Mayotte : l'Assemblée durcit la restriction du droit du sol au terme de débats houleux

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Laurent Wauquiez LCP 06/02/2025
Laurent Wauquiez à l'Assemblée nationale, le 6 février 2025 (© LCP)
par Maxence KagniSoizic BONVARLET, le Jeudi 6 février 2025 à 21:00, mis à jour le Jeudi 6 février 2025 à 21:43

À l'issue d'une journée de débats tendus et clivants, l'Assemblée nationale a adopté, en première lecture, la proposition de loi "visant à renforcer les conditions d'accès à la nationalité française à Mayotte". Le texte, présenté dans le cadre de la journée d'initiative des députés Les Républicains et soutenu par le gouvernement, va maintenant devoir poursuivre son parcours législatif au Sénat. 

Dans une ambiance tendue, parfois confuse, et au terme de débats clivants, l'Assemblée nationale a voté une nouvelle restriction du droit du sol à Mayotte - qui avait déjà été restreint en 2018 - en adoptant en première lecture, ce jeudi 6 février, la proposition de loi "visant à renforcer les conditions d’accès à la nationalité française" dans ce département français de l'océan Indien. 

Le texte - soutenu par le gouvernement - a été examiné dans le cadre de la journée d'initiative parlementaire du groupe Droite républicaine, présidé par Laurent Wauquiez. Il vise à durcir les conditions d'accès au droit du sol pour les enfants d'origine étrangère nés à Mayotte. "Les perspectives d'accès à la nationalité française constituent un facteur indéniable d'attraction pour l'immigration irrégulière", a justifié le rapporteur du texte, Philippe Gosselin (Droite républicaine).

Dans sa version initiale, la proposition de loi permettait l'acquisition de la nationalité française pour un enfant né à Mayotte de parents étrangers si :

  • les deux parents résident sur l'île (contre un seul des deux parents selon la législation actuelle) ;
  • cette résidence des parents est régulière et ininterrompue depuis au moins un an (contre trois mois actuellement).

Un délai porté à trois ans par amendement

Une mesure qualifiée de "disposition de bon sens" par Gérald Darmanin. Le ministre de la Justice a, par ailleurs, réaffirmé sa volonté d'abolir purement et simplement le droit du sol à Mayotte, ce qui nécessiterait, a-t-il indiqué, une "réforme constitutionnelle".

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La députée de Mayotte, Estelle Youssouffa (LIOT) a elle aussi pris position en faveur d'une "abrogation" du droit du sol dans l'archipel, tout en précisant qu'elle ne souhaitait pas une telle suppression dans "l'Hexagone", au contraire du RN. Le groupe présidé par Marine Le Pen a en effet rappelé, par la voix de Yoann Gillet (Rassemblement national), qu'il était favorable à une "suppression pure et simple" de ce droit du sol sur "l'ensemble du territoire".

Au cours des débats, l'Assemblée a, en outre, adopté un amendement du groupe d'Eric Ciotti (Union des droites pour la République) durcissant encore le dispositif initialement proposé par les députés de la Droite républicaine. Cet amendement porte à trois années au lieu d'une le délai de résidence demandé aux deux parents pour que leur enfant puisse bénéficier du droit du sol à Mayotte - et donc obtenir la nationalité française. 

Le gouvernement promet de revenir à un an

Ce durcissement, voté dans une certaine confusion, n'a cependant été soutenu ni par le gouvernement, ni par le rapporteur, qui ont redouté une censure du texte ainsi amendé : "Il y a le principe de proportionnalité, un an c'est bon dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, trois ans ce ne sera pas bon", a fait valoir Philippe Gosselin.

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Après avoir envisagé de demander une seconde délibération, c'est-à-dire un nouveau vote sur l'amendement, Gérald Darmanin a finalement promis aux députés qu'il demanderait aux sénateurs de voter un amendement de rétablissement de l'article initial, afin de porter à nouveau la durée de résidence à un an.

