrat du PNF, Patrice Amar, avait écrit à Mme Champrenault début 2019. Il accusait sa patronne d'alors, Eliane Houlette, d'avoir indirectement permis à Nicolas Sarkozy et son avocat Thierry Herzog de se savoir sur écoutes en 2014. Il évoquait à cette occasion une "enquête sur une violation du secret professionnel".

"Contrairement à ce qu’elle a déclaré lors de son audition, Mme Champrenault était donc bien informée de cette enquête et des nombreux détails portés à sa connaissance par M. Amar, dont une note d’analyse", ont écrit Ugo Bernalicis (LFI), président de la commission d'enquête sur l'indépendance de la justice, et Olivier Marleix (LR), vice-président, dans un courrier adressé au président de l'Assemblée Richard Ferrand.

Les députés lui demandaient de saisir le bureau de l'Assemblée de ce témoignage, "potentiellement constitutif d'un délit de parjure". La plus haute instance collégiale du Palais Bourbon a donc jugé légitime la transmission de ce cas à la justice. 

À noter que le rapporteur de la commission d'enquête, M. Bernalicis, avait lui-même directement saisi en septembre dernier le procureur de Paris, accusant sept hauts responsables - procureurs, préfet, directeur de la police nationale - de "faux témoignages" et "parjures" devant les parlementaires. Mme Champrenault était déjà visée pour d'autres déclarations, notamment concernant l'affaire Fillon, selon les conclusions du rapport de la commission.

Mais l'enquête ouverte contre le préfet de police de Paris, Didier Lallement, et quatre hauts magistrats dont la procureure générale a été classée sans suite par le parquet de Nanterre début avril.

Quel risque en cas de faux témoignage sous serment ?

Les condamnations pour faux témoignages sont extrêmement rares, la jurisprudence exigeant de démontrer une intention caractérisée de tromper les parlementaires. 

Toutefois, si un faux témoignage est découvert ou soupçonné le Parquet peut être saisi par le ''président de la commission ou, lorsque le rapport de la commission a été publié, à la requête du bureau de l’assemblée intéressée''. Cette saisine s'effectue conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.

Si le parjure est avéré, le témoin est alors passible de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende, selon l’article 434-13 du Code pénal.

À ce jour, seul le pneumologue Michel Aubier a été condamné en juillet 2017 à six mois de prison avec sursis et 50 000 euros d’amende, pour avoir dissimulé aux sénateurs qu’il était payé depuis 1997 par Total, lors d’une audition parlementaire en 2015 sur une enquête concernant la qualité de l'air. Il a fait appel de cette décision qui n'est donc pas définitive.