Auditionné par la commission d'enquête "visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la France", Pierre Gadonneix, le PDG d'EDF de 2004 à 2009, a critiqué l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh). Selon lui, ce dispositif, mis en place en 2011, est une "pilule empoisonnée" qui a freiné la capacité d'investissement de l'entreprise française.
Les conditions de la libéralisation du marché de l'électricité ont-elle eu une conséquence néfaste sur le programme nucléaire français ? C'est, semble-t-il, l'avis de l'ex-président-directeur général d'EDF Pierre Gadonneix (2004-2009), auditionné jeudi 8 décembre, à l'Assemblée nationale. L'ancien patron d'EDF, aujourd'hui président d'honneur, était auditionné par la commission d'enquête "visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la France".
Pierre Gadonneix a directement mis en cause le mécanisme de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh). Celui-ci impose à EDF de vendre à ses concurrents son électricité nucléaire à un prix déterminé, jugé trop bas : "L'Arenh est une monstruosité", a déclaré l'ancien PDG devant les députés. Le dispositif est entré en vigueur le 1er juillet 2011, après l'adoption de la loi "portant nouvelle organisation du marché de l'électricité" (NOME). Cette loi avait pour but de permettre l'ouverture effective à la concurrence du marché de la production d'électricité, en application d'une directive européenne.
Au départ, cette libéralisation n'inquiétait pas outre mesure les dirigeants d'EDF : "Nous étions convaincus que, s'il y avait une ouverture du marché, c'était EDF qui allait être gagnant puisqu'on avait les meilleurs tarifs d'Europe, a expliqué Pierre Gadonneix. [Au moment de l'ouverture à la concurrence], les tarifs pratiqués par EDF pour le secteur domestique et industriel étaient nettement inférieurs à ce qu'il se passait en Allemagne."
Un avantage compétitif que "Bruxelles et les Allemands considéraient" comme une "distorsion de concurrence" : "Bruxelles a introduit des pilules empoisonnées pour empêcher EDF de s'imposer sur le marché", explique Pierre Gadonneix, qui dénonce une "collusion bruxelloise et allemande". Selon lui, l'Arenh est "une manière d'empêcher EDF de bénéficier de sa rente", c'est-à-dire des avantages procurés par son parc nucléaire.
Le pouvoir politique allemand était très conscient que la France avait un avantage particulier. Pierre Gadonneix
Selon l'ancien PDG, l'Arenh a eu un impact négatif sur les investissements à long terme d'EDF : "La situation [de l'entreprise] s'est dégradée parce que l'histoire de l'Arenh, cette pilule empoisonnée, a très sérieusement remis en cause le business model d'EDF, qui n'avait plus les moyens de faire des investissements non immédiatement rentables." Un état de fait qui aurait des conséquences sur l'état actuel du parc nucléaire français : "Si vous voulez ne pas avoir de pénurie, il faut une surcapacité (...) à partir du moment où vous avez la concurrence sur le marché et la pression sur les prix, personne n'a envie de bâtir une surcapacité."
Selon Pierre Gadonneix, cela expliquerait en partie l'abandon du projet d'EPR à Penly (Seine-Maritime), un temps évoqué sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Ce site a finalement été choisi pour accueillir d'ici à 2035-2037 deux centrales nucléaires de type EPR 2, conformément aux annonces du président de la République Emmanuel Macron.
Selon un rapport de l'ancienne présidente de la commission des affaires européennes Sabine Thillaye, daté de juin 2021, l'Arenh "explique en grande partie la situation déficitaire" d'EDF. Ce mécanisme "affaiblit l'entreprise [publique]" et "limite ses revenus" : "La dette augmente ainsi de 3 à 4 milliards d’euros tous les ans, et EDF est devenue l’entreprise qui emprunte le plus dans l’Union Européenne."
La semaine prochaine, c'est un autre ancien PDG d'EDF, Henri Proglio (2009-2014) qui doit être auditionné par la commission d'enquête.