L'Assemblée veut renforcer la protection des lanceurs d'alerte

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Une personne sur son ordinateur (illustration)
Une personne sur son ordinateur (illustration / Vecteezy.com)
par Raphaël Marchal, le Mercredi 10 novembre 2021 à 18:25, mis à jour le Mercredi 10 novembre 2021 à 18:54

La commission des lois a adopté, mercredi 10 novembre, deux propositions de lois renforçant la protection des lanceurs d'alerte. Ces textes, qui ont recueilli un consensus, clarifient le statut de lanceur d'alerte ainsi que les procédures et renforcent les sanctions prévues en cas de représailles.

La protection des lanceurs d’alerte est devenue "un véritable marqueur démocratique", et il est par conséquent nécessaire de la préciser et de la renforcer. Tel est l'objet de la proposition de loi de Sylvain Waserman (MoDem), co-signée par son groupe et par les élus LaREM et Agir ensemble, et adoptée mercredi 10 novembre par la commission des lois de l'Assemblée nationale. L'occasion de transposer les éléments d'une directive européenne, tout en allant "bien au-delà", se sont félicités plusieurs députés, qui jugent l'opus européen trop limité.

Examinée dans la foulée de l'audition de Frances Haugen, ex-cadre de Facebook et lanceuse d'alerte, cette proposition de loi renforce les dispositions prévues par la loi dite "Sapin II", pionnière en matière de protection de ces personnes. Elle vise à "construire un environnement clair et protecteur" pour les lanceurs d'alertes, en clarifiant leur statut, en prévoyant une procédure de signalement interne et externe et en renforçant les sanctions envers ceux qui tenteraient de les dissuader ou de les sanctionner. "Cette proposition de loi lève les ambiguïtés de la loi Sapin II qui reconnaissait les lanceurs d'alerte sans toutefois leur offrir une protection effective", s'est félicité Olivier Marleix (LR).

Éviter les "chasseurs de primes"

Etre considéré comme un lanceur d'alerte nécessitera d'effectuer une révélation portant sur un crime ou un délit, une menace, un préjudice, ou une tentative de dissimulation d'une violation du droit international, et cela sans contrepartie financière. Ce dernier point a fait l'objet de débats au sein de la commission. Ce n'est, par exemple, pas le système en vigueur aux États-Unis, où un lanceur d'alerte peut être rétribué pour ses révélations. 

"Nous souhaitons éviter un phénomène de 'chasseurs de primes'", a expliqué Sylvain Waserman, soulignant le danger qu'une "entreprise A puisse financer un lanceur d'alerte d'une entreprise B concurrente pour l'accompagner financièrement en contrepartie".

Un dispositif réservé aux personnes physiques

En revanche, les ONG ou les syndicats ne pourront pas être considérés comme lanceurs d'alertes, le texte précisant que seule une personne physique, salarié ou agent public, pourra se voir reconnaître ce statut. Ce point a figuré parmi les mesures les plus débattues de la proposition de loi, plusieurs députés jugeant que cela aurait permis à des personnes hésitantes et craignant pour leur intégrité physique ou professionnelle de franchir le cap et, in fine, de bénéficier de davantage de révélations. "Tout le monde n'est pas Frances Haugen", a souligné Cécile Untermaier (PS).

"Ce texte vise à protéger les femmes et les hommes dont la vie peut être broyée. Pas de traiter du droit des syndicats ou du droit des associations dans notre société", a argumenté Sylvain Waserman, conscient de cheminer sur une "ligne de crête". Il a en revanche rappelé que les personnes morales à but non lucratif pourront être reconnues comme "facilitateurs" pour les lanceurs d'alerte, un statut également créé par son texte. "C'est déjà très audacieux au niveau européen."

Des garanties et des sanctions

Lors du signalement d'un fait à sa hiérarchie, à une autorité externe compétente ou à la justice, un lanceur d'alerte se verra garantir une "stricte confidentialité" de son identité. Cette dernière ne pourra être révélée sans son consentement, sous peine de sanctions. Des garanties sont également prévues pour protéger un lanceur d'alerte une fois le signalement réalisé. Il ne pourra pas être suspendu, licencié ou mis à pied, et plus largement subir une dégradation de ses conditions de travail ou de sa réputation du fait de son rôle. D'éventuelles représailles à l'encontre d'un lanceur d'alerte pourront être punies de trois ans de prison et de 45 000 euros d'amende.

La question du soutien financier apporté à ces personnes a fait débat. Lors de son audition dans la matinée, Frances Haugen a d'ailleurs souligné que bon nombre de jeunes cadres de Facebook ne se sentaient pas de franchir le pas du fait de leur statut encore précaire. La proposition de loi vise à remédier ce problème en autorisant les autorités externes compétentes — qui seront définies ultérieurement par décret — à apporter un soutien financier temporaire aux lanceurs d'alertes, si nécessaire.

"Il y a un enjeu de constitutionnalité autour de ce dispositif", a reconnu Sylvain Waserman, indiquant qu'il n'y avait pas de solution parfaite à ce jour. "Ces autorités ne sont pas suffisamment dotées", a alerté Cécile Untermaier, qui a fait part de ses craintes sur l'effectivité de la mesure. Ugo Bernalicis (LFI) a pour sa part proposé de faire reposer ce dispositif sur le Fonds de garantie des victimes du terrorisme et autres infractions (FGTI) et sur la Commission d'indemnisation des victimes d'infractions (Civi). Jugeant quoi qu'il arrive que ce soutien financier était "impératif". "On ne peut pas se planter là-dessus, sinon tout ce qu'on a raconté avant ne sert à rien."

Cinq exceptions pour cause de secret

Le texte prévoit, en revanche, des exceptions au dispositif qui permet d'accéder au statut de lanceur d'alerte : c'est le cas des révélations qui sont couvertes par le secret de la défense nationale, le secret médical, le secret des délibérations judiciaires, le secret de l'enquête et de l'instruction, ainsi que le secret professionnel de l'avocat. Ugo Bernalicis (LFI) a déploré l'allongement du nombre de ces exceptions par rapport à la loi Sapin II, notamment concernant le secret de l'enquête et de l'instruction.

Sylvain Waserman a, là encore répondu, aux interrogations suscitées par son texte en rappelant qu'il introduisait des dérogations pour chacun de ces secrets, ouvrant ainsi une "évolution majeure" en la matière. "Ce dispositif reste très défavorable aux lanceurs d'alerte", a insisté l'élu insoumis, estimant qu'il pourrait refroidir certaines velléités.

Par ailleurs, les députés ont plus rapidement examiné une seconde proposition de loi de Sylvain Waserman, à portée organique. Le texte précise et renforce le rôle du Défenseur des droits par rapport aux lanceurs d'alerte et aux signalements qui lui parviennent, ainsi que les actions que l'autorité administrative indépendante peut mener pour les orienter et les protéger. Les deux textes seront examinés dans l'Hémicycle le 17 novembre.