L'Assemblée se penche sur les droits sociaux des travailleurs des plateformes numériques

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ALAIN JOCARD / AFP
par Maxence Kagni, le Mercredi 29 septembre 2021 à 10:43, mis à jour le Mercredi 29 septembre 2021 à 15:27

Les députés ont adopté mardi le projet de loi "ratifiant l'ordonnance relative aux modalités de représentation des travailleurs indépendants recourant pour leur activité aux plateformes". Selon le gouvernement, ce texte vise à créer un nouveau "socle de droits sociaux", tandis que l'opposition de gauche estime qu'il va, au contraire, conforter l'"ubérisation". 

L'Assemblée nationale face à l'"ubérisation". Les députés ont adopté mardi 28 septembre (41 pour, 20 contre) un texte qui doit offrir un "socle de droits sociaux" aux travailleurs qui utilisent des plateformes numériques comme Uber ou Deliveroo.

Le gouvernement entend "créer les conditions d'un dialogue social structuré et organisé", a expliqué mardi la ministre du Travail, Elisabeth Borne, venue défendre le projet de loi "ratifiant l'ordonnance relative aux modalités de représentation des travailleurs indépendants recourant pour leur activité aux plateformes".

Ce texte, qui permet également au gouvernement de prendre des mesures complémentaires par ordonnances, doit permettre de "mieux protéger les droits des travailleurs sans pour autant remettre en cause les statuts existants". "Le gouvernement considère que le développement des plateformes ne doit pas être combattu par principe ou par idéologie", a ajouté Elisabeth Borne.

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Le projet de loi concerne les activités de livraison ou de chauffeur de véhicule de tourisme (VTC). Concrètement, il prévoit l'organisation tous les quatre ans d'élections de représentants des travailleurs par voie électronique. La première élection est prévue au début de l'année 2022.

Ces représentants auront un droit à la formation, disposeront d'heures de délégation, et seront indemnisés pendant les périodes où ils ne travailleront pas pour exercer leur mandat. "Demain, les travailleurs indépendants et les plateformes pourront donc conclure des accords, notamment sur une rémunération minimale, sur la formation professionnelle, sur la santé au travail", a expliqué Elisabeth Borne.

Les règles encadrant les négociations entre les différentes parties seront "définies au niveau du secteur d'activité ainsi qu'au sein des plateformes elles-mêmes", a précisé la ministre. Les députés ont adopté un amendement de la rapporteure Carole Grandjean (La République en marche) qui prévoit que "les accords de secteurs pourront, pour certains des thèmes soumis à la négociation collective, prévaloir sur les accords de plateforme, et inversement".

D'autres amendements donnent au gouvernement la possibilité de compléter par ordonnances les dispositions relatives aux "nouvelles obligations" des plateformes à l'égard des travailleurs indépendants. L'objectif est de permettre aux travailleurs d'accepter ou de refuser une course en connaissant par exemple la destination de la course et en disposant d'un "délai raisonnable" pour répondre à une proposition. Un amendement du groupe La République en marche vise à permettre aux travailleurs de choisir leur itinéraire et leur matériel.

Le texte crée également l'Autorité des relations sociales des plateformes d'emploi (ARPE). Celle-ci aura de nombreuses missions : elle contrôlera notamment le déroulement des élections, aura un rôle de médiation, et sera chargée d'autoriser ou non les ruptures de contrat liant une plateforme à un représentant des travailleurs. "C'est un mal français, à chaque problème, sa commission", a ironisé mardi soir Valérie Six (UDI et indépendants), qui a fustigé la mise en place d'une "énième agence".

Le projet de loi a été soutenu par les députés du groupe La République en marche ainsi que par ceux du groupe Modem. 

Nous devons reconnaître le rôle des plateformes dans l'économie et dans notre vie quotidienne. Dominique Da Silva (LaREM)

"Que des inconvénients"

Le dispositif proposé par le gouvernement et la majorité n'a en revanche pas convaincu le socialiste Boris Vallaud, qui a présenté, sans succès, une motion de rejet préalable. Le député, qui a défendu les "forçats du VTC ou du VTT", a mis en cause le modèle des plateformes : "Ce n'est pas Zola, ce n'est pas Hugo, ce ne sont pas les Thénardier, mais c'est quand même la misère."

Boris Vallaud accuse le gouvernement de vouloir "faire échec à la jurisprudence des tribunaux, effacer les traces de la subordination [entre le travailleur et la plateforme] et de la fausse indépendance, comme on efface les traces d'un forfait". Selon lui, les travailleurs ne pourront plus, une fois le texte définitivement adopté, demander la requalification de leur statut d'indépendant en celui de salarié.

"En construisant avec ce projet de loi un cadre spécifique, le gouvernement entérine le fonctionnement actuel de ces plateformes et institutionnalise l'ubérisation", a regretté Adrien Quatennens (La France insoumise), qui redoute la création d'un "statut-tiers d'indépendant à rebours du modèle de salariat stable". "Il faut refuser d'enfermer les travailleurs dans un tiers statut qui n'aura que des inconvénients", a quant à lui affirmé le député communiste Pierre Dharréville.

Vous êtes en train de créer une sorte de lumpensalariat qui n'aura pas les droits intégraux du salariat. Boris Vallaud

Des critiques qu'avait d'emblée écarté Elisabeth Borne, en ouverture des débats : "Ces ordonnances n'enlèvent rien au pouvoir du juge de requalifier en salarié un travailleur qui ne serait pas réellement indépendant." Le point de vue de la ministre a été complété par la prise de parole du député Paul Christophe (Agir ensemble) : "La plupart d'entre-eux sont attachés à leur statut et ne souhaitent pas une requalification de leur contrat commercial en contrat de travail."

"Nous ne pouvons pas, dans notre pays (...) imputer aux travailleurs indépendants ayant recours aux plateformes une présomption de salariat, comme cela a été le cas dans d'autres pays européens, ce serait une fuite en avant rocambolesque", a ajouté Stéphane Viry (Les Républicains). L'élu a toutefois critiqué le projet de loi, qui institue selon lui une "étatisation du dialogue social". Il redoute la création d'un "statut hybride, incertain et source de complexité".

D'autres députés d'opposition ont critiqué le texte et le développement actuel des plateformes numériques, comme Michel Castellani (Libertés et Territoires) : "Où est le progrès si le droit du travail est fragilisé, si les droits sociaux régressent ?", a demandé l'élu, qui craint également la mise en oeuvre d'un "dialogue asymétrique" qui opposera des "plateformes tentaculaires" à des "travailleurs toujours précaires".