Élu depuis vingt-deux ans dans la quatrième circonscription de Seine-et-Marne, le patron du groupe LR à l’Assemblée nationale est pris en étau entre des Insoumis motivés, la dynamique du parti d'Emmanuel Macron et un FN au plus haut. Reportage.
Provins, ses remparts, ses tours et ses rues à sens unique. Du haut de ses 12 000 habitants, la cité médiévale est le fief de Christian Jacob. Le député-maire, élu pour la première fois en 1995, n’a jamais vu sa suprématie remise en cause. Dans un café de la place Saint-Ayoul, Olivier Husson espère créer la surprise, mais son étiquette ne l'y aide pas vraiment. Juriste de profession, le candidat PS arpente pourtant avec ardeur l’arrière-pays seine-et-marnais. Pas une mince affaire dans la plus grande circonscription d’Île-de-France, la plus enclavée aussi : il faut plus d’une heure pour traverser la circonscription du Nord au Sud et d’Est en Ouest.
"Le département gagne de nombreux habitants chaque année. Ce sont des familles jeunes, qui viennent chercher un jardin et des prix accessibles. Je leur dis 'vous allez voir, c’est super, à condition d’avoir deux voitures et un grand congélateur !'", prévient celui qui est aussi maire de Voinsles, un bourg de 600 âmes.
Quand on lui demande ce qui lui a pris de venir défier Christian Jacob sur ses terres, Olivier Husson évoque le chômage des jeunes, "plus de 35%", et d’"un taux d’accession aux études supérieures inférieur à celui de Seine-Saint-Denis".
Ici, la colère est proportionnelle au sentiment de déclassement. Et ce n’est pas la gauche qui en recueille les fruits : au second tour de la présidentielle, Marine Le Pen l’a emporté avec 50,4% des suffrages. Quinze points de mieux qu’au niveau national...
C’est jour de marché à Bray-sur-Seine, un rendez-vous obligé pour la majorité des dix candidats en lice dans la circonscription. Le soleil est au zénith, comme le moral du candidat frontiste. "C’est vrai que les scores sont encourageants, dans une région où le FN ne fait pas de miracle d’habitude", se réjouit Pierre Cherrier, 63 ans. Parachuté lors des départementales de 2015, le "docteur Cherrier", comme il se présente auprès des électeurs, échoue de peu à s’emparer du canton de Nangis. Six mois plus tard, la liste FN seine-et-marnaise envoie cinq élus au Conseil régional, dont le gynécologue. Un record.
Loin d’être un militant frontiste de la première heure, Pierre Cherrier a d’abord été encarté vingt ans au RPR puis à l’UMP, avant de rejoindre le FN en 2011, suite au retrait de Jean-Marie Le Pen. "Christian Jacob, je le respecte, mais il mène une politique de renoncement", assène-t-il. Avant de confier, sûr de son diagnostic :
J’ai beaucoup d’amis chez LR qui n’ont aucune différence avec nous. Mais une fois au pouvoir, le discours est différent. À la Région, ils me disent 'on est d’accord avec toi, mais on ne peut pas t'applaudir'.Pierre Cherrier, candidat FN dans la 4e circonscription de Seine-et-Marne
Bernard Monot, l’économiste en chef du FN, viendra lui donner un coup de pouce sur le terrain. "L’économie n’est pas ma tasse de thé", reconnait d'ailleurs Pierre Cherrier qui préfère mettre en avant ses propositions sur "la fin du recul des services publics", "la revalorisation des petites retraites" et "la lutte contre les déserts médicaux". S’il est élu député, il se voit même défendre une proposition de loi contre "l’accroissement de la pauvreté".
Le docteur Cherrier, qui assure faire campagne "sur ses deniers personnels", n’oublie pas non plus de faire un peu de prévention, à sa façon : "Ici, il y a peu de problèmes d’insécurité, mais ça peut arriver avec la submersion des migrants qui se déversent sur la grande couronne..."
Finalement assez peu critique envers ses adversaires, le challenger numéro 1 de Jacob aimerait se retrouver dans une triangulaire FN, LR et France insoumise. "Ce serait la configuration idéale", glisse-t-il, afin de court-circuiter tout front républicain.
Justement, la candidate mélenchoniste, Julie Garnier-Martinez, tracte quelques mètres plus loin. Quand on lui annonce que le FN souhaite qu’elle accède au second tour, elle réajuste ses lunettes de soleil et hausse les épaules : "Franchement, quand on manque de médecins dans la région, c’est un peu dommage d’exercer là où il y en a le plus...", critique l’insoumise de 33 ans. Une référence au cabinet du docteur Cherrier installé... dans les Yvelines.
Cette directrice du Conservatoire national d’arts et métiers de Saint-Denis a posé vingt jours de congés pour faire sa première campagne électorale et milite avec les moyens du bord : "J’ai fait un prêt parental et mon mari s’occupe de ma communication !"
Parmi les propositions qui font mouche, selon elle, la "règle verte", soit ne pas prélever plus que ce que la nature peut donner.
