Indépendance du pouvoir judiciaire : le rapport de la commission d'enquête adopté à l'unanimité

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Bernalicis Paris commission d'enquête justice
par Soizic BONVARLET, le Mercredi 2 septembre 2020 à 17:37, mis à jour le Jeudi 3 septembre 2020 à 15:32

La commission d’enquête "sur les obstacles à l’indépendance du pouvoir judiciaire" a adopté à l’unanimité, ce mercredi 2 septembre, le rapport issu de ses travaux. Menés sous l’égide du député de La France insoumise, Ugo Bernalicis, et de son rapporteur issu de La République en marche, Didier Paris, les travaux de la commission avaient débuté en janvier et s’étaient achevés avec l’audition de l’ex-garde des Sceaux Nicole Belloubet le 9 juillet dernier.

Les vingt-huit députés membres de la commission d’enquête relative à l’indépendance du pouvoir judiciaire sont-ils sur le point d’initier des réformes souvent évoquées mais jamais mises en oeuvre ?

Créée à l'initiative du groupe La France insoumise en vertu de son "droit de tirage", la commission d’enquête a procédé à une cinquantaine d’auditions, dont celles de plusieurs magistrats, de l’ex-ministre de l’Intérieur Christophe Castaner, du procureur général près la Cour de cassation, François Molins, du préfet de police de Paris, Didier Lallement, ou encore de l'ex-procureure du Parquet national financier Eliane Houlette. Cette dernière avait alors fait les gros titres de l’actualité en évoquant des "pressions" de sa hiérarchie au moment de l'affaire Fillon en 2017 avant de regretter que ses propos aient été "déformés ou mal compris". 

Selon nos informations, la commission d'enquête, présidée par le député du Nord, Ugo Bernalicis (LFI), et ayant pour rapporteur le député de la Côte-d’Or, Didier Paris (LaREM), s'apprête à préconiser 41 mesures visant à améliorer le fonctionnement de la justice. Un objectif qui se déclinerait au travers de trois grands principes : le renforcement des garanties de l’indépendance de la justice, la mise à disposition pour l’autorité judiciaire de moyens adaptés pour son fonctionnement, et l’approfondissement de la transparence de la justice.

 

Renforcer les garanties en matière d'indépendance de la justice

Si l’indépendance de l’autorité judiciaire est consacrée dans l’article 64 de la Constitution, les travaux de la commission d’enquête ont conclu à un nécessaire alignement du statut et des conditions de nomination des magistrats pour la rendre indiscutable. En effet, si les magistrats du siège, c'est-à-dire les juges, sont nommés par le président de la République, sur proposition du garde des Sceaux, après avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), les magistrats du parquet, à savoir les procureurs, ne bénéficient pas des mêmes garanties, puisque dans leur cas, le pouvoir de les nommer confié à l’Exécutif n’est assorti que d’un avis simple du CSM. Par ailleurs, la règle de l’inamovibilité ne s’applique pas pour les magistrats du parquet, alors que les juges du siège ne peuvent être mutés sans leur consentement, règle destinée à éviter les pressions hiérarchiques ou politiques. Selon nos informations, le rapport de la commission d’enquête propose donc l’alignement du statut et des conditions d’exercice de la fonction des magistrats ainsi que le renforcement du rôle du CSM.

 

Majorité et opposition en phase sur les constats, des divergences sur la méthode

Si le président et son rapporteur se sont accordés sur ce point, la France insoumise a proposé d’aller plus loin que les préconisations du rapport, en supprimant le fameux article 64 de la Constitution stipulant que le président de la République est garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire, pour faire basculer cette prérogative en faveur unique du CSM, qui serait lui-même en mesure de proposer les nominations et non plus de se contenter d’émettre un avis, qu’il soit simple ou conforme.

Une réflexion sur l'institution judiciaire qui n'avait jamais eu lieu sous la Ve République. Ugo Bernalicis

Toujours selon nos informations, Ugo Bernalicis aurait souhaité mettre fin aux remontées d'informations judiciaires à destination du pouvoir exécutif dans les dossiers individuels (à l’exception de celles qui appellent une intervention directe de l'Exécutif, comme dans le cas de catastrophes ou d’attaques terroristes), tandis que Didier Paris s'est prononcé pour un renforcement du cadre légal de ces remontées d’informations. Le président de la commission a par ailleurs plaidé en faveur d'une participation citoyenne au sein du CSM, afin de favoriser le rendu d’une justice "au nom du peuple français", proposition qui n’a pas été retenue par le rapporteur.

Bien qu’Ugo Bernalicis ait regretté certains manques de cette commission d'enquête, liés à un temps contraint, il s’est félicité mercredi de la richesse de ses échanges et de ce qu’elle a contribué, y compris au travers de certaines polémiques, à susciter "une réflexion sur l’institution judiciaire qui n’avait jamais eu lieu sous la Ve République". Et il espère qu’une future réforme constitutionnelle reprendra à son compte une partie des mesures proposées, lui qui s’est dit "très satisfait des propositions faites par le rapporteur lui-même, ce qui n’était pas gagné". Didier Paris estime, quant à lui, que des "véhicules législatifs", au-delà d’une éventuelle réforme constitutionnelle, pourraient porter un certain nombre des préconisations issues des travaux de la commission, notamment celles liées au budget de la Justice, qui pourraient faire l’objet d’une discussion "au pied du mur" lors de la prochaine loi de finances, ou celle visant à limiter la durée des enquêtes préliminaires.

Ugo Bernalicis, en sa qualité de président de la commission d’enquête, a par ailleurs indiqué qu’il avait saisi le Procureur de la République pour six suspicions de parjures, concernant notamment le préfet de police de Paris, Didier Lallement, qui avait déclaré devant la commission d’enquête ne pas savoir qui étaient les organisateurs des récentes manifestations de policiers, la procureure générale de Paris, Catherine Champrenault, et l’ancienne procureure du PNF, Eliane Houlette, pour leurs versions divergentes sur les remontées d’informations dans l’affaire Fillon, ou encore le Procureur de la République Rémy Heitz lui-même, pour s’être contredit à propos des gardes à vues préventives de gilets jaunes.