"Un appel du pied à l'extrême droite"

De son côté, la gauche a tout fait pour ralentir méthodiquement les débats, dans le but d'éviter une adoption du texte. "Cette proposition de loi, ce n'est pas pour lutter contre un supposé 'appel d'air', mais pour faire un appel du pied à l'extrême droite", a par exemple dénoncé Léa Balage El Mariky (Ecologiste et social).

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"Lorsque vous faites une restriction du droit du sol à Mayotte, c'est toute la République que vous mettez en danger", a quant à elle déclaré Dieynaba Diop (Socialistes), tandis qu'Andrée Taurinya (La France insoumise) a proposé de modifier le titre de la proposition de loi comme "visant à flatter les instincts xénophobes et racistes en temps de crise humanitaire". Rappels au règlements, demande de vérification du quorum... Les élus de gauche ont tout tenté pour étirer au maximum le temps d'examen du texte pour empêcher son vote, sans y parvenir.

Une stratégie qui a suscité la colère de la députée de Mayotte Estelle Youssouffa (LIOT). L'élue a notamment fustigé le manque de "décence" de La France insoumise.

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Au cours des débats, un amendement d'Estelle Youssouffa (LIOT) visant à "limiter la fraude documentaire à Mayotte" a été adopté. Il prévoit que les "justificatifs présentés à l’officier de l’état civil pour attester de la résidence régulière des deux parents sur l’acte de naissance d’un enfant étranger né à Mayotte soient obligatoirement accompagnés d’un passeport biométrique valide".

Le gouvernement a, par ailleurs, eu gain de cause en demandant, par la voix de Gérald Darmanin, à ce que les nombreux sous-amendements de la gauche déposés à la mi-journée ne soient pas soumis à délibération, n'ayant pas été présentés en commission. Une possibilité offerte par l'article 44 alinéa 2 de la Constitution, selon lequel "après l'ouverture du débat, le gouvernement peut s'opposer à l'examen de tout amendement qui n'a pas été antérieurement soumis à la commission".

À l'issue de neuf heures de débats électriques, les députés sont arrivés en fin de journée au terme de l'examen de la proposition de loi, qu'ils ont adoptée, en première lecture (162 votes "pour", 93 "contre"). Dans la foulée, le président des députés Les Républicains, Laurent Wauquiez s'est félicité au micro de LCP d'une "vraie victoire" de son camp, permettant de "passer des paroles aux actes" et de "soulager la situation catastrophique que connaissent les Mahorais". Avant d'ajouter qu'"il faudra aller plus loin, pour mieux réguler l'immigration irrégulière à Mayotte, et sur le reste du territoire français".

Une "niche" de la discorde

"Il n'y a vraiment que de la mauvaise volonté à laisser penser que vous auriez la maîtrise de notre propre niche", a lancé peu avant la fin de l'examen du texte Philippe Gosselin (LR) à l'égard des députées insoumises Mathilde Panot et Danièle Obono. "Occupez-vous de vos propres niches. J'aurais tendance à vous dire, restez-y peut-être même", a-t-il aussi ironisé, provoquant la colère des députées visées et du groupe LFI, et une remarque du président de séance, Roland Lescure (Ensemble pour la République), jugeant ces propos "déplacés", et finalement "retirés" par son auteur.

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Danièle Obono (LFI) a demandé à ce que le Bureau de l'Assemblée soit "immédiatement saisi" au regard d'un comportement qu'elle a qualifié de "discriminatoire" et "insupportable". "Personne ne va à la niche dans un hémicycle (...) Il est toujours étonnant que ce type d'insultes arrive étrangement à l'endroit des femmes", a pour sa part considéré Sandrine Rousseau (Ecologiste et social) en soutien de la demande de convocation d'un Bureau en vue d'une sanction, reprise par l'ensemble des groupes de gauche.

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"Vos propos étaient inacceptables", a finalement jugé Roland Lescure, tout en prenant acte des excuses formulées par Philippe Gosselin. "Néanmoins je prononce un rappel à l'ordre à votre encontre, et saisirai la présidente [de l'Assemblée] pour d'éventuelles suites à donner dans le cadre du bureau", a indiqué le vice-président de l'institution.