Nous sommes dans une région où beaucoup de terres seraient stériles sans engrais. Il faut changer le modèle tout-céréalier, qui reçoit beaucoup d’aides, et aller vers une agriculture biologique et paysanne, plus riche en emplois.Julie Garnier-Martinez, candidate France insoumise
À la présidentielle, Jean-Luc Mélenchon a réalisé 17,1%, dans un mouchoir de poche avec Macron (17,3%) et Fillon (18,6%). La candidature du communiste Christian Nail pourrait cependant empêcher Julie Garnier-Martinez de créer la surprise, alors que personne n’a le souvenir d’une gauche vraiment fertile dans la campagne provinoise. Qu'importe, Julie Garnier-Martinez le promet, elle sera encore là après les élections pour s’opposer au "seigneur" Jacob, "emblématique de ce dont on ne veut plus". Elle ne signe pas non plus de blanc-seing à Emmanuel Marcadet, le candidat macroniste "aux dents qui rayent le parquet".
Tout sourire sur son vélo, chemise déboutonnée, regard bleu, Emmanuel Marcadet claque la bise à sa concurrente. L’ambiance reste cordiale, voire chaleureuse entre les candidats. "Julie ? Je l’adore, mais c’est une tueuse !", rigole le maire de Bray-sur-Seine. À 45 ans, cet ancien communicant reconverti dans la politique s’est emparé de la ville en 2014, et n’a pas que son prénom (et ses initiales) en commun avec le nouveau chef de l’État.
"Je faisais déjà du Macron avant l’heure : j’ai travaillé avec le maire LR sortant", explique-t-il. D’abord étiqueté PS, Marcadet s’est mis en marche après la lecture de Révolution, la bible des macronistes. Il voit lui aussi en Christian Jacob la tête pensante d’un "système clanique", qui a "arrosé sa circo pendant des années avec son énorme réserve parlementaire". Son plan pour l’emporter ?
Récupérer une partie des voix du FN et arriver deuxième au premier tour, juste devant Jacob. Il faut montrer aux électeurs frontistes qu’on ne s’occupe pas plus des autres que d’eux.Emmanuel Marcadet, candidat La République en marche
Le maire qui dit se consacrer à plein temps à son mandat, se targue d’avoir "réveillé sa ville", "classé l’école en zone prioritaire" et de réussir à travailler "en bonne intelligence avec tous les élus de l’intercommunalité".
Attablé à la terrasse du restaurant Le Flamboyant, Gérard, retraité et cigarette aux lèvres, tend l’oreille et partage l’objectif de son maire : "Bon, Jacob, faut le gicler, compris ? Enfin, je dis ça, mais ma femme est de Provins. Pour elle, c’est Saint-Christian, priez pour nous !"
Finalement, Christian Jacob est le grand absent du marché braytois. "Je n’ai jamais tracté sur les marchés, je ne vais pas commencer maintenant. Au marché, moi, je fais mes courses !", moque l'édile. Le député sortant - et agriculteur de profession - arrive dans un hangar improvisé en salle de réunion, à Soisy-Bouy. Le soleil de la matinée a laissé place à un ciel menaçant. Au milieu des champs de colza et de chanvre, les représentants de la fédération locale de la FNSEA, le syndicat agricole productiviste, l’attendent de pied ferme.
"Christian, il a beau être chez lui, on a des choses à lui rappeler", prévient Cyril, secrétaire général de la fédération du 77. Et le FN, ça peut marcher ? "S’ils avaient pris quelqu’un du coin, ils auraient pu faire un coup", estime Alexandre, exploitant de grandes cultures dans la région.
Il s'installe sur une des chaises disposées en cercle : tout le monde le connaît, il connaît tout le monde. Il prend un café et écoute attentivement les doléances des agriculteurs, à cran. Entre "le retard du paiement des aides de la PAC", "la complexité administrative", "les mauvaises récoltes" ou "le culte de la conversion à l’agroécologie", la discussion s’étire pendant plus d’une heure.
Le candidat LR n’est pas venu sans réponse : il veut la fin du compte pénibilité, des apprentis qui travaillent plus jeunes et plus longtemps, moins de normes, la défiscalisation des heures supplémentaires. Il propose aussi un système de dotation-provision, sorte d’assurance-vie qui permet aux agriculteurs de mettre de côté les bonnes années pour tenir le choc en cas de coup dur. Et regrette qu’il n’y ait plus "un seul mètre carré en plein-champ dédié à la recherche sur les OGM".
Un orage se forme au-dessus du hangar, les tôles commencent à gronder. Charles, "fauché comme les blés" lit-on sur son t-shirt, interpelle l’élu :
Je te titille mais, pour la première fois, on a un président qui est plus jeune que la plupart d’entre nous. Alors, pourquoi tu n’as pas pris un suppléant jeune ?Charles, agriculteur seine-et-marnais
Christian Jacob marque un silence. Le déluge au-dessus des têtes rend la conversation de plus en plus difficile à suivre. L’homme rappelle alors que, né il y a cinquante-sept ans en Seine-et-Marne, il a toujours été "fidèle et constant" en politique. Ça a toujours bien marché avec Ghislain Bray, 70 ans, son suppléant historique, alors il ne voit pas très bien pourquoi il changerait.
La rencontre touche à sa fin, un membre de la petite assemblée blague : "Faudrait venir plus souvent, tu nous apportes la pluie